Héritière d’un monopole d’État, l’Agence nationale des chèques-vacances risque de voir son modèle économique s’essouffler à l’heure de la transformation numérique. L’occasion de la remettre en question et d’étudier les bénéfices d’une ouverture à la concurrence privée.
Un monopole politiquement incontesté mais économiquement contestable
Partir en vacances est un droit : c’est en substance le mot d’ordre qui a motivé la création de l’institution par ordonnance du chèque-vacances sous la présidence de François Mitterrand, en 1982. Incidemment, cette même année, la barre des impôts franchissait le seuil fatidique de 40%, faisant basculer la France dans le socialisme, selon les critères giscardiens. Plutôt que d’augmenter le pouvoir d’achat par une baisse des impôts ou des charges sociales – ce qui aurait permis à un plus grand nombre de citoyens de mieux profiter de leurs congés –, l’État a préféré s’octroyer un nouveau périmètre d’intervention.
C’est ainsi que le gouvernement socialiste créa l’Agence nationale pour les chèques-vacances (ANCV), lui confiant le monopole de l’émission et du remboursement des chèques-vacances, titres de paiement exonérés de charges sociales pour les entreprises et destinés à régler les prestations de service liées aux vacances et aux loisirs (hébergement, restauration, transports, activités culturelles…). Pour financer ses coûts de fonctionnement, qui comprennent aujourd’hui la rémunération de 220 collaborateurs, l’établissement public prélève une commission à l’émission et au remboursement du produit. Censée générer des excédents de gestion, son activité vient ensuite alimenter un fonds d’action sociale servant à faciliter le départ en vacances de familles aux ressources limitées ou de jeunes issus des quartiers sensibles. Tel était le raisonnement mis en avant pour justifier ce monopole d’État.
S’il a pu un jour tenir la route—ce qui est très douteux–, il paraît aujourd’hui totalement dépassé. Tout d’abord parce que le paysage économique de la France a changé. Dans les années 1980, il était pour l’essentiel structuré autour des très grandes entreprises mais en 2023, ce sont les TPE-PME qui sont le moteur de l’emploi. Conséquence, à contre-courant de l’objectif initial assigné à l’ANCV : une très grande majorité de Français sont exclus du dispositif. En 2020, l’État a pourtant confirmé le statut de monopole de l’ANCV.
Une décision qui se comprend encore moins si l’on considère les perspectives financières du programme, puisque l’ère numérique va inévitablement éroder le modèle économique de l’ANCV. Jusqu’à ce jour, les rares fois où l’État s’est penché sur sa gestion, le constat a été négatif : celui de l’Inspection générale des finances en 2003 comme ceux de la Cour des comptes en 2005 et 2012. Cette dernière a souligné un manque endémique de productivité au sein des effectifs. Depuis, l’organisme a certes réussi à dégager en 2016 un excédent brut d’exploitation de l’ordre de +1,7 M€, alors qu’en 2012 le déficit affiché était de -5,5 M€, mais les perspectives d’avenir n’en demeurent pas moins sombres.
Il a fallu en effet entamer une coûteuse transformation numérique avec les Chèques-Vacances Connect — un tournant auquel l’ANCV a longtemps résisté, et pour cause ! Ce passage au numérique va réduire les bénéfices. Selon un référé de la Cour des comptes de 2012, 40% des ressources de l’agence proviennent de la rémunération des placements de sa trésorerie sur les marchés financiers, permis par le décalage entre l’acquisition des titres de paiement par les comités d’entreprise, PME, organismes publics, et leur remboursement aux prestataires affiliés au dispositif. Or justement, avec la dématérialisation, la trésorerie ne sera désormais progressivement disponible que sur un intervalle de temps réduit. En outre, plus de la moitié de ses excédents de gestion, qui viennent de chèques perdus et périmés, disparaîtront du fait de ce virage digital. De quoi s’interroger sur la viabilité de son financement.
Réformer le chèques-vacances
Reconnaissant la nécessité d’assurer sa pérennité, l’agence a augmenté en 2019 son taux de commission au remboursement de 1 à 2,5%. Une hausse de 150% qui a entraîné chez les professionnels du tourisme une puissante vague de protestation se manifestant par un refus pur et simple du titre de paiement. Cela a-t-il été pour autant bénéfique ? Impossible de le déterminer. Car l’ANCV entretient le flou autour de son activité, ne donnant aucune information sur ses résultats financiers, même pas dans son rapport annuel, qui ressemble surtout à une plaquette commerciale…
Pour faire face à ses futurs déficits, elle sera sans doute contrainte de réclamer des aides supplémentaires de l’État, qui lui a déjà versé 3,4 millions d’euros en 2023, ou d’augmenter de nouveau son taux de commission portant ainsi un nouveau coup dur à l’utilisation du chèque-vacances.
La meilleure solution, dans l’intérêt des bénéficiaires des chèques, passerait par l’abolition de cette situation monopolistique –qui pourrait d’ailleurs être imposée par une démarche auprès des instances communautaires–, et l’ouverture à la concurrence. Cette libéralisation créerait ainsi les conditions du développement du chèque-vacances (diversification de l’offre, personnalisation, réduction des coûts, promotions ciblées…) et permettrait la fixation d’un taux de commission à l’émission et au remboursement qui serait négocié et accepté entre opérateurs privés, clients et prestataires, sur la base des lois du marché.
2 commentaires
à réformer,c’est certain!une année où par extraordinaire j’y ai eu droit,de gros problèmes de santé m’ont obligée à déménager,je ne retrouvais plus le carnet!quand j’ai mis la main dessus la date était dépassée,on a refusé de me rembourser!j’ai tout perdu,et j’étais trop fatiguée pour me battre.je me suis toujours demandée à qui avait profité mes économies.
» le constat négatif de l’Inspection générale des finances en 2003 comme ceux de la Cour des « comptes en 2005 et 2012. Cette dernière a souligné un manque endémique de productivité « au sein des effectifs. »
Un constat qu’on pourrait faire dans de nombreux organismes publics et/ou administrations. Comment s’étonner ensuite qu’avec plus de fonctionnaires, la France fonctionne mal ? Au lieu de prélever une taxe sur les entreprises pour financer les frais de fonctionnement d’un « bidule » qui ne fonctionne pas, n’aurait-il pas été préférable de leur laisser des marges permettant de mieux payer leur personnel ? UNE BONNE OCCASION POUR SUPPRIMER CE TRUC. Il y en a plein d’autres.