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Quel est le niveau de vie réel des agriculteurs en France ?

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Le 1er février dernier est paru dans nos colonnes un article intitulé « Le faux déclassement des agriculteurs » qui parlait notamment de leurs revenus. Nous souhaitons ici revenir sur ce sujet plutôt complexe, car incluant nombre de paramètres autres que les seuls revenus agricoles, et dont il faut tenir compte pour évaluer correctement la situation des agriculteurs. Ce n’est qu’en les examinant d’un peu plus près qu’il est possible d’établir une comparaison avec les conditions et le niveau de vie de l’ensemble des Français.

Un niveau de vie médian légèrement supérieur à la moyenne, mais de grandes disparités selon les spécialisations

Dans un article de La Tribune qui reprend les données de l’Insee, il est rappelé que le niveau de vie[1] médian des ménages agricoles était de 22 210 € en 2018, contre 21 480 € pour l’ensemble des ménages français. On peut donc parler peu ou prou d’équivalence. Cependant, ce niveau de vie médian varie en fonction de la spécialisation :  26 330 € pour les viticulteurs mais seulement 18 420 € pour les éleveurs de bovins viande, par exemple. Les inégalités sont plus fortes ici que chez le reste des Français : « L’écart entre les 10 % des ménages les plus aisés et les 10 % les plus modestes est un multiple de 4,7 chez les ménages agricoles, contre 3,4 pour la moyenne des ménages français » explique Sylvain Bersinger, chef économiste au cabinet de conseil Asterès.

Qui plus est, 18 % des agriculteurs se trouvent sous le seuil de pauvreté, contre 14,8 % pour l’ensemble de la population française. Ce seuil est fixé à 60 % du niveau de vie médian, soit environ 13 000 € par an pour une personne seule en 2018. Les maraîchers/horticulteurs sont 16,2 % à ne pas l’atteindre et les éleveurs d’ovins viande, 25,5 %.

Une donnée vient néanmoins pondérer cette statistique : en 2019, le taux de pauvreté en conditions de vie[2] était de 6,1 % pour les agriculteurs exploitants contre 11,7 % pour les Français en moyenne.

Rappelons aussi que l’agriculture est la profession la plus exposée au suicide. Selon l’étude Agrican de novembre 2020, le risque est supérieur de 14 % chez les hommes et 46 % chez les femmes, par rapport à la population française. Ce risque est beaucoup plus important chez les agriculteurs non-salariés (+29 % chez les hommes et +105 % chez les femmes).

Selon un rapport d’information du Sénat, qui se base sur une étude de Santé publique France parue en 2017, les facteurs aggravants sont :

  • une exploitation à titre individuel ;
  • une activité d’exploitant à titre exclusif ;
  • une surface agricole utile comprise entre 20 et 49 hectares ;
  • la localisation de l’exploitation en région Bretagne, Bourgogne-Franche-Comté, Hauts-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes.

Le rapport d’information explique également que c’est l’élevage qui est le plus touché par ce mal-être : le taux de surmortalité par suicide était de 127 % pour les éleveurs « bovins viande » et de 56 % pour les éleveurs « bovins lait ». Les éleveurs sont, parmi les agriculteurs, ceux qui ont le niveau de vie le plus faible et qui sont les plus frappés par la pauvreté. (Voir tableau ci-dessus) Les suicides sont plus fréquents dans les « petites » exploitations que dans les grandes. Le modèle du « petit paysan » souvent vanté n’est pas celui du bien-vivre.

Enfin, parlons de la retraite. Selon la Mutualité Sociale Agricole (MSA), en 2022, tous régimes confondus – y compris les régimes complémentaires – les anciens non-salariés agricoles perçoivent une pension de 1 269 € bruts mensuels. La retraite moyenne française s’établit à 1 531 € bruts par mois.

Des semaines plus chargées

Ce n’est un secret pour personne, les agriculteurs travaillent plus que la moyenne des Français. Selon une enquête de l’Insee datant de 2020, ils déclaraient faire habituellement 55 heures par semaine en moyenne, contre 37 heures pour l’ensemble des personnes en emploi, soit 49 % de plus. Souvent pendant les week-ends : au moins un samedi par mois pour 88 % d’entre eux et un dimanche pour 71 % ; contre, respectivement, 39 % et 22 % pour le reste de la population en emploi. Parfois la nuit : 15 % avaient travaillé au moins une fois entre minuit et 5 heures du matin, contre 10 % pour l’ensemble des travailleurs.

Un calcul tenant compte du niveau de vie médian et du temps de travail hebdomadaire montrerait que l’heure d’un agriculteur vaut 8,41 €, contre 12,09 € pour le reste des Français.

Seulement 34 % des revenus disponibles des ménages agricoles sont directement tirés de l’agriculture

C’est sans doute la donnée la plus importante de l’article de La Tribune cité précédemment. En moyenne, c’est uniquement « 34 % des revenus disponibles des ménages agricoles [qui] proviennent de revenus directement tirés de l’agriculture. »

Cette donnée explique tout : ce ne sont pas les revenus de l’activité agricole qui permettent aux agriculteurs d’avoir un niveau de vie comparable à celui des autres Français, mais divers apports : ce que peut gagner un conjoint (selon Sylvain Bersinger, les revenus salariaux généralement perçus par le conjoint d’un agriculteur sont supérieurs aux revenus agricoles), un bien loué ou un second emploi. Environ un chef d’exploitation sur quatre serait pluriactif en France. Les libérer de la surcharge de normes et de fiscalité améliorerait assurément leur situation mais il faudrait aussi, impérativement, que l’agriculture entame sa modernisation, à l’image de celle des Pays-Bas et de la Nouvelle-Zélande.


[1] Le revenu disponible pondéré par la taille du ménage.

[2] Un ménage est considéré comme pauvre en conditions de vie s’il subit au moins 8 privations sur 27 types de privations identifiées selon l’Insee.

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19 commentaires

laluc 9 février 2024 - 7:46

Bonjour, souvent très critique avec vos propos concernant l’agriculture, je trouve très pertinente votre analyse sur les revenus agricoles

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BELLEDENT 9 février 2024 - 8:20

Qu’appelle t’on Modernisation de l’agriculture ?
Si c’est comparable a la modernisation de l’administration, c’est le démantèlement de la fonction publique au prix du sacrifice des fonctionnaires compétents en place 😱😱😱

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Lombled 9 février 2024 - 3:32

Attention à ce que vous dites ! La comparaison n’est pas valable sur le plan statutaire, en effet l’agriculteur est un travailleur indépendant, alors que comme vous l’indiquez un fonctionnaire est payé par l’état et ne risque rien pour sa carrière, sauf bien entendu si l’état fait faillite (ce qui est impossible).

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Marco6669 9 février 2024 - 9:42

J’avais une très bonne opinion des agriculteurs jusqu’à ce que je m’installe moi-meme a la campagne.
Et là, changement de vision : j’ai vu des gens qui se plaignent tout le temps mais qui vivent plutôt bien en dépensant beaucoup, qui respectent peu ni les autres, ni la terre qu’ils « exploitent », qui gaspillent ce qu’ils paient déjà moins cher (l’eau, le gasoil…), et qui font beaucoup moins d’heures qu’ils le prétendent.
Il fut un temps où ces gens-là collaboraient, s’entraîdaient. Aujourd’hui, ils sont individualistes, se critiquent entre eux.
La seule chose qu’on peut leur reconnaître, c’est qu’ils peuvent travailler de jour comme de nuit, et les weekend.
Mais bien que payé au SMIC, c’était aussi mon cas dans mon boulot, a 60 a 70h par semaine, récupérées (ou pas!) quand je le pouvais, et j’en faisais pas une affaire d’état. J’ai pris ma retraite avec un déficit de 200h jamais récupérées.
Et je n’ai jamais envisagé le suicide comme solution.
La plupart d’entre eux ont choisi leur métier. Pour les autres, ils peuvent toujours en changer…..a condition de savoir faire autre chose !
J’ai conscience que mon avis peut choquer, mais c’est mon expérience personnelle

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Lombled 9 février 2024 - 3:39

Effectivement je ne suis pas d’accord avec votre commentaire, pour ma part je suis de la génération des 30 glorieuses, dans mon boulot c’était aussi plus de 50h, avec un fixe smicard et le reste avec un pourcentage sur la marge brute dégagée par la vente. Fallait se lever le c.. pour avoir un salaire potable.

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giroudon 9 février 2024 - 10:18

arrêtez avec le nombre d’heures par semaine.
combien de banlieusards se tapent 10 à 15 heures par semaine dans les transports.
eux sont sur place.

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gigi45 9 février 2024 - 11:02

Les moyennes que vous présentez dans votre article n’ont pas grand sens. Il faudrait se limiter aux exploitants agricoles à temps plein qui sont les forces vives du métier.
Ce que vous oubliez dans votre analyse , c’est le capital que doit constituer un agriculteur pour acquérir son outil de travail. Le dicton à propos des agriculteurs, vivre pauvre pour mourir riche est toujours d’actualité.

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Nicolas Lecaussin 9 février 2024 - 12:59

L’auteur est bien agriculteur, de père en fils…
NL

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Firmin 9 février 2024 - 4:16

Vous dites : « Le dicton à propos des agriculteurs, vivre pauvre pour mourir riche est toujours d’actualité. » Peut-être pour les céréaliers ? pour les vendeurs de champagne et autre niches qui sont bien rares aujourd’hui ? Mais ce ne sont pas ceux-là qui vous nourrissent ! Après le démantèlement de notre industrie, de notre réseau ferroviaire, de nos hôpitaux, et tout ce que j’oublie, voulez-vous vraiment que l’on laisse à l’agro business le soin de nous nourrir ? C’est maintenant qu’il faut réfléchir monsieur.

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Desroches 9 février 2024 - 12:33

Lorsque je suis entré au collège au milieu des années 50, mon meilleur copain bénéficiait d’une bourse, ses parents étant agriculteurs. Je n’avais qu’une demi-bourse car mon père était payé la moitié du SMIG ! La famille de mon copain avait un niveau de vie infiniment meilleur; ils avaient une voiture, ce qui à l’époque était un signe de richesse.
La raison de ce traitement inégal est que l’agriculteur déclarait un revenu nul, vivant du produit de son exploitation.
Encore aujourd’hui, Les petits à-côtés (jardin, élevage de lapins et de volailles…) leur permettent de se nourrir, ce que ne peut pas faire un citadin.
Il reste que ce sont des bourreaux de travail, que leur activité nécessite un savoir faire et une organisation très au dessus de la moyenne et qu’ils sont responsables, soumis aux aléas climatiques, aux aléas commerciaux, et aux décisions administratives qui leurs sont imposées.
Aujourd’hui, je loue à un éleveur quelques hectares dont j’ai hérité, pour un prix presque dérisoire qu’il n’arrive pas toujours à payer.
C’est un domaine complexe, qui ne supporte pas la simplification.

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Bailly Élisabeth 9 février 2024 - 2:24

Vos chiffres ne sont pas représentatif des «petits »agriculteurs, mes parents touchent 700€ et 400€ par mois pour ma maman, après 46 ans de cotisations, en polyculture.

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FRANCOIS Jean-Luc 9 février 2024 - 4:21

Vous prenez en compte le revenu d’une entreprise familiale. Avec son revenu un agriculteur doit souvent financer l’acquisition de terres d’où un reste à vivre bien inférieur.
De fait, le patrimoine foncier est plus important que la moyenne des autres français. Ce qui fait dire que les agriculteurs sont riches, sauf que, à la retraite, il ne peut pas capitaliser. Si il a un enfant qui reprend il doit lui donner son patrimoine foncier et son capital d’exploitation sous peine de l’asphyxier (cf le film  » au nom de la terre »).
Vous dites qu’il faudrait impérativement moderniser l’agriculture française, oui, mais bonjour nos kmer-verts. Certes, les « écologistes » sont plus nombreux dans les pays du nord de l’Europe mais certainement plus intelligents. Par exemple, l’accès à l’eau est important levier de modernisation que nos collègues européens utilisent beaucoup plus facilement. Chez nos pays concurrents , hors Europe, on peut voir avec Google Earth de grands cercles verts en Ukraine vers le Dniepr, en Crimée, autour du delta du NIL, etc… Ce sont des parcelles irriguées d’une surface pouvant être de plus de 100 ha, c’est de ces parcelles que viennent en partie les légumes bio et non bio que l’on retrouve aux rayons de nos super-marchés.

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patrice saint mézard 9 février 2024 - 5:23

Certes les agriculteurs ont des revenus plus faibles que la moyenne des français mais ils capitalisent pour la plupart sur leurs revenus en étant propriétaires de leurs exploitations, de leurs terres, matériels, bâtiments… sachant que le prix moyen de l’hectare de terre agricole doit se situer autour de 5000.00 €, même une exploitation de petite taille (moins de 50 ha) représente un capital…

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maxens 11 février 2024 - 12:09

Vous parlez de capital, et vous le chiffrez, mais allez au bout, c’est de l’immobilier, le placement le plus taxé en France, c’est du foncier rural, ou le propriétaire ne maitrise pas les loyers, très encadré par le statut du fermage, bref, le capital, le foncier en agriculture est obligatoire, mais quand on est exploitant dessus, il ne rapporte rien, il donne juste la possibilité de travailler, et c’est le revenu de ce que l’on produit qui permet de vivre ou non. Bien souvent ce capital à été hérité génération après génération, et à chaque succession taxé et retaxé. La capital foncier ne rapporte, un peu, que lorsque on le loue, une fois à la retraite, et cela sert d’excuse pour justifier la faiblesse des retraites agricoles, et comme l’on ne peut même plus choisir à qui on veut le louer, bien souvent les propriétaires préfère le vendre… et ils sont de nouveau taxé…

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DHELFT 9 février 2024 - 7:07

Le figaro a publié un article sur le même sujet en donnant des éléments du bilan. Il me semble qu’il manque un élément essentiel.
L’agriculture est une occupation capitalistique qui suppose, pour pouvoir s’exercer, un investissement important (terres, vignes ou troupeau). Dans aucun des calculs je n’ai vu prendre en compte cet aspect. En bonne logique et avant d’avoir travaillé, il faut rétribuer ce capital investi. Un minimum de 4 à 5% net me semble indispensable.

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Jean Louis DURET 9 février 2024 - 9:02

Oui j’ai d’ailleurs réagit à l’article précédant dont vous parlez en écrivant :
« Je me demande si vous ne confondez pas Chiffre d’Affaires et revenus nets ?
En effet la PAC à vocation à compléter le CA que réalise l’agriculteur, en face duquel, comme dans toute activité économique, il y a tous les frais à compter (nourriture des animaux, carburant, engrais ………) et à déduire avant d’arriver à un éventuel bénéfice (revenu pour l’agriculteur). C’est ce que laisse entendre cette phrase énigmatique  » Ainsi, chaque mois, un exploitant agricole a perçu en moyenne 4130 euros. » où le commun des mortels comprendra que l’agriculteur est très riche. Dommage pour un site comme l’IREF. »

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Claude Guyot-Sionnest 10 février 2024 - 10:12

Un article très instructif sur la situation difficile des agriculteurs Français que je conserve.
Merci

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maxens 13 février 2024 - 2:05

Si vous voulez vous informez sur la situation des agriculteurs, je ne saurais que conseiller un excellent article d’un journaliste du figaro paru en 2000, avril me semble: « les prisonniers sans barreaux de l’agriculture française » . L’article à 25 ans, mais pour ceux qui en douterait, il est encore terriblement d’actualité, peut être même la situation est elle encore devenue pire….édifiant alors que les agriculteurs français et européens manifestent,et que les politiques feignent de découvrir le problème

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maxens 11 février 2024 - 11:54

c’est quoi pour vous: « sa modernisation »???

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