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Taxe carbone aux frontières de l’UE : une approche erronée de l’action climatique

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Le 1er octobre 2023, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) de l’Union européenne est entré dans sa phase transitoire. Le CBAM a été introduit dans le cadre du Pacte vert européen en 2019 et officiellement adopté en mai 2023 après quatre années de négociations approfondies avec la Commission européenne, les États-membres et le Parlement européen. Son objectif premier est de garantir des conditions de concurrence équitables aux entreprises européennes qui supportent déjà les coûts de leurs émissions de CO2 liées à la production. Pour l’atteindre, elle impose aux importateurs de l’UE une taxe équivalente à la différence entre le prix du carbone dans l’UE et le prix du carbone dans le pays d’origine (le cas échéant). Les producteurs non-européens peuvent éviter les coûts du CBAM si leur pays applique une taxe sur le carbone. La mesure affectera dans un premier temps les importations de ciment, de fer, d’acier, d’aluminium, d’engrais et d’électricité, et implique que les importateurs et les fabricants quantifient leurs émissions pour se conformer au CBAM.

Les défenseurs du climat des pays développés sont enthousiastes, bien qu’une étude de l’ONU ait révélé que les réductions d’émissions obtenues par le mécanisme d’ajustement frontalier du carbone sont relativement modestes par rapport aux émissions mondiales de CO2. Par ailleurs, ce mécanisme a fait l’objet de nombreuses critiques, ses détracteurs le considérant comme une mesure protectionniste qui pourrait nuire aux principaux partenaires commerciaux de l’UE et aux pays pauvres.

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE peut-il fonctionner ?

 Depuis 2005, l’UE impose un prix du carbone à ses industries très polluantes, les obligeant à acheter des crédits pour leurs émissions de carbone sous peine d’amende. Les entreprises reçoivent des quotas gratuits, mais doivent payer environ 80 € par tonne métrique pour émettre davantage de carbone, ce qui représente l’une des taxes carbones les plus élevées au monde. Avec le CBAM, l’UE vise à étendre ce prix du carbone au niveau mondial et à pousser d’autres pays à établir leur propre prix pour traiter les fuites de carbone, afin d’éviter que les entreprises de l’UE ne se délocalisent dans des régions où les réglementations sont moins strictes ou ne remplacent les produits de l’UE par des importations provenant de régions où les réglementations sont moins strictes.

La Commission européenne estime que le CBAM réduira les émissions de CO2 de 1% au sein de l’UE et de 0,4% au niveau mondial en 2030 pour les secteurs couverts. Elle prévoit également une diminution de 29% des fuites de carbone d’ici 2030. Toutefois, la Commission reconnaît que les projections ne sont pas très fiables. Par exemple, la taxe carbone à la frontière de la Californie sur les importations d’électricité en 2018 a entraîné une redistribution des ressources : les produits à faibles émissions ont été dirigés vers les marchés réglementés en matière de carbone, tandis que les produits à plus forte intensité de carbone ont été détournés vers les marchés non réglementés. En résumé, les effets positifs sur l’environnement ne sont pas garantis.

En outre, la mesure a suscité une forte opposition de la part des principaux partenaires commerciaux, préoccupés par les formalités administratives et l’impact sur les entreprises. Le Brésil, l’Afrique du Sud et l’Inde ont critiqué cette taxe qu’ils jugent discriminatoire. L’Inde planifie actuellement sa propre taxe carbone visant les exportations de l’UE, la Chine a demandé à l’Organisation mondiale du commerce d’examiner la mesure, l’Australie l’a vivement critiquée en raison de son impact négatif sur la croissance mondiale et les États-Unis cherchent à obtenir une exemption. Les producteurs et les associations professionnelles de l’UE s’inquiètent des pertes potentielles de parts de marché en cas de mesures de rétorsion de la part d’autres pays.

Par ailleurs, seul un faible pourcentage d’entreprises européennes a respecté le délai initial pour déclarer leurs importations à forte intensité de carbone, ce qui met en évidence les difficultés de mise en œuvre du CBAM sur ces produits à partir de 2026. Dans des pays comme l’Allemagne et la Suède, moins de 10 % des 20 000 entreprises prévues ont soumis leur rapport d’émissions dans les délais. Les entreprises non conformes s’exposent à des amendes de 50€ par tonne d’émissions à partir de la mi-juillet.

Les importateurs de l’UE seront bientôt confrontés à des coûts plus élevés et à des charges administratives supplémentaires en raison du CBAM. Les frais administratifs des entreprises s’élèveront à 27 millions d’euros par an. De nombreuses entreprises et organisations professionnelles affirment que les coûts réels sont imprévisibles en raison de l’ampleur de la paperasserie et des modifications contractuelles requises. La plupart des entreprises interrogées (80 %) prévoient d’augmenter les prix à la consommation pour compenser la taxe.

L’impact du CBAM sur les pays les moins développés

 Selon une étude de l’UE, 33 pays africains sur les 46 pays les moins avancés (PMA) contribuent pour moins de 0,1% aux importations européennes d’engrais, de ciment, de fer et d’acier. Leur impact en termes de CO2 est donc minime. Cependant, ces industries sont vitales pour l’emploi et les revenus dans les PMA.

Une étude conjointe de la London School of Economics et de l’African Climate Foundation a estimé que le CBAM ferait baisser le PIB de l’Afrique de 0,5% et réduirait considérablement les exportations vers l’UE : l’aluminium (-13,9%), le fer et l’acier (- 8,2%), les engrais (- 3,9%) et le ciment (- 3,1%). A titre d’illustration, les pertes annuelles liées à la taxe aux frontières représentent trois fois le budget de coopération au développement de l’UE pour l’Afrique en 2021, qui était de 6,3 milliards d’euros.

Les secteurs à forte intensité de carbone tels que l’acier, l’aluminium et les engrais sont essentiels au développement de la construction et de l’agriculture. Taxer ces industries pourrait avoir un impact disproportionné sur les économies les plus faibles, affecter leurs marges bénéficiaires et entraver l’expansion des énergies renouvelables qui dépendent de produits tels que le cobalt, l’acier et l’aluminium, répartissant injustement le fardeau de l’atténuation du changement climatique en le faisant trop peser sur les pays pauvres. Des taxes plus élevées pour les entreprises manufacturières pourraient conduire à des suppressions d’emplois ou à des fermetures, ce qui pourrait entraîner des pertes d’emplois considérables. Cette situation pourrait exacerber les inégalités actuelles et accroître les niveaux de pauvreté dans les régions concernées.

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