L’environnement est, depuis toujours, une préoccupation majeure de l’espèce humaine. Cet ouvrage collectif le rappelle sous de multiples formes. Son titre surprendra peut-être, bien qu’il coule de source : c’est par le truchement d’entrepreneurs que naissent les richesses dans tous les domaines ; pourquoi ne pas les associer aussi au bien-être environnemental et réaliser ainsi le rêve que proposait l’Arcadie de Jouvenel à la jeunesse soixante-huitarde[1], plutôt que de concevoir l’écologie tel un domaine réservé de l’action publique ?
L’esprit d’entreprise a fait des merveilles dans l’industrie et dans les services : songeons à l’exceptionnel progrès des communications depuis l’an 2000 par exemple ; rien n’empêche qu’il en soit de même avec l’écologie. Car l’entrepreneuriat est, entre tous, le premier des services publics : une activité de résolution de problèmes, ne s’arrêtant à aucun secteur, aucune typologie posés a priori.
Pour les entrepreneurs, préserver l’environnement n’est pas nécessairement un défi plus compliqué que celui de relever une Europe mise à terre par deux conflits mondiaux suicidaires. Plutôt que de s’en remettre à une technocratie hors sol prescrivant aux professionnels leurs façons de faire – actualité oblige, on pense notamment aux agriculteurs – mieux vaut s’en remettre à l’action d’entrepreneurs capables de valoriser la nature sans y sacrifier nos conditions d’existence. Le rapport qualité-prix du service écologique rendu à l’humanité n’en sera que plus élevé.
Telle est, en définitive, le propos des contributions réunies dans ce livre. Celui-ci s’appuie d’abord sur des cas concrets : sa première partie expose cinq témoignages qui illustrent combien la préservation de l’environnement est d’abord affaire d’engagement individuel : John Baden (chapitre 1) montre que quelques hommes entreprenants ont, avec des moyens simples et peu coûteux rappelant l’innovation frugale, réimplanté en Amérique du nord des espèces sauvages emblématiques de certains milieux (castors et grues) ; il rappelle également l’inspiration libérale des travaux d’Elinor Ostrom, l’un des rares Prix Nobel d’économie s’étant spécifiquement consacré à la question de l’environnement. Iain Murray (chapitre 2), en prenant l’exemple de la corne de rhinocéros, montre que les technologies actuelles contribuent à juguler les trafics animaliers ; cette même technologie fournit aussi aux paysans des titres de propriété foncière dont ils sont souvent privés dans les pays pauvres. Paul Schwennesen (chapitre 3) est un éleveur dont l’exploitation se situe aux confins de zones protégées ou désertiques. Il rappelle quelques exemples d’appropriation de « communs » environnementaux et met en exergue les bienfaits des marchés de l’eau. Sjoerd Wartena (chapitre 4) présente, quant à lui, l’association Terre de liens, facilitant le retour à la terre d’une population différente des exploitants traditionnels de nos campagnes. Reed Watson (chapitre 5), enfin, décrit comment des bénévoles américains ont investi du temps, du savoir-faire et de l’argent pour réhabiliter les fonds coralliens de Floride, jugulant ainsi la disparition d’espèces aquatiques endémiques.
La deuxième partie du livre aborde trois questions montrant que l’existence, le maintien et le respect des droits de propriété, ressorts essentiels de l’action humaine, contribuent au maintien des ressources naturelles et à leur mise en valeur. Pierre-Dominique Cervetti (chapitre 6) aborde ainsi la question de l’environnement en tant qu’objet de propriété immatérielle, reconnaissable par des droits correspondants. Thierry de l’Escaille (chapitre 7) rappelle que la conservation du milieu naturel est une stratégie rationnelle de la part des propriétaires fonciers : leur intérêt bien compris impose d’entretenir leurs forêts et leurs étangs afin d’éviter le dépérissement ou l’abandon des actifs correspondants. Robinson Tchapmegni (chapitre 8), enfin, aborde un problème doublement d’actualité : celui de la déforestation tropicale, au mépris des droits des populations indigènes qui la peuplent. Tel ne serait pas le cas si ces dernières bénéficiaient de titres de propriété reconnus par un cadastre – ou des droits coutumiers – opposables à la puissance publique (en l’occurrence, l’État nigérian prompt à sacrifier les conditions de vie des Pygmées à l’extraction pétrolière, évidemment pourvoyeuse de recettes fiscales). Cette reconnaissance du droit de propriété des populations les plus vulnérables, fait évidemment écho au fameux ouvrage d’Hernando De Soto, le Mystère du Capital (Flammarion, 2002).
La troisième partie de cet ouvrage couvre des questions d’économie et de science politique. Tristan Mocilnikar (chapitre 9) note que la croissance économique à l’est et au sud de la Méditerranée bute sur des crises récurrentes qui nuisent au développement et détruisent l’environnement. L’initiative privée pourrait ici s’opposer à cette dynamique. Pierre Desrochers & Erwan Queinnec (chapitre 10) montrent qu’au XIXè siècle, dans tout le monde occidental, les entreprises industrielles valorisaient leurs déchets sous l’effet de deux forces consubstantielles à l’économie de marché : la pression concurrentielle poussant à l’efficience économique d’une part ; la jurisprudence civile sanctionnant le préjudice occasionné aux riverains par la pollution, d’autre part. Lucia Cosmano (chapitre 11) s’interroge sur l’effet qu’aurait une politique publique stimulant l’entrepreneuriat écologique. David Dornbusch (chapitre 12) complète ce tableau. L’auteur a créé l’entreprise Cleantuesday, spécialisée dans l’appui aux énergies renouvelables. Hélas, le financement de celles-ci bute sur un marché européen fragmenté par un excès de normes et par des pratiques trop hétérogènes. François Facchini et Benjamin Michallet (chapitre 13) abordent le mode opératoire des politiques publiques et des formes d’entrepreneuriat qui leur sont associées. La réforme écologique top down consiste, pour faire écho à Montesquieu, à forcer les mœurs au moyen de la loi. Elle conduit à contraindre les récalcitrants, et sacrifie à une coûteuse activité de contrôle pour imposer l’écologie à la société humaine ; c’est le mode opératoire privilégié par le militant écologiste transformé en entrepreneur politique. En revanche, la réforme bottom up s’appuie sur l’action locale de l’entrepreneur associatif ou commercial, pour améliorer concrètement l’environnement ; mettre l’engagement écologique au service de cet entrepreneuriat de service produit des effets plus durables. Max Falque (chapitre 14) aborde enfin la question de l’entrepreneuriat institutionnel, c’est-à-dire un méta entrepreneuriat préparant le terrain sur lequel les projets de biens et services écologiques peuvent se déployer. L’auteur revient ensuite sur les leçons essentielles que lui inspire une vie professionnelle passée à étudier les effets vertueux de la propriété sur l’environnement, ainsi que les échecs de la politique publique en la matière.
La quatrième et dernière partie de l’ouvrage se concentre sur l’articulation entre entrepreneuriat et objectifs de politique publique. Michel Debruyne (chapitre 15) s’interroge ainsi sur la capacité des éco-entreprises à être à la fois rentables et « socialement responsables ». Dominique Bidou (chapitre 16) appelle, lui, les entrepreneurs à se saisir plus résolument du développement durable, pour en faire une opportunité de marché. Dans une veine similaire visant à concevoir les thématiques écologiques en termes d’opportunité entrepreneuriale, Yvette Lazzeri (chapitre 17) traite de l’économie circulaire et de son rapport – institutionnel, financier, opérationnel – à l’économie publique. Michel Marchesnay (chapitre 18), enfin, résume et compare deux traditions entrepreneuriales au regard de la question écologique : l’une, française, s’appuie sur des marchands, des industriels et des ingénieurs-constructeurs ; elle s’étiole depuis les « Trente glorieuses ». L’autre – l’entrepreneurship – serait consubstantielle à « l’âme américaine », portée à la résolution des problèmes sociétaux par les citoyens eux-mêmes et donc propice à l’éclosion d’un capitalisme à la fois entrepreneurial et social.
Jean-Pierre Chamoux conclut l’ouvrage sur une réflexion socio-politique. L’entreprise peut-elle contribuer à l’écologie, comme elle l’a fait pour le bien-être, la bonne santé et le confort pratique ? Elle le peut, d’abord, au regard de sa quête d’efficience. Ainsi, l’industrie pollue de moins en moins ; elle recycle énormément, sans avoir besoin d’y être forcée par la taxation et la loi. C’est en effet grâce au progrès technique et à la gestion précautionneuse des moyens disponibles que l’entreprise dégage des profits là où la gestion publique gaspille les ressources rares, faute d’incitation propriétaire à les économiser. Elle le peut, ensuite, en innovant sur toutes sortes de terrain : contractuel, technologique, commercial, financier, etc.
Au contraire, la poursuite imaginaire d’un introuvable « intérêt général écologique » légitime contraintes, normes et stérilisation économique dans l’intérêt idéologique et institutionnel d’un certain nombre de groupes de pression. L’utopie verte a des sources très anciennes: dix ans avant la Révolution française, Rousseau rêvait d’éradiquer les tares d’une société qu’il croyait pervertie par la civilisation : innocents et vertueux aux premiers temps du monde, les hommes se voyaient « pervertis par la science et les arts » ainsi que par les conventions sociales. Rousseau était un écologiste militant avant l’heure, affirmant que « ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes et perdu le genre humain ». Comme lui, l’écologisme militant accuse aujourd’hui l’industrie de dévoyer les hommes et d’agresser le milieu naturel. Son « endostatisme » – une inclination neurobiologique à l’ascèse, motivée par la rareté des ressources – le soumet à un idéal de frugalité contemplative, que nourrirait une économie de circuits courts et d’énergies renouvelables, évoquant le système de production médiéval. L’histoire ne dit pas (encore) si le servage constitue l’inévitable corollaire de ce rêve éveillé ; mais puisqu’à l’instar de Rousseau, l’écologisme en appelle à l’action corrective de l’État – puissance démiurgique réalisant le Bien envers et contre l’homme – il y a tout lieu de penser que la Route de la servitude, pour reprendre le titre du fameux ouvrage d’Hayek, emprunte volontiers le sentier de toutes sortes de trames vertes.
Le mérite de cet ouvrage est d’échapper à cette perversion militante. Les auteurs proposent une écologie raisonnable, qui inverse les termes du débat. Il s’agit de mettre l’écologie au service de l’humain, plutôt que celui-ci au service de l’écologisme.
[1] L’ouvrage prophétique de Bertrand de Jouvenel appelait ses semblables à inscrire l’écologie dans une perspective de progrès combinant le confort de vie avec l’exploitation raisonnable du monde : Arcadie, Essai sur le mieux-vivre, Futuribles, Paris (1968).
3 commentaires
Les agriculteurs disent qu’ils sont des entrepreneurs… C’est absolument faux ! Ce sont plutôt des fonctionnaires qui tendent la main en permanence. A eux d’aller négocier avec la distribution. L’industrie agro le fait bien ?! le rapport de force est le même. Les grands groupes ne représentent que 2% du CA des enseignes, alors que chacune d’elles (carrefour, auchan, leclerc…) représentent 20% chez eux. Quant à la concurrence déloyale, pour les autres c’est de la concurrence stimulante, qui crée de l’inventivité. çà c’est de l’entrepreneuriat !! Pour moi, le remède pour l’agriculture c’est de redimensionner leurs exploitations en augmentant leur CA (rapprochement d’exploitations) et en baissant proportionnellement leurs coûts fixes et leurs charges. çà c’est de l’entrepreneuriat !! Si les concurrents soi disant ne respectent pas les mêmes normes… Il suffit de communiquer fortement sur les avantages de leurs produits (qualité, respect de l’environnement..) Plus ils développeront leurs CA plus ils gagneront d’argent. Les techno politiques ne comprennent rien à cela. C’est contre les techno structures qu’il faut agir. Guy
Entrepreneur comme environnement est un mot valise qui comprend les marchands qui n’est pas une fonction nécessairement éco logique.
La nature à besoin du concours d’intellectuels. L’écologie qui comprends l’homme probablement aussi.
Bien à vous
Merci à l’IREF pour la promotion de notre ouvrage ! (E. Queinnec)