Fin septembre, Kwasi Kwartend, alors ministre des finances de Liz Truss, présentait un « mini-budget » pour un Royaume-Uni économiquement mal en point ; budget qui prévoyait tout à la fois des baisses d’impôts massives (pour 45 milliards de livres) et des dépenses nouvelles pour soutenir les ménages face à la crise. Cette annonce pour le moins contraire à la rigueur budgétaire a jeté de l’huile sur le feu des marchés financiers qui étaient déjà en surchauffe. La livre s’est effondrée et Liz Truss dut rendre son tablier. Pour certains chroniqueurs ces événements sonneraient « la fin du néo-libéralisme », les marchés financiers (à l’instar du FMI et de la banque mondiale) ayant désormais opté pour le « social-libéralisme ». Est-ce là une lecture correcte des événements ? Ne serait-ce pas plutôt le fait que l’on ait tourné le dos au libéralisme et à l’orthodoxie monétaire depuis près de 50 ans qui explique nos difficultés actuelles… et, il faut le craindre, à venir ?
FMI, FED, BCE, Banque d’Angleterre, etc : ils sont devenus les deus ex machina de notre monde moderne
On a décidé de tourner –un peu plus– le dos au libéralisme en 1975, en laissant officiellement flotter le dollar. Très vite les gouvernements ont appris comment tirer parti de cette situation (qu’ils avaient voulue) en laissant filer les déficits et gonflant la dette publique de façon quasi-ininterrompue pour atteindre aujourd’hui dans certains pays –dont les Etats-Unis et la France—des sommets ahurissants. Tout cela sous les yeux des grands organismes au rang desquels on trouve le FMI mais aussi les Banques centrales : FED, BCE, Banque d’Angleterre, etc. Ces organismes étaient censés au départ maintenir une certaine rigueur dans la gestion monétaire et, indirectement, veiller sur la santé des finances publiques. Mais il est clair aujourd’hui qu’ils n’ont rien fait de tel. Loin de rester indépendants, ils se sont progressivement « politisés » (avec un attrait évident pour la social-démocratie ambiante). De mèche avec les gouvernants, ils sont devenus les deus ex machina de notre monde moderne ; capables, selon eux, de relancer l’économie, de la freiner, de la protéger grâce à leurs conseils et leurs interventions.
Les marchés financiers ont eux aussi rapidement pris la mesure des changements opérés, spéculant non plus tant sur les performances des entreprises que sur les prochaines annonces des grands argentiers dont on reçoit les commentaires comme des oracles. Ils ont aussi développé toutes sortes d’instruments visant à se protéger des décisions politiques, qu’elles émanent des gouvernements ou des banques centrales ; tout en essayant, bien entendu, de tirer le meilleur parti de cette situation. La plupart du temps les marchés financiers ont su bien naviguer dans cet environnement instable de telle sorte qu’il devenait sans doute plus facile de s’enrichir par la finance qu’en développant son entreprise. Mais les « protections » (hedging) mises en place contre les changements de politique ne sont pas sans faille ainsi que nous le constatons une fois encore depuis quelques semaines.
Depuis plus de six mois, en effet, la FED a changé sa politique du tout au tout. Ainsi, le 2 novembre dernier elle augmentait pour la sixième fois consécutive depuis le mois de mars son taux directeur qui est passé en six mois de 0-0,25% à 3,75-4%. Parallèlement, la FED a abandonné sa politique de rachat d’actifs (Quantitative Easing) et s’est mise à les vendre, ce qui a fait chuter leurs prix et donc monter d’autant plus les taux obligataires.
Les conséquences de ce changement de politique monétaire sont nombreuses et profondes. En premier lieu, une bonne partie de la remontée du dollar par rapport à l’euro ou encore la livre (et les barils sont négociés en dollars…) est imputable à ce changement. Est-ce que cela permettra au moins de juguler l’inflation ? On voudrait y croire mais rien n’est moins certain car la masse monétaire (plus précisément M2 pour les amateurs) a augmenté de 41% entre février 2020 et mars 2022. Or, ainsi que le disait Friedman : « La politique monétaire, ce n’est pas les taux d’intérêt mais la croissance de la quantité de monnaie ». Mais ce retournement de politique a également plongé certains acteurs majeurs des marchés financiers—en particulier les fonds de pension mais aussi certaines banques—dans une situation très délicate.
Liz Truss apparaît bien plus comme une politicienne maladroite et inconsciente que comme la source du problème
L’explication, quoiqu’un peu compliquée, vaut le détour. Dans un contexte de taux d’intérêt faibles, les fonds de pension, désireux de couvrir le risque d’une augmentation de leurs dettes vis à vis des retraités présents et à venir, se sont lancés dans des LDI (Liability Driven Investment). Ces instruments, apparemment miracles, consistent à placer les actifs du fonds de pension dans un autre établissement financier (en général une banque) qui les « garde » et, en échange, prête de l’argent au fonds de pension qui pourra racheter ses actifs lorsqu’il en aura besoin. Si tout va bien, cela garantit au fonds de pension qu’il disposera, quelle que soit l’évolution des taux, des sommes nécessaires pour payer les pensions (et en plus cela met à sa disposition une force d’investissement à court terme). Problème : ce montage oblige le fonds à garder tout de même des liquidités en proportion inverse de la valeur de ses actifs qu’il a « déposé » chez les banques. Ainsi, lorsque les obligations qu’il a « confié » à la banque perdent de leur valeur sur les marchés (suite par exemple aux nouvelles politiques de la FED, ou à des annonces inquiétantes du gouvernement Truss), le fonds doit accroître le montant de ses liquidités sous peine de voir ses positions liquidées. C’est ce que l’on appelle un « appel de marge ». En l’absence de réponse, le fonds risque la faillite (comme Orange County en 1994 ou Bear Stearns en 2007, ce dernier étant racheté in extremis par J.P. Morgan avec l’argent du Trésor Public).
Mais trouver des liquidités dans l’urgence n’est pas chose facile et c’est bien le problème rencontré à Londres fin octobre par les fonds de pension : beaucoup cherchaient soudainement à vendre pour retrouver des liquidités et échapper à la faillite, mais les acheteurs étaient rares et offraient de vils prix car les taux d’intérêt étaient à la hausse. La Banque d’Angleterre, se retrouvant dos au mur, vola donc au secours des fonds et annonça qu’elle était prête à racheter pour 65 milliards de livres d’actifs si nécessaire. Les fonds et les banques qui les accompagnent sont too big to fail…
Nous sommes donc passés une fois encore très près de la catastrophe. Alors est-ce que tout cela était la faute de Liz Truss et du libéralisme ? Si tel était le cas on devrait effectivement en conclure qu’il suffit de s’éloigner du libéralisme pour s’assurer un avenir serin. Mais quand on analyse méticuleusement les faits ainsi que nous avons tenté de la faire, Liz Truss apparaît bien plus comme une politicienne maladroite et inconsciente que comme la source du problème. La source du problème réside dans les choix d’une gouvernance à vue et sans principe, mise en place par nos élites politiques, avec l’appui des autorités monétaires et de connivence avec les marchés financiers (tout du moins les acteurs clés de ce marché). Jo Biden l’a dit : « Milton Friedman ne dirige plus le show » (Milton Friedman isn’t running the show anymore), ajoutant qu’un plan de relance de 2000 milliards de dollar était très largement insuffisant. C’est bien cela qui devrait nous faire trembler. Il nous faut plus de Milton Friedman, pas moins.
4 commentaires
Merci de votre article. La mondialisation a rendu les dirigeants fous et complètement incompétents ! Seul, un vrai libéralisme pourrait nous sauver alors que c’est le socialobolchévisme qui l’emporte partout ?
Et les électeurs qui ne comprendront… peut être.. que le jour où il sera trop tard !?
Une calamité nous attend.
Un peu curieuse cette succession de premiers ministres Anglais. Une petite entourloupe pour mettre à la tête du pays un riche banquier? Wait and see.
Liz Truss, bouc (si j’ose dire) émissaire des inconséquences de ses prédécesseurs. En 45 jours elle endosse les fautes de 20 ans d’errements et de politique « mal à droite ». Je ne vois pas ce que viens faire le libéralisme là -dedans. En tous cas, merci à Nicolas d’avoir, encore une fois, posé le doigt là où ça fait mal.
Un peu comme Macron alors ?