Avec la situation en France et dans le monde, l’événement est passé inaperçu. Il y a 45 ans, le 17 avril 1975, les Khmers rouges entraient dans Phonm Penh. Rithy Panh s’y trouvait. Il n’avait que onze ans. Il a été le témoin, pendant quatre ans, jusqu’en 1979 quand il réussit à se réfugier en Thaïlande (il arrive en France en 1980), des exactions et des crimes innommables commis par le régime de Pol Pot. Parmi les victimes – 1.8 millions de morts, soit environ un quart de la population cambodgienne de l’époque – figure une grande partie de sa famille dont sa mère, son père, ses sœurs.
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L’auteur a déjà consacré plusieurs livres, dont L’élimination (2011), et des films (il est un cinéaste reconnu), à cette terrible tragédie. Cette fois-ci, il raconte son voyage au Cambodge à la recherche des dépouilles de ses parents jetées dans l’une des centaines de fosses communes qui font partie du paysage cambodgien… Le voyage est l’occasion – terrible – de se rappeler ce qu’il avait vu et vécu à seulement onze ans. C’est aussi l’occasion de rencontrer les survivants parmi les bourreaux et les victimes, un prétexte pour essayer de comprendre comment l’homme peut faire autant de mal au nom d’une idéologie.
Il se souvient de son père mort et enseveli dans une feuille de tôle, de sa mère qui s’est allongée à côté de sa sœur morte de faim et qui pendant quelques jours n’avait même plus la force de gémir. Il se rappelle les hurlements atroces des suppliciés tués d’un coup de pioche pour la simple raison qu’ils…portaient des lunettes, signe d’appartenance à la « bourgeoisie », il se rappelle la voix du chef des Khmers rouges qui utilisaient les cadavres comme engrais dans les champs où ils cultivaient des potirons. Il se rappelle encore cet homme qui avait eu l’outrecuidance de se plaindre parce qu’il avait faim, qui avait été enduit de sucre, laissé au soleil et dévoré par les fourmis. « La faim est une souffrance impossible à comprendre. La faim n’est pas une idée. La faim est un esclavage, bien sûr. Et la famine une politique et un outil de mort », écrit Rithy Panh. Au centre d’extermination S 21 dirigé par le sinistre Dutch, on entrait mais on ne ressortait pas. C’est là qu’on a expérimenté les plus inimaginables formes de torture et d’assassinat sur des enfants, des femmes, des vieillards, des hommes. Avant d’y pénétrer, ils avaient tous un nom, une fois à l’intérieur ils devenaient des numéros accrochés à même la peau avec des épingles.
L’auteur rencontre des bourreaux. Très rares sont ceux qui expriment des regrets. Du bout des lèvres. Que dire des négationnistes ? Ceux qui, au nom de l’aveuglement idéologique, nient cette tragédie. Comme Noam Chomsky qui voit forcément la main de l’Amérique et excuse les bourreaux. Comme la France qui a formé les révolutionnaires khmers rouges. Comme Le Monde qui a titré en Une : « Sept jours de fête pour une libération » (18 avril 1975). Comme le philosophe Alain Badiou qui considère que, « vu l’importance exceptionnelle de l’enjeu, il n’y a pas de quoi crier au génocide ».
«Au Cambodge, écrit l’auteur du livre, les gens sont morts par centaines de milliers, de faim ou de maladie, ou exécutés – toutes conditions nées de l’idéologie». Il ne faut jamais les oublier et sous-estimer cette idéologie.
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La tragédie du peuple
Ces écrits serviront à la nouvelle génération la vision de la cruauté humaine liée à l'idéologie. Cette histoire nous apprendra à ne pas commettre une telle atrocité.