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La fin des banques centrales telles qu’on les connaît

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Lorsque le nom de Christine Lagarde, ancienne directrice générale du Fonds monétaire international (2011-2019), fut évoqué pour la première fois dans la course à la présidence de la BCE, certains ont craint qu’elle ne dispose pas de l’expertise technique de son prédécesseur. Mario Draghi, un économiste chevronné du MIT, a dirigé la Banque centrale italienne avant de prendre ses fonctions en 2011. Contrairement à lui, Mme Lagarde, juriste et politicienne française, n’avait jamais conçu de politique monétaire avant de rejoindre la BCE. C’est également le cas du vice-président Luis de Guindos. Même s’il est économiste de formation, l’ancien ministre espagnol de l’économie semble être plutôt une figure politique sur la table d’honneur de la BCE.

Des économistes en pleine ascension

Le contact avec le grand public a été l’une des priorités du mandat de Christine Lagarde. Cependant, seulement trois économistes de renom faisaient partie de sa nouvelle équipe. Deux avaient déjà géré une banque centrale nationale dans le passé. Philip Lane a été gouverneur de la Banque centrale d’Irlande (2015-2019). En cette qualité, il était membre de droit du Conseil des gouverneurs de la BCE. Fabio Panetta a été gouverneur adjoint principal de la Banque d’Italie en 2019. Isabel Schnabel a une formation essentiellement académique. Elle a été professeur d’économie financière à l’université de Bonn et conseillère du gouvernement allemand. Largement respectée en tant qu’experte des marchés financiers et de la réglementation bancaire, elle est rapidement devenue l’un des membres les plus actifs du conseil d’administration. Responsable des opérations de marché, elle supervise les programmes d’achat d’obligations, notamment le PEPP, qui est l’une des tâches les plus importantes de la BCE dans le contexte actuel.

Une gestion polyphonique

Depuis l’épidémie de coronavirus, Mme Schnabel a également joué un rôle de premier plan dans l’annonce, l’explication et la défense des décisions stratégiques de la BCE, notamment avec son plan de relance monétaire sans limite. Son principal objectif est de rassurer les marchés financiers.

Cette année, ses collègues du directoire ont également considérablement renforcé leur présence dans les médias, chacun d’eux révélant sa propre vision de la gestion de la crise financière.

Dès le début, la sensibilisation du grand public à ces questions a été l’une des priorités de Mme Lagarde. Avant de lancer de nouvelles initiatives majeures, son équipe a sollicité les réactions des parties prenantes, entreprises, représentants du secteur financier, associations industrielles, organisations de la société civile, universitaires ou simples citoyens. Des consultations publiques ont récemment été organisées sur la création d’un « euro numérique », par exemple. Une série d’événements regroupés sous le label « BCE à l’écoute » invite les citoyens à participer à une réflexion collective sur le premier réexamen de la stratégie de l’institution depuis près de 18 ans.

L’équipe de direction de Mme Lagarde fait preuve d’une unité quasi inédite à la BCE. M. Draghi lui avait laissé une institution profondément divisée. En particulier vers la fin de son mandat, son caractère « je décide, vous suivez » a été très contesté, y compris dans le petit cercle des responsables du directoire. En un temps record, Mme Lagarde a mis en place un conseil d’administration cohérent avec des personnalités fortes dont les voix comptent autant l’une que l’autre, ce qui a rendu les débats à la BCE plus tempérés.

L’inconvénient d’ériger un puissant corps de conseillers économiques est que le chef peut être mis à l’écart. Mme Lagarde ne semble plus être « celle qui montre la force en termes de direction de la BCE », a fait valoir un analyste en investissement. Parfois, « il est difficile de savoir qui écouter, alors qu’avec Draghi, c’était clair », a ajouté un autre. Le fait que les six membres du conseil d’administration s’expriment très régulièrement rend plus difficile aux acteurs du marché de se faire une opinion sur la portée (et l’efficacité) des décisions de la BCE. Cela constitue une nouvelle source d’incertitude qui peut mettre les marchés sous tension.

Les constructeurs de modèles

La crédibilité du directoire repose en grande partie sur une équipe d’environ 400 économistes, réunis au siège de la BCE à Francfort-sur-le-Main. Le travail de ces chercheurs hautement qualifiés consiste à construire et à améliorer des modèles macroéconomiques qui devraient être utiles aux décideurs. Depuis des années, ils sont à l’avant-garde du développement de modèles économétriques destinés à aider les décideurs à évaluer les conséquences et les effets secondaires possibles de différents scénarios politiques.

Un thème de recherche récurrent porte sur la nature des chocs qui frappent nos économies de manière répétée. La BCE encourage également les analystes à « prendre du recul » et à réfléchir à des questions fondamentales : quelles sont les raisons de la faible croissance persistante, ainsi que les solutions envisageables ? Après des années d’assouplissement quantitatif, pourquoi l’inflation n’a-t-elle pas décollé ? Quels sont les facteurs qui entravent la transmission (et donc l’efficacité) de la politique monétaire ? Comment les acteurs du marché formulent-ils leurs attentes concernant des variables clés telles que l’inflation, le risque de crédit, ou même les futurs plans d’action de la banque centrale ? Comment pouvons-nous mieux comprendre les causes et les effets des interactions économiques ?

Isabel Schnabel

Depuis qu’elle a rejoint le conseil d’administration de la Banque centrale européenne, Isabel Schnabel a joué un rôle actif dans l’explication de la stratégie Covid-19 de la BCE au grand public. « En fin de compte, le succès des politiques dépendra de la qualité de nos modèles », a déclaré l’économiste français Benoît Coeure aux étudiants en doctorat de l’Ecole d’économie de Paris, moins d’un mois avant la fin de son mandat au sein du directoire de la BCE. Il a également exhorté les futurs économistes à ne pas prendre les modèles macroéconomiques pour des vérités absolues et à dépasser la limite « où la science s’arrête et l’idéologie commence ». Nous devons cette lucidité « à nous-mêmes en tant que décideurs politiques » et « à la société dans son ensemble », a-t-il ajouté.

Il est rare que les hauts responsables de la BCE parlent aussi franchement des défis auxquels les décideurs sont confrontés au quotidien lorsqu’ils tentent de combler le fossé entre la « science » et la « pratique » de la politique monétaire. Dans son discours de décembre 2019, M. Coeuré a mis en lumière les dilemmes professionnels des membres du directoire lors de crises existentielles, comme la pandémie actuelle.

Les arguments en faveur de la relance monétaire illustrent parfaitement ces difficultés. Si la stimulation n’est pas suffisamment importante, la pandémie peut causer des cicatrices durables à l’économie et au niveau de vie. Si elle est trop importante, d’autres risques pourraient se matérialiser, notamment un endettement excessif et – même si cela semble peu probable à l’heure actuelle – une inflation incontrôlable.

Pour l’élite des économistes de la BCE, la deuxième option est préférable à la première. La BCE devrait « se tromper en faisant trop plutôt que pas assez », a déclaré M. Panetta dans une interview en septembre dernier.

Cette remarque reflète l’approche par tâtonnements de l’équipe actuelle en matière de banque centrale. Trouver un « équilibre entre prudence et pragmatisme », c’est ainsi que l’économiste en chef Philip Lane l’a formulé.

Repousser les limites

Lorsque la BCE a été fondée en 1998, la banque centrale expérimentale aurait été considérée comme un oxymore. Les traités de l’UE lui avaient confié un mandat clair et étroit : préserver le pouvoir d’achat de la monnaie unique. La stratégie consistait à cibler l’inflation par le biais des taux d’intérêt. Pour la vieille garde des banquiers centraux, la mission principale de l’institution était de mener la politique monétaire, et en aucun cas la politique budgétaire.

Et si, tout d’un coup, l’inflation augmentait en raison d’une relance économique massive ?
L’indépendance totale de la BCE vis-à-vis des interférences politiques était au cœur du projet de la zone euro. Elle était considérée comme un fondement de la confiance que les citoyens pouvaient avoir dans l’institution. Pour éviter une domination fiscale sur la politique monétaire, les traités interdisaient explicitement le financement monétaire par la BCE.

Depuis la crise financière de 2008, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Le champ d’action de la BCE a été considérablement élargi avec le président Draghi, malgré les craintes d’une plus grande politisation de la Banque centrale. À l’époque, plusieurs décisions de politique monétaire mises en place par M. Draghi ont été contestées devant les tribunaux. Elles ont été considérées par certains comme un dépassement illégitime du mandat initial de la BCE. Cependant, la Cour européenne de justice a statué en 2018 que la Banque n’enfreignait pas le droit communautaire lors de la mise en œuvre de ses programmes d’assouplissement quantitatif toujours plus ambitieux.

Avec la crise du Covid-19 et les mesures financières extrêmes qu’elle exige, le travail de la BCE devient plus délicat, tandis que son champ d’action s’élargit sans cesse. La prochaine révision de la stratégie, promise par Mme Lagarde dès son entrée en fonction, a été reportée à septembre 2021 en raison de la pandémie. Elle devrait définir une série de nouvelles missions de la BCE, qui sont résumées sur son site internet par la devise : « Nous ne négligerons aucun détail ».

Déplacer la cible

En ce qui concerne le mandat de stabilité des prix de la BCE, l’objectif d’un taux d’inflation « inférieur mais proche de 2 % à moyen terme », défini par l’examen stratégique de 2003, semble avoir perdu son utilité. Il y a de nombreuses spéculations sur la manière dont l’objectif pourrait évoluer dans le cadre de la révision de 2021.

Dans le contexte actuel de faible inflation, une hausse de l’objectif semble peu probable. Après des années de politique monétaire ultra-expansionniste, le taux de 2 % était déjà inaccessible. Augmenter l’écart entre l’inflation réelle et l’inflation ciblée ne ferait que nuire davantage à la réputation de la BCE.

Certains membres du conseil des gouverneurs ont demandé que le taux cible soit ramené à 1 ou 2 %. Cela aussi comporte des risques, sans parler du fait que les mesures de lutte contre l’inflation sont souvent surévaluées.

Que se passerait-il si, tout à coup, l’inflation augmentait en raison d’une relance économique massive ? L’objectif devrait-il être plus « souple » (applicable sur un horizon plus long, par exemple), comme d’autres le suggèrent ?

Le seul indice que Mme Lagarde a donné jusqu’à présent est que l’objectif devrait être revu « d’une manière que le public puisse facilement comprendre ».

De nouvelles batailles

On peut s’attendre à ce que l’imbrication des politiques monétaire et budgétaire se poursuive. Face à un environnement macroéconomique imprévisible et à une marge de manœuvre limitée en matière de politique monétaire, la BCE pourrait se tourner de plus en plus vers la politique budgétaire.

Son plus grand défi sera de parvenir à un « bon dosage entre la politique budgétaire et la politique monétaire », écrit l’économiste Olivier Blanchard dans un récent mémo adressé à Mme Lagarde. En période de grave récession, un soutien budgétaire trop faible est risqué – non seulement financièrement, mais aussi politiquement ; un soutien trop important crée d’autres problèmes, avertit l’économiste. Les écarts élevés et la volatilité des marchés des actifs ne constituent qu’une part du problème.

Le fait que la BCE soit confrontée non pas à un, mais à dix-neuf partenaires budgétaires (pour la plupart différents) dans la zone euro ne facilite pas les choses. Dans les mois à venir, le débat reporté sur la création d’une union fiscale pourrait reprendre.

Tout en mettant en œuvre son propre programme de politique fiscale, la BCE de Mme Lagarde pourrait être séduite par des combats éthiques tels que l’inégalité. La redistribution des revenus, qui doit être traitée par les nouveaux outils politiques en cours de discussion, tels que « la monnaie hélicoptère », devient une préoccupation. La BCE, qui est à l’écoute des parties prenantes, parle même désormais d’ »égalité des sexes ».

Aller trop loin dans le domaine de l’écologie et de la distribution pourrait s’avérer problématique.
Son autre grande cause sera la lutte contre le changement climatique. Depuis le début de son mandat, Mme Lagarde a ouvert la voie à l’utilisation des colossaux programmes d’achat d’actifs de la banque pour poursuivre des objectifs respectueux du climat. Frank Elderson, membre du directoire, qui s’est fait un nom en créant le Réseau pour l’écologisation du système financier, jouera certainement aussi un rôle clé dans l’ »écologisation » de la BCE.
Montrer une préférence pour les investissements à faible intensité de carbone n’est pas incompatible avec le rôle de la BCE en tant que superviseur des marchés financiers. L’achat systématique d’obligations vertes dans le cadre des programmes d’achat d’actifs de la BCE est cependant bien différent. L’institution peut, et devrait, avoir au mieux un « effet marginal » sur la lutte contre le réchauffement climatique, estime M. Blanchard.

M. Blanchard a raison : si elle est tiraillée entre trop de directions, la BCE court le risque de « ne pas remplir son mandat principal du mieux qu’elle peut ».

Cet état des lieux n’est donc pas négatif. Mais la vraie question reste de savoir quels doivent être les objectifs de la BCE. Nous croyons qu’il n’est ni de son devoir ni de son intérêt d’élargir démesurément ses interventions. Aller au-delà des Traités européens risque d’accroitre les ruptures au sein de l’Europe. Viendra un jour peut-être prochain où chaque pays devra quitter l’Europe ou s’y intégrer. Nous croyons que cette perspective n’est pas la bonne. Mais pour l’éviter, il faudrait que les institutions européennes, y compris la BCE, reviennent à plus de modestie. Il suffirait d’ailleurs qu’elles appliquent décemment les Traités européens et notamment le principe de subsidiarité.

Lire l’article sur le site du GIS

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4 commentaires

Ba 12 mars 2021 - 8:07

Très mauvais pour l’économiste sérieux
Cet article est nul et non avenu.

Il est factuellement faux par exemple sur l’inflation, qui est en réalité considérable (9% sur les 9 dernières années).

Rien de ce qui est dit n’a de pertinence pour toute personne éduquée et au fait de la théorie économique.
L’auteur ne se place même pas une fois du côté des agents qui subissent la prétendue politique monétaire, alors que c’est le plus important.

Pour rappel, la BCE n’est rien d’autre qu’une des incarnations du complot contre les peuples pour les voler sans qu’ils s’en aperçoivent (ainsi que les empêcher de faire des projets de long terme), c’est ce qui aurait dû être démontré dans l’article.

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alain 12 mars 2021 - 1:39

La fin des banques centrales telles qu’on les connaît
Merci à BA de nous rappeler la réalité du système financier et de son dévoiement de la monnaie par quelques uns, notamment au sommet de la pyramide , la BRI , dont on parle bien peu.

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UtR 16 mars 2021 - 12:24

Ad personam
Je suis étonné du commentaire de Ba. Caché dans l’anonymat, il fait une critique ad personam qui n’aurait dû jamais être admise par l’administrateur d’un site qui prétend être le lieu d’« une analyse argumentée », selon ses propositions.
Par ailleurs, faire le reproche qu’un article sur les changements de l’équipe de la BCE ne parle de théories conspiratrices montre bien l’inutilité de la critique.
Certainement, Ba n’a pas fait une contribution glorieuse à la science économique ou à la bonne éducation.

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Olivier 16 mars 2021 - 5:27

Absolument d’accord avec UtR
Absolument d’accord avec UtR.
Les réseaux sociaux demandent la politesse et la critique fondée.
Le commentaire de Ba dénigre sans raison l’auteur dont l’affront aurait été d’écrire un article sur la BCE sans démontrer le « complot » organisé par celle-ci pour « voler le peuple ».
Aussi Ba reproche-t-il à l’article d’être factuellement faux. Pour une raison qu’on ignore, Ba agrège l’inflation sur les 9 dernières années. Pourquoi seulement 9 ans ? Et non pas 12, 23 ou 40 ans? Tant qu’à faire, pourquoi ne pas agréger l’inflation de tout un siècle, et nous aurions la preuve que nous vivons en hyperinflation? Pas besoin d’être un économiste sérieux ni même une personne éduquée et au fait de la théorie économique pour comprendre l’absurdité de tels raisonnements.

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