Tous ceux qui ont lu en février 2015 notre article sur « Les dix défaut du COR » savent parfaitement tout le mal que nous pensons du Conseil d’Orientation des Retraites (COR), notamment quant à son défaut de représentativité dû à la lourde prééminence du secteur public dans ses rangs et quant à son étroite dépendance du pouvoir qui lui souffle volontiers les hypothèses les plus conformes à ses projets. L’élément nouveau, c’est que nous ne sommes plus les seuls à dénoncer ces dérives. Dans son dernier rapport sur l’approbation des lois de financement de la Sécurité Sociale, la Cour des comptes vient en effet de nous rejoindre en dénonçant la trop grande soumission du COR aux hypothèses ayant les faveurs du Gouvernement.
Il est vrai que certains observateurs mal intentionnés s’étaient avisés de souligner dernièrement les contradictions qui opposaient les prévisions du COR et celles de la Cour. Cela a visiblement déplu à la rue Cambon qui ne se prive pas de critiquer des travaux du COR, auxquels elle reproche leur caractère parfois lacunaire avec un manque flagrant d’indépendance dans le choix des hypothèses d’investigation. En conséquence, la Cour propose tout simplement de confier le calage des hypothèses centrales à un organisme dont l’indépendance serait – rien que cela! – garantie par la loi. Manifestement, il ne s’agit pas d’un bon point pour le COR, même si l’on peut s’étonner que ces recommandations ne surgissent que plus de 15 ans après la création d’une institution dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’a jamais franchement penché du côté du secteur privé, qu’elle s’est constamment arc-boutée pour minimiser les avantages des retraites publiques auxquelles ont vocation la majorité de ses membres et qu’elle n’a guère vraiment montré d’audace dans ses travaux qui ne s’aventurent généralement pas hors des allées tracées par le pouvoir.
Pourtant et même si l’information est importante, on aurait tort de s’arrêter là. En effet, après 13 ans d’un profond mutisme sur un sujet pourtant capital, la Cour des comptes vient tout juste – divine surprise! – de publier un rapport sur les évolutions des retraites de la fonction publique. Constatant la quasi-impossibilité technique, politique et sociale d’un alignement immédiat ou rapide des régimes publics sur le régime privé, elle préconise du bout des lèvres quelques ajustements paramétriques et portant prioritairement sur des modalités de simple gestion, mais en insistant sur leur peu d’incidence et sur leur lointain effet vis-à-vis des quelque 40 milliards de subvention que l’Etat doit investir chaque année dans les retraites du secteur public pour afficher un équilibre de pure façade. D’ailleurs, la Ministre de la Fonction Publique ne manque pas de saisir la balle au bond en considérant que la convergence entre les régimes publics et privé est aujourd’hui réelle et qu’en conséquence le débat sur le maintien ou non d’un régime spécifique pour les fonctionnaires a « peut-être perdu de son intérêt ». On voit ainsi que, sitôt sorti de la boîte dans laquelle on l’avait soigneusement maintenu enfermé le plus longtemps possible, le sujet est désamorcé d’urgence, la Ministre suggérant au surplus que les avantages de retraite font partie intégrante du statut de la fonction publique. Dès, lors c’est clair, la boucle est bouclée, la Cour a bien rendu à la Ministre la copie qu’elle attendait. Contribuables, salariés du privé, oyez, oyez: continuez à payer docilement les retraites publiques et circulez, il n’y a rien à voir.
Certes nous reviendrons très prochainement en détail sur ce rapport de la Cour des comptes, dont la démarche et les conclusions ne laissent de surprendre. Pourtant à y réfléchir de plus près, tout est dans l’ordre des choses. Les magistrats de la Cour des comptes sont des fonctionnaires, ils inclinent et ils instruisent donc du côté où ils penchent et ils n’ont absolument aucune envie qu’un des avantages les plus éminents de leur statut soit remis en cause, même si le poids des retraites publiques commence vraiment à devenir insupportable pour le contribuable et la Nation. Pourtant rue Cambon ou ailleurs, personne n’a osé souffler mot que sur ce sujet la Cour se trouve déontologiquement en plein conflit d’intérêts puisqu’elle rapporte sur des matières où son indépendance n’est nullement assurée, bien au contraire car ses conseillers émargent – et souvent au plus haut niveau – à un régime dont elle ne peut en conséquence présenter impartialement l’analyse, ni suggérer objectivement la réforme. Poussons même le raisonnement et le mauvais esprit un cran plus loin!
Étant donné que le financement des régimes publics de retraites repose essentiellement sur le contribuable et que l’immense majorité du corps contributif relève du secteur privé, pourquoi donc les régimes de retraite du secteur public devraient-ils au mépris de tous les principes d’audit être exclusivement examinés, jugés et amendés par des agents publics ? D’autant que les mêmes ne se privent pas d’interférer sur les règles qui s’imposent au secteur privé en siégeant indûment par syndicat interposé dans les Conseils d’Administration des principales caisses de retraite dudit secteur! Pratiquement seuls sur le sujet, nous avons inventorié, décortiqué et dénoncé en novembre dernier la multiplicité et la gravité des conflits d’intérêts qui gangrènent le secteur public, sans d’ailleurs qu’aucun censeur, qu’aucun régulateur institutionnel daigne y porter la moindre attention (apparemment cette matière ne doit pas figurer au programme de l’ENA, ni à celui de Sciences Po…sans doute gâcherait-elle les ambitions de nos futurs fonctionnaires parlementaires!). Mais il est temps qu’un sujet aussi sensible, aussi grave et aussi capital que les retraites sorte du seul giron du secteur public pour être débattu et arrêté à ciel ouvert par toutes les composantes de la Nation, en rendant au secteur privé la seule place qui lui revient : la première, puisqu’avant de financer intégralement ses propres retraites, il doit subventionner lourdement celle des autres.
Au terme de ce billet, on s’aperçoit donc que si la Cour des comptes critique à juste titre le défaut d’indépendance du COR, elle a déontologiquement tort de ne pas s’interroger sur le point de savoir comment elle-même ose prétendre se prononcer en toute indépendance sur le régime de retraite dont profitent ses propres magistrats. En somme, une illustration originale de la vieille histoire de la paille et la poutre ou, mieux encore, de celle de l’hôpital qui se moque de la charité! Si l’on songe en sus que l’inféodation gouvernementale et « fonctionnariale » du Comité de Suivi des Retraites est encore plus prégnante, on comprendra qu’avant même de passer aux réformes systémiques dont le pays a besoin, il est grand temps pour une saine orientation des retraites de repenser et de réorganiser de fond en comble la représentativité et les méthodes du COR. De même – et espérons-le sans attendre 13 années de plus -, il faudra très certainement passer outre l’avis passablement « intéressé » de la Cour des comptes pour savoir la manière énergique dont on doit enfin réformer les retraites du secteur public, qui n’en finissent plus de saigner à blanc les finances de la Nation.
3 commentaires
défendre ceux qu'on ne défend jamais
Et pourquoi pas payer 40% de la retraite d'un seul coup ? Par exemple, le jour du départ en retraite ou en cas de décès, verser cette somme aux ayants-droits ? Et puis bien entendu, réduire les retraites de 40% pour équilibrer les comptes. Deux avantages à cela : (1) ceux qui meurent tôt, ne cotisent pas pour rien, (2) ceux qui ont encore des très longues années devant eux (cheminots, banque de France), recevront un peu moins pour avoir profité bien plus.
Vous voulez dire MAXIMISER je crois
"qu’elle s’est constamment arc-boutée pour minimiser les avantages des retraites publiques auxquelles ont vocation la majorité de ses membres".
Petite coquille néanmoins sensible tant le COR est un scandale quant à son influence exagérée à l'encontre du privé!
Je perçois parfaitement le sens de votre observation qui vise une dénonciation plus large et plus radicale encore de l'abus cité.
Pourtant, je maintiens bien le sens de "minimiser" qui signifie simplement que le COR n'a jamais cherché à représenter fidèlement et exhaustivement les avantages indéniables des retraites publiques, mais qu'il s'est toujours efforcé – donc en les minimisant en réduisant leur nombre et leur portée – à les rendre moins voyants et moins perceptibles à tous ceux qui n'en profitent pas.
Bien cordialement.