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Les impôts sur les revenus et bénéfices de 2024 ne pourront pas être rehaussés en 2025

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Il sera désormais difficile de voter la loi de finances pour 2025 avant le 1er janvier prochain. Pour éviter une interruption des services publics, conformément aux dispositions prévues par l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances, un projet de loi spéciale a été déposé par le Gouvernement devant l’Assemblée nationale pour l’autoriser à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la loi de finances de l’année. L’examen de cette loi spéciale débutera ce lundi 16 décembre selon une procédure accélérée. Selon l’avis du Conseil d’Etat consulté à cet effet, cette loi ne pourra autoriser que la reconduction des prélèvements votés par la loi de finances pour 2024, applicable sur les revenus de 2023, « sans mesures nouvelles d’ordre fiscal », donc sans indexation du barème de l’impôt sur le revenu.

Une loi de finances pourra être votée en 2025 pour modifier les autorisations de dépenses de la même année 2025. Mais une question se pose : pourra-t-elle modifier les règles et modalités (taux, abattements…) d’imposition des revenus et bénéfices de l’années 2024 ? Nous ne le pensons pas. La réponse exige un peu de technique fiscale, mais celle-ci est nécessaire pour en justifier.

La petite rétroactivité est admise

En effet, selon l’article 34, I, 1°  de la loi organique no 2001-692 du 1er août 2001 « la loi de finances de l’année […] autorise, pour l’année, la perception des ressources de l’Etat et des impositions de toutes natures… » et l’article 35 dispose que sous certaines réserves, non opérantes en l’espèce, « seules les lois de finances rectificatives et les lois de finances de fin de gestion peuvent, en cours d’année, modifier les dispositions de la loi de finances de l’année » prévues par cet article 34, I,1°.

En clair, la loi de finances autorise les prélèvements sur les revenus, bénéfices et autres produits éventuels de l’année au cours de laquelle elle est votée. A défaut elle serait considérée comme rétroactive. Certes, toute loi de finances est rétroactive quand, votée fin décembre de l’année, elle décide d’imposer des revenus ou résultats, voire des plus-values, perçus en cours d’année, préalablement au vote de la loi. Une telle rétroactivité est anormale car elle revient, comme le disait  Maurice Cozian à ce que l’État dise aux contribuables : « Jouez d’abord, on vous donnera les règles du jeu à la fin de la partie ! ». Le Conseil constitutionnel a néanmoins validé cette « petite » rétroactivité en considérant que les règles d’assiette relatives à l’établissement de l’impôt sont celles en vigueur au moment du fait générateur de l’imposition et que pour l’impôt sur le revenu ou sur les bénéfices, ceux-ci sont définitivement fixés, pour être imposés, au 31 décembre de l’année, après le vote de l’impôt. Mais quid d’une loi de finances votée après le 31 décembre ?

Les limites posées par le Conseil constitutionnel

Sans l’exclure, le Conseil constitutionnel est réticent pour admettre que la loi puisse frapper des revenus d’une année antérieure. Le Code civil pose en son article 2 que la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a point d’effet rétroactif. Mais à l’encontre du Conseil d’Etat (2 février 1983, n° 29.069 : RJF 4/83, p. 220)  le Conseil Constitutionnel n’accorde à ce principe qu’une valeur législative et il en a réduit la portée constitutionnelle en considérant il y a quarante ans qu’aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n’interdisait à la loi fiscale de prendre des dispositions rétroactives en matière fiscale (CC 29 décembre 1983 n° 83-164 DC et CC 29 décembre 1984, n° 84-194 DC).

Ensuite, il a fixé des limites à cette rétroactivité en empêchant son application aux lois répressives et aux situations validées par une décision de justice passée en force de chose jugée » (CC 29 décembre 1986, n° 86-223 DC : RJF 11/87 n° 1156). Il a enfin, plus largement, décidé que le législateur ne pouvait modifier rétroactivement la loi fiscale que par exception aux disposition de valeur législative de l’article 2 du Code civil et uniquement « pour des raisons d’intérêt général suffisant » ( CC 29 décembre 1988, n° 88-250 DC, CC 18 décembre 1998, n° 98-404 DC), ce qui suppose que la rétroactivité soit appréciée sous le bénéfice d’un critère de proportionnalité. Le Conseil constitutionnel requiert même désormais « un motif impérieux d’intérêt général » (Décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014). La rétroactivité ne doit pas être motivée exclusivement par l’intérêt financier (CC 28 décembre 1995, n° 95-369 DC, 35) tel, notamment, que l’augmentation des recettes fiscales perçues par l’État. C’est sur ce fondement que le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de l’article 9 de la loi de finances pour 2013 en tant qu’elles avaient pour objet de soumettre à l’IR au titre de l’année 2012 les revenus de capitaux mobiliers pour lesquels les prélèvements forfaitaires libératoires de l’IR avaient été opérés à compter du 1er janvier 2012 (CC, 29 décembre 2012, n° 2012-662 DC).

Pas de rétroactivité sur les revenus

Le fiscaliste Jérôme Turot considérait il y a déjà plus de 30 ans «  au vu de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, que les dispositions-types de l’article 1er de la loi de finances de l’année, prévoyant l’application de ses dispositions, en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt sur les sociétés, à des revenus et des bénéfices déjà réalisés, est anticonstitutionnel : par son caractère de disposition générale, cette application rétroactive de dispositions fiscales nouvelles ne satisfait à l’évidence pas l’exigence constitutionnelle de motivation et de proportionnalité. Bien évidemment, ajoutait-il, ceci ne vaut que pour la loi fiscale moins favorable (il y a lieu de faire ici la même distinction qu’en matière de loi pénale) : une loi fiscale plus favorable ne porte pas atteinte à la sécurité juridique des contribuables » (RJF 10/90 – 25/09/1990). Ces observations sont consolidées aujourd’hui par l’évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, malgré ses réserves.

Finalement, sauf reniement majeur et incompréhensible du Conseil constitutionnel, dans une loi de finances pour 2025 votée en 2025, le législateur pourra augmenter certains droits et taxes perçus sur des opérations intervenant après son entrée en vigueur (TVA, droits d’enregistrement, tarifs publics …), mais elle ne pourra pas rehausser les impôts sur les revenus ou sur les bénéfices de 2024. Tout au plus pourra-t-elle les réduire. L’Etat sera ainsi forcé de faire des économies. La censure aura alors été salutaire.

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6 commentaires

Jean-Aymar de Sékonla 16 décembre 2024 - 9:56 am

Des économies? Vous y croyez??? C’est tellement facile pour eux d’endetter la France !

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Jojo 16 décembre 2024 - 10:25 am

Conclusion : la France est un pays formidable, il suffit d’une motion de censure pour que les impôts soient enfin prévisibles, c’est-à-dire non rétroactifs. Mais tous les bobos bien pensants qui ont tant décriés cette motion de censure, sont-ils des hypocrites ou des ignorants ?

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Mathieu Réau 16 décembre 2024 - 3:47 pm

En effet, la censure aura été salutaire en balayant d’un revers de main un budget dangereux constitué de hausses d’impôt record : c’est bien la raison pour laquelle les électeurs du Rassemblement National tenaient tant à ce qu’elle soit votée par ses représentants, n’en déplaise à monsieur Feldman qui considérait, dans un récent article, ce choix déshonorant pour Marine le Pen. À tort, comme très souvent.

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Feldman Jean-Philippe 16 décembre 2024 - 5:28 pm

Monsieur,
Je maintiens l’intégralité des termes de mes articles.
Il m’apparaît irresponsable au regard de la gravité de la situation budgétaire et de celle de la situation internationale, particulièrement en Ukraine, de censurer le gouvernement (même si le budget est mauvais). Il est impératif de cristalliser la situation jusqu’aux prochaines élections. Il est vrai que Marine Le Pen, engluée dans son affaire pénale, ceci expliquant peut-être cela, ne s’est pas distinguée par un antipoutinisme exacerbé…
Etrangement, on n’a guère entendu les députés d’extrême droite faire des pieds et des mains pour baisser de manière drastique les dépenses publiques… Normal: l’extrême droite a repris une partie de l’électorat de la gauche et de l’extrême gauche…
Me Jean-Philippe Feldman

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GHUS 16 décembre 2024 - 4:55 pm

Donc le barème de l’IR pourra être réévalué.

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Delsol 16 décembre 2024 - 5:52 pm

Oui le barème de l’impôt pourra être réévalué.
Mais il faudra trouver des recettes pour financer cette décision.
Jean-Philippe Delsol

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