Alors qu’approchent les élections américaines et que le camp des Républicains a promis de « pilonner la Chine jusqu’aux élections », quel bilan peut-on dresser des politiques économiques de l’administration Trump à l’égard de la deuxième puissance économique mondiale ?
Depuis sa candidature à l’élection présidentielle de 2016, Donald Trump a porté et développé la critique de la Chine dans son pays. L’image de l’Empire du milieu s’est fortement dégradée dans la société américaine (et dans beaucoup d’autres pays) ces dernières années. En cause notamment: les transferts de technologie imposés aux entreprises américaines implantées en Chine, les atteintes à la concurrence par les entreprises contrôlées par le gouvernement, ou encore les politiques de dévaluation compétitive. Les pertes économiques causées par ces pratiques chinoises sont absolument saisissantes. Par exemple, concernant la propriété intellectuelle, ce que la Chine a volé aux États-Unis représenterait une perte estimée entre 225 et 600 milliards de dollars. Selon certaines estimations, une amélioration de la protection des droits de propriété américains en Chine pourrait créer près d’un million d’emplois aux États-Unis. Il est donc crucial pour les Etats-Unis d’agir contre ces pratiques.
Aussi Donald Trump, dénonçant ces exactions, a-t-il enclenché une guerre commerciale contre la Chine principalement par le biais d’imposition de droits de douane. Pendant près de 2 ans, depuis 2018, les États-Unis et la Chine n’ont cessé d’augmenter, dans une escalade protectionniste, les droits de douane sur de nombreux produits tels que le fer et l’aluminium, les panneaux solaires, le boeuf, le maïs et bien d’autres encore. En additionnant les taxes américaines et chinoises de 2018 jusqu’à janvier 2020, on obtient au total près de 735 milliards de dollars de produits affectés par l’imposition de droits de douane.
Le 15 janvier 2020, cet emballement protectionniste a pris fin avec l’accord bilatéral sino-américain. Quel est la nature de cet accord ?
Les engagements prévus par l’accord peuvent être classés en deux catégories. D’une part, il y a des engagements pris par la République populaire de Chine pour stopper ses pratiques illégales notamment en termes de propriété intellectuelle, de transfert de technologie et de dévaluation de monnaie dans un but compétitif. Même s’il manque toujours des mesures à propos des entreprises d’État, ces engagements sont plus que bienvenus. En parallèle, la Chine s’engage à acheter pour 200 milliards de dollars sur 2 ans de produits américains en plus par rapport au seuil de 2017. Ce chiffre est réparti sur quatre secteurs: les produits manufacturés (39%), les produits agricoles (16%), les produits énergétiques (26%) et les services (19%). Cet engagement pose problème car il contrevient aux réalités les plus élémentaires des échanges économiques entre la Chine et le États-Unis. Croire qu’il est possible de renverser la tendance structurelle du déficit commercial américain en établissant un certain montant minimum d’achats qu’un partenaire commercial devra effectuer est illusoire. Il est en réalité impossible pour la Chine de l’honorer. Six mois après l’accord, les achats de la Chine ne montent qu’à 23% des objectifs fixés par l’accord (le Coronavirus étant en partie responsable). De plus, cette approche pousse la Chine à poursuivre sa politique de marché centralisée car ces engagements commerciaux sont garantis par l’État chinois. Par ailleurs, imposer à la Chine l’achat de produits américains n’entraînera pas automatiquement une augmentation de la production, il est plus vraisemblable qu’elle sera simplement captée par la Chine aux dépends d’autres pays: donc pas nécessairement de gains supplémentaires pour les Etats-Unis. Le déficit commercial des États-Unis avec la Chine a diminué mais cela est dû à la baisse des échanges entre les deux pays et non à la hausse des exportations américaines.
De même, le déficit commercial global des États-Unis n’a que très légèrement diminué fin 2019 et reste bien supérieur au niveau d’avant les mesures protectionnistes.
Cela suggère que la diminution des importations chinoises vers les États-Unis s’est traduite par une augmentation des ’importations par d’autres pays tels que la Corée du Sud, Taiwan, le Mexique ou l’Union européenne.
Au-delà des répercussions macroéconomiques, quels ont été les effets de la guerre commerciale pour les citoyens américains ? Les secteurs de l’agriculture, des produits manufacturés et du transport ont particulièrement été touchés avec une baisse importante des investissements étrangers (proches de 0 pour le trimestre suivant l’annonce des premières mesures protectionnistes) et de l’emploi (chute de 2% dans les secteurs concernés après l’imposition des premiers droits de douane). Par exemple, les agriculteurs américains ont perdu la quasi-totalité du marché chinois ce qui a forcé le gouvernement à les subventionner à hauteur de 23 milliards de dollars. D’une manière générale, on estime que le coût de la guerre commerciale aux Etats-Unis se situe à 300 000 emplois. Par ailleurs, la hausse du coût des produits taxés a été en majorité supportée par les importateurs américains, et donc par les consommateurs américains. Le prix à l’achat des produits soumis aux droits de douane ont augmenté de 3% en moyenne.
Ainsi, durant ces 4 ans au pouvoir, Donald Trump a eu le mérite d’insister, souvent très rudement, sur les agissements inacceptables de la Chine comme il l’a fait dernièrement à propos du « China-Virus ». Un consensus s’est imposé dans la classe politique américaine pour mettre la Chine face à ses responsabilités, même chez les Démocrates. Cela était loin d’être évident auparavant. Il faut continuer à pousser en ce sens. Cependant, le protectionnisme est une méthode coûteuse et risquée qui peut affecter négativement beaucoup d’aspects de l’économie américaine (emploi, hausse des prix, baisse des investissements étrangers, etc.). La guerre commerciale avec la Chine a montré comment des mesures protectionnistes peuvent déstabiliser l’économie américaine, même si les effets mesurés à court-terme ne sont pas trop alarmants et que le bilan économique général de Donald Trump reste plus positif que d’aucuns le prétendent.
Sources:
https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/ladministration-trump-prete-a-pilonner-la-chine-jusquaux-elections-1225821
https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-07-27/china-is-buying-american-but-not-enough-to-hit-trade-deal-target
https://www.forbes.com/sites/phillevy/2020/08/10/the-verdict-on-trump-trade-policy-part-2-challenging-china/
https://www.washingtonpost.com/business/2020/01/15/was-trumps-china-trade-war-worth-it/
https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-12-18/trump-s-china-buying-spree-unlikely-to-cover-trade-war-s-costs
https://www.moodysanalytics.com/-/media/article/2019/trade-war-chicken.pdf
https://www.la-croix.com/Economie/Affectees-droits-douane-entreprises-americaines-quittent-Chine-2019-09-08-1301045992
https://www.wsj.com/articles/u-s-trade-deficit-narrowed-in-2019-for-first-time-in-six-years-11580909498
https://www.wsj.com/articles/trade-war-with-china-took-toll-on-u-s-but-not-big-one-11578832381
Les chiffres des graphiques proviennent du American Census Bureau: https://www.census.gov/
4 commentaires
Sur la Chine et le protectionnisme
Bonjour l'IREF,
La Chine est un pays COMMUNISTE. Face à un régime ne reconnaissant pas la légitimité des fondements de base du libéralisme économique la loi du talion est nécessaire, le protectionnisme alors n'est en aucun cas une atteinte aux libertés. On ne peut pas croire que des entreprises en provenance de pays libres peuvent avancer des valeurs, alors qu'il n'est pas dans les missions des entreprises privées d'avancer des valeurs, elles n'avancent que des marchandises, la politique de ces 20 dernières années (marquée clairement par un libéralisme catholique donc naïf et masochiste, avec la prétendue affirmation que "le doux commerce" ferait tomber le PCC) a échoué fondamentalement, on ne peut pas avoir "le doux commerce" et à côté une police politique marxiste ou maoïste.
Cordialement,
Bonjour Monsieur,
Il est en effet tout à fait important de conduire une politique intransigeante contre les agissements inacceptables de la Chine que je cite dans l'article. Il ne s'agit pas de reprocher à Donald Trump de s'attaquer à la Chine mais de comprendre les répercussions et le résultat que le protectionnisme peut avoir sur l'économie américaine.
Cordialement
Belle synthèse
un mot sur les questions monétaires/changes et l'arme (à double tranchant) des monnaies de réserves ?
Merci pour le texte.
Bonjour Monsieur,
L'accord prévoit en effet l'engagement de la Chine de ne pas manipuler sa monnaie de manière frauduleuse mais en réalité on peut estimer qu'elle ne le fait plus depuis 2013. Cela ne veut pas dire qu'elle ne pourrait pas recommencer, mais dans ce contexte c'est peu probable.
Merci à vous