L’élection présidentielle algérienne occupe une place importante dans l’actualité. Les récentes manifestations contre le président sortant Bouteflika et sa démission mettent en avant les faiblesses politiques du pays et font craindre une crise majeure qui aurait des répercutions à l’international. Pour autant, il ne faut pas ignorer un acteur ayant des intérêts en Algérie qui ne resterait certainement pas inactif en cas de troubles sévères : la Russie.
Un rapprochement politique et économique entre l’Algérie et la Russie en faveur de cette dernière
L’Algérie possède les deuxièmes plus grosses réserves de gaz naturel (4.6 trillions de mètres/cube) en Afrique après le Nigéria (5,2 trillons de mètres/cube). De plus, 95% des exportations algériennes sont issues des hydrocarbures et représentent plus de 30% du PIB du pays. Pour la Russie, qui cherche à conserver son contrôle sur le marché gazier, l’Algérie est donc un acteur non négligeable. Gazprom, en tant qu’entreprise d’Etat russe et outil de la stratégie économique du gouvernement russe, s’est progressivement implanté en Algérie en tissant des partenariats avec Sonatrach, la compagnie d’hydrocarbure contrôlée par l’Etat algérien.
Mais la coopération entre les deux pays dépasse le simple domaine des hydrocarbures et prend un tournant plus politique avec les armements. Selon la Chatham House, l’Algérie représente, entre 2000 et 2016, la moitié des exportations d’armement russes en Afrique du nord et au Moyen-Orient, et est ainsi le premier client de Moscou dans cette région. En outre, pendant cette période, Alger est le troisième client de la Russie, dans ce domaine, à l’échelle mondiale après l’Inde et la Chine. Cette coopération s’est politiquement renforcée en 2018 avec le souhait de créer une entreprise de fabrication d’armement conjointe entre les deux pays ou de mettre en place des projets communs en cybersécurité.
La différence de puissance politique et économique entre l’Algérie et la Russie fait qu’une telle coopération joue en faveur de Moscou. Dès 2006, le président Poutine contrôle la relation en annulant la dette militaire algérienne de 4.7 milliards de dollars envers la Russie en échange de l’acceptation par l’Algérie d’acheter 7.5 milliards de dollars d’armement russe. Moscou peut utiliser la dépendance de l’Algérie en matière de défense pour poursuivre ses objectifs. Une situation qui n’est pas sans inquiéter les Etats-Unis en 2018.
L’Algérie un pays indispensable pour le projet de cartel gazier de la Russie
Le gouvernement russe, par l’entremise d’influences politiques grâce aux domaines économiques qu’il contrôle, renforce sa présence sur la scène internationale. Du fait de l’accent mis sur les hydrocarbures, Moscou utilise ce secteur comme un véritable outil dans ces relations étrangères. En ce sens, Alger est un allié naturel et objectif pour la Russie. Les principaux clients de l’Algérie sont des Etats européens avec en tête l’Italie (14% des exportations algériennes en 2018) suivi de l’Espagne (12%) et la France (11%). L’Algérie est le troisième fournisseur gazier des pays de l’UE (12% des importations européennes de gaz en 2016) après la Russie (39,9%) et la Norvège (24,8%). De ce fait, l’Algérie et la Russie peuvent ensemble contrôler l’approvisionnement du gaz européen.
Dès 2006, la Russie et l’Algérie ont conclu des accords de coopération en matière de gaz, suscitant la crainte d’une « duopolisation » du marché gazier européen. Si celle-ci ne s’est pas concrétisée à cette époque, le changement de situation ces dernières années remet ce risque sur le devant de la scène. Du fait de la dégradation des relations avec l’Occident à la suite de l’annexion de la Crimée, la Russie se tourne vers un certain nombre d’Etats pour mieux cerner et contraindre l’Europe. Le rapprochement, pour ne pas dire l’alliance, avec l’Iran (qui possède les deuxièmes réserves de gaz naturel au monde après la Russie) témoigne du regain d’intérêt russe, pour assurer sa mainmise sur le marché gazier, en Asie et Moyen-Orient. L’Algérie et l’Iran intensifiant également leurs relations, l’hypothèse d’une alliance énergétique Moscou-Téhéran-Alger n’est pas à sous-estimer, surtout dans un contexte de prise de distance avec l’Occident.
Certes, les liens entre l’Algérie et la Russie restent moins forts actuellement que ceux entre Moscou et Téhéran mais restent suffisamment importants pour que le Kremlin suive de près les évènements actuels. La Russie n’acceptera pas que ses projets soient menacés en cas de changement de régime. Le soutien russe à Maduro lors de la crise vénézuélienne, un autre Etat rentier, est révélateur de sa stratégie à savoir de garder une influence politique et économique dans des Etats stratégiques en matière d’hydrocarbures. Par conséquent, la situation interne algérienne peut engendrer une nouvelle zone de tension internationale.