Atlantico : Une nouvelle étude réaffirme que les riches paient proportionnellement moins d’impôts que les autres en France, remettant une nouvelle fois sur la table la question de la justice fiscale. Dans la situation actuelle, au vue de nos choix en matière d’intégration européenne et dans la mondialisation, on a le sentiment que plus de justice fiscale se ferait nécessairement au détriment d’un des deux autres composants de l’équation. Comment en sommes-nous arrivés là ?
Marc de Basquiat : Cette affirmation est aberrante. Quand on a un minimum de compétences en comptabilité, on est consterné : l’IPP confond le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel, comme si ce que possède l’entreprise était confondu fiscalement avec ce que possèdent les actionnaires.
Lorsqu’une entreprise réalise des bénéfices, elle acquitte l’impôt sur les sociétés (IS) au taux de 25 % (je simplifie un peu), par exemple 2,5 M€ si le bénéfice réalisé est de 10 M€. Si le dirigeant décide d’utiliser une partie des 7,5 M€ restants à titre personnel, par exemple pour s’acheter une nouvelle voiture ou une nouvelle maison, il doit se verser un dividende. Celui-ci est soumis à un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % (17,2 % de prélèvements sociaux plus 12,8 % d’impôt sur le revenu). Donc au total, le prélèvement sur le « bénéfice distribué » de l’entreprise est de 47,5 % pour que l’actionnaire puisse utiliser cet argent à titre personnel, et non les 26 % indiqués par l’IPP.
Certes, un dirigeant actionnaire peut bénéficier d’un véhicule et d’un logement « de fonction » payés par l’entreprise, mais c’est au titre d’une rémunération du travail de direction réalisé. Si un propriétaire/actionnaire non dirigeant de l’entreprise faisait acheter sa voiture ou sa maison par l’entreprise, sans passer par le versement de dividendes, ce serait de l’abus de bien sociaux, ce qui le mènerait devant les tribunaux.
Pour autant, il existe bien un sujet de justice fiscale. Le prélèvement forfaitaire unique à 30 % instauré par Macron constitue un avantage assez significatif pour ceux qui perçoivent des revenus financiers importants. Auparavant, les gros dividendes étaient soumis à l’IR progressif jusqu’au taux marginal de 45 %, ainsi qu’aux prélèvements sociaux (15,5 %), mais avec des règles compliquées pour déduire en partie l’IS déjà acquitté par l’entreprise. Emmanuel Macron a clairement, de ce point de vue, simplifié et fait un « cadeau » au plus riches. La justification s’entend : ces revenus étant volatiles, une fiscalité excessive par rapport aux autres pays est contreproductive. L’attractivité économique de la France a un prix, qu’il faut comprendre comme un investissement rentable : la recette totale de l’impôt a évolué positivement ces dernières années, ainsi que les chiffres du chômage.
Je déplore qu’en France les media répercutent systématiquement et sans filtre les messages plus ou moins délirants de certains économistes médiatisés, positionnés très majoritairement à gauche, au lieu de s’intéresser à d’autres débats plus pertinents et utiles.
Jean-Philippe Delsol : Il faut d’abord dire que cette étude de l’Institut des Politiques Publiques réalisée à partir des données de 2016 et sortie ce 6 juin est une escroquerie intellectuelle et politique. Elle calcule le revenu des plus riches en ajoutant à leurs revenus effectifs et imposables: les cotisations sociales non contributives d’une part, et les bénéfices des sociétés dont le foyers fiscal du contribuable détient plus de 10% du capital d’autre part. Elle prend ensuite en compte au titre des impôts du contribuable concerné une quote-part d’impôt sur les sociétés payée par la société (au prorata de la participation du contribuable dans le capital de la société) et une part minimale de coût de donation virtuelle du capital correspondant sous le bénéfice d’un pacte Dutreil. Ces calculs artificiels sont totalement factices et erronés, calculés de manière sciemment minorée (le pacte Dutreil n’est pas toujours possible, ils calculent sur la base des donations mais pas des successions, les pertes des sociétés ne sont pas prises ne compte…). En outre, ils ne tiennent pas compte des autres impôts que payent les entreprises, pas plus que des impôts de succession que les particuliers payent sur leurs autres actifs, et des droits d’enregistrement et taxes immobilières locales ou autres qu’ils supportent. Totalement fictifs, ces calculs donnent d’ailleurs des résultats qui ne sont pas renversants. Ils notent que 95 % des 378 000 foyers au sein du top 1 % des revenus paient des impôts personnels importants du fait de la progressivité du barème. Mais leur conclusion est qu’il y aurait « une forte régressivité du taux d’imposition global une fois passé le seuil des 0,1 % les plus riches, avec un taux global [ d’imposition] passant de 46 % à [un] seuil à 26 % parmi les 0,0002 % les plus riches ». Ce qui est assez logique puisque pour ces revenus très supérieurs, ils prennent en compte le bénéfice des sociétés dans lesquels ils ont des participations de plus de 10% et l’impôt sur les bénéfice y afférent qui est au taux maximum de 25% en France au lieu d’un taux d’impôt sur le revenu au taux maximum de 66,2%, taxe sur les hauts revenus et CSG/RDS compris. Cette étude n’a donc pas beaucoup de sens.
Source : IPP
Sur le second graphique, la régressivité disparaît entièrement si l’on retire les cotisations sociales. Par exemple en privatisant l’Assurance Maladie. Mais cette lecture ne fait pas grand sens car l’Assurance Maladie est très redistributive. Les cotisations sont proportionnelles aux salaires alors qu’évidemment les dépenses de santé ne le sont pas. Donc, en net, les bas revenus payent moins de cotisations qu’ils ne reçoivent de soins, et inversement pour les hauts revenus. Similairement, la littérature sur la hausse des inégalités de richesse (Saez et Zucman, 2016) ne comptabilise pas la valeur des cotisations retraite accumulées. Ainsi, le système social force les classes moyennes à épargner via un système public obligatoire, réduisant leur épargne privée. Ensuite certains économistes concluent que les inégalités de patrimoines s’accroissent parce qu’ils ne comptent pas les retraites par répartition. Si l’on s’en tient à leur mesure, les inégalités seraient fortement réduites par une privatisation de la Sécurité Sociale. Plus le système social s’étend, plus les inégalités de patrimoine privé (ainsi mesurées) s’accroissent, plus l’on réclame d’extensions du système social. La seule manière de produire des statistiques cohérentes qui n’aboutissent pas à ces conclusions absurdes est de soustraire les prestations des cotisations et d’inclure la valeur des droits sociaux accumulés dans le patrimoine.
Où sont les responsabilités politiques historiques de cette situation ? (À droite comme à gauche)
Marc de Basquiat : Dans un livre récent, Jean Peyrelevade évoque les années Mitterrand. Selon lui, seules quelques personnes de son entourage comprenaient réellement l’économie, Pierre Mauroy et Jacques Delors notamment, tandis que les autres racontaient n’importe quoi. Mitterrand était totalement incompétent dans ce domaine. Avant lui, Giscard avait certainement ses défauts mais comprenait l’économie. Aujourd’hui, rien n’a changé : nous sommes toujours englués dans des discours emplis de « bons sentiments » et de propagande gauchiste destructeurs pour l’économie du pays.
Jean-Philippe Delsol : La responsabilité de ce harcèlement médiatique à l’égard des riches incombe aux gouvernements et aux partis politiques qui prennent régulièrement les riches comme boucs émissaires pour masquer leurs échecs politiques et qui n’ont pas compris qu’au-delà d’un certain seuil, plus on taxe les riches, plus le produit de l’impôt stagne ou baisse parce que les riches votent avec leurs pieds ou s’organisent pour moins gagner ou moins dépenser en France au détriment de la France et des Français. Cet état d’esprit anti-riches est évidemment renforcé par les forces politiques de gauche et d’extrême gauche qui soufflent sur les braises de la haine sociale pour entretenir leur électorat au risque de détruire notre économie . Il faut rajouter que les gouvernements de droite ne se privent pas de financer des instituts publics ou parapublics qui font plus d’ études à visées idéologiques, comme celle de l’IPP, que des études vraiment scientifiques.
Marc de Basquiat : C’est en fait : les grandes entreprises et les propriétaires sont mobiles et peuvent déplacer en bonne partie leurs activités vers des pays comme l’Irlande ou d’autres qui proposent certains taux d’imposition attractifs, pratiquant un dumping fiscal.
Donc, il est légitime et positif que les pays européens aient réussi à harmoniser en grande part leurs taux d’imposition des sociétés. Auparavant, la France pratiquait un taux d’IS supérieur à 30 % : elle a dû le réduire pour redevenir compétitive. Aujourd’hui, la France est à 25 %. Emmanuel Macron a mené ce combat avec constance sur plusieurs années et je pense que c’est une bonne chose. Une harmonisation autour de 25 % pour tous les pays Européens, c’est une idée qui me paraît juste et efficace. Ensuite, en ce qui concerne les prélèvements sur les particuliers, la France a des taux de prélèvement particulièrement élevés.
Le taux de 30 % sur les revenus financiers est peut-être trop bas. Comparé aux taux (CSG+IR) prélevés sur les revenus autres que financiers, cela semble un peu faible. Ou peut-être faut-il plutôt chercher d’abord à réduire l’ensemble des prélèvements sur les revenus d’activité ?
Jean-Philippe Delsol : La question première est de savoir ce que c’est que la justice fiscale. Est-ce que la progressivité de l’impôt est juste ? Pour ma part je ne le crois pas. La progressivité est toujours arbitraire parce qu’elle dépend de seuils et de taux qui sont relatifs et eux-mêmes arbitraires. La justice fiscale exige une certaine objectivité de l’imposition que la progressivité rend impossible. Elle suppose aussi une certaine modération de l’imposition souvent incompatible avec la progressivité. La solution est donc peut-être de ne plus être obsédé par la progressivité de l’impôt. Il est juste que chacun paye des impôts à même proportion que les autres. L’idée que les riches payent proportionnellement plus que les autres n’est pas fondée en justice. En payant des impôts proportionnels à leurs revenus, les riches payeraient déjà beaucoup plus que les autres. La progressivité n’incite pas au travail et à l’innovation. Elle devient souvent un instrument de puissance des Etats pour rétablir l’égalité, dans un souci de moralité publique. Mais ce n’est pas à l’Etat de dire quel est le niveau de revenu qui convient à chacun, sauf à devenir un Etat totalitaire et/ou pour le moins à permettre la tyrannie d’une majorité qui ne paye pas l’impôt pour faire peser l’impôt le plus élevé possible sur la minorité qui le paye : en France 56% des Français ne payent pas l’impôt sur le revenu.
On a le sentiment que ces sujets sont devenus cruciaux, mais les solutions sont peu aisées. Qui saurait ou pourrait trancher les nœuds gordiens de ces choix ?
Marc de Basquiat : Sur ce point-là, j’ai une conviction : il faut déjà que l’impôt soit compréhensible pour les citoyens. C’est inscrit dans la constitution : chaque citoyen doit pouvoir comprendre quels taux d’imposition sont pratiqués, pas seulement pour lui (ce qui serait déjà un énorme progrès), mais pour l’ensemble des citoyens. Ainsi, il est essentiel pour la Démocratie que les taux et les règles de calcul de l’impôt soient simples et transparents. C’est une condition indispensable pour prétendre réaliser une justice fiscale.
A la limite, peu importent les chiffres, ils doivent avant tout être compréhensibles. Sinon, chaque citoyen en conclut intuitivement que ce n’est pas juste, c’est aussi simple que ça. Donc, avant même de dire s’il faut augmenter ou diminuer certains taux, il faudrait déjà que les enjeux soient très clairs. Malheureusement, ce n’est vraiment pas le cas actuellement, et les études biaisées publiées par des instituts idéologisés n’aident pas.
C’est pourquoi les démarches qui visent à mettre en place une « flat tax », très simple, ont vraiment du sens.Si nous appliquions un même taux de 30 % sur tous les revenus, tout le monde comprendrait ce que cela signifie : 30 % de chaque revenu serait retenu à la source, chaque mois, versé automatiquement au fisc.
Jean-Philippe Delsol : La solution est simple au contraire. Elle consisterait à adopter une flat tax, ou impôt proportionnel, sur tous les revenus, au-delà éventuellement de franchises de base qui éviterait de trop taxer les plus pauvres. L’IREF pour sa part propose une flat tax à 15% au-delà d’abattements familiaux et conjugaux comparables à ceux qui existent aujourd’hui en matière d’impôt sur le revenu en France. Parallèlement devraient être supprimées les centaines de niches fiscales qui font de la fiscalité française un gruyère et un puit perdu. Le produit de l’impôt devrait être supérieur du fait de la disparition des niches et l’impôt serait plus juste parce que plus lisible, plus simple, plus supportable et plus équitable. Les riches ne pourraient pas plus y échapper que les autres.
Sortie de l’UE, coopération et coordination internationale accrue, ou simples décisions fiscales nationales, quelles peuvent être les solutions ? Comment écarter les fausses bonnes idées?
Marc de Basquiat : Il est faux de prétendre que l’Europe nous bloque et nous empêche de prendre des décisions. Ce mensonge a déjà égaré notre voisin et ami anglais, victime du Brexit. En réalité, de nombreuses mesures pourraient être mises en place à l’échelle nationale pour changer les choses. Lorsqu’on compare les politiques fiscales de la France, de l’Allemagne, de la Slovaquie ou d’autres pays européens, tous dans la zone euro, on constate d’énormes différences dans la fiscalité des entreprises et des particuliers.
Affirmer que c’est l’Europe qui nous oblige à suivre un certain chemin est une blague. Ce sont ceux qui ne veulent rien changer ou cherchent à se dédouaner de leur propre incapacité à proposer des solutions pertinentes qui racontent cela. La faute ne revient pas à Bruxelles, c’est absurde. Nous avons en réalité beaucoup de marges de manœuvre. Cependant, il faut de la rigueur intellectuelle, de la cohérence et pas mal de courage politique pour mener les réformes nécessaires de notre fiscalité, pour plus de transparence, d’équité et d’efficacité économique.
Jean-Philippe Delsol : Certains pensent qu’une fiscalité uniforme en Europe règlerait les problèmes. Ils ont tort. Il est préférable que l’impôt reste le domaine réservé des Etats. Il l’est d’ailleurs de moins en moins et c’est regrettable. L’Europe n’a pas besoin d’avoir des impôts uniformes pour mieux fonctionner. La concurrence fiscale européenne est aussi bonne pour les contribuables européens que la concurrence commerciale l’est pour les consommateurs. La concurrence fiscale européenne est saine car elle oblige les Etats à rester attractifs pour leurs citoyens et donc à gérer au mieux le rapport entre le poids des prélèvements obligatoires et les services publics offerts. J’observe d’ailleurs que les pays les mieux gérés sont ceux où la fiscalité est très largement décentralisée comme aux Etats-Unis ou en Suisse. La solution est dans un retour aux règles qui ont présidé à la naissance de l’Europe et qui voulaient que la fiscalité soit réservée aux Etats de manière très stricte.
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Fiscalité et «dose de protectionnisme» : Est-il bon de les séparer ?. Pour moi, c’est probablement non. Ils forment un tout. Dans les deux cas, nous sommes devant un problème de concurrence très grave.
Les accords de libre échange signés par l’UE ne reposent sur aucun modèle économique crédible. Ils offrent une autoroute aux pays les moins regardants en matière sociale et droits de l’Homme et en matière environnementale. Ils mettent en péril la démocratie et la souveraineté.
Persuadés qu’elle reposait sur un modèle économique robuste et ayant fait ses preuves, les promoteurs de la mondialisation ont crû que celle-ci serait une « mondialisation heureuse » et pensaient qu’elle profiterait à tout le monde.
Apparemment, ce modèle économique, imaginé au 18 ème siècle notamment par David Ricardo avait du sens. Ricardo a démontré avec talent que la spécialisation des Etats dans les secteurs économiques où ils sont compétitifs, et le libre-échange sont mécaniquement une source d’enrichissement pour tous.
https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Ricardo
Problème : Ricardo avait posé 4 conditions au bon fonctionnement de sa théorie du libre-échange et de la spécialisation des Etats :
1. la valeur du travail est égale au prix multiplié par la quantité de travail ;
2. la concurrence doit être parfaite ;
3. il doit y avoir immobilité des facteurs de production au niveau international (seules les marchandises circulent)
4. et enfin la productivité doit être constante. »
Aujourd’hui, les marchandises circulent certes, mais l’argent circule en un clic, et les usines circulent sans freins sur la planète. La productivité n’est pas constante, étant donné les progrès techniques, et la concurrence est parfaitement déloyale.
Cela signifie que l’on a retenu le concept de libre-échange, en oubliant complètement les quatre conditions de sa réussite.
C’est ainsi que les fortes baisses des droits de douane décidées en 1994et les mesures visant à supprimer les «obstacles aux échanges», ont rendu extrêmement simple :
1. d’abord la fermeture des usines en France pour les installer dans des pays à bas coûts,
2. et ensuite l’exportation quasiment gratuitement dans le pays quitté, des produits fabriqués dans ces nouvelles usines à des prix de dumpings, donc avec des marges pharaoniques.
L’opération est toujours gagnante. Même les émissions de gaz à effet de serre liées au transport des marchandises ne sont pas décomptées aux émetteurs. La concurrence est totalement faussée.
Voilà Pourquoi le Président Macron a dressé en 2020 devant l’ONU un bilan au vitriol de la mondialisation https://www.pauvrete-politique.com/_files/ugd/146df5_ccdcb626c67c443a94996e9f62ea49f5.pdf