L’Etat multiplie tour à tour les normes et les dérogations à ces normes. C’est la preuve que le système dysfonctionne. De bonnes lois sont claires autant que simples et pérennes, opposables à tous et d’abord à celui qui les a édictées.
Dans le cadre de la loi de simplification, dont l’examen est prévu au Parlement le 8 avril, le Gouvernement propose d’exonérer les projets industriels de l’obligation de consultation préalable du public à laquelle sont soumis tous les grands projets en France. En effet, ces consultations sont coûteuses et généralement inutiles. Ne vaudrait-il pas mieux alors supprimer l’obligation de consultation pour tous ?
L’exception devient la règle
Déjà la loi Climat du 22 août 2021 a multiplié les possibilités de déroger aux contraintes d’urbanisme, pour faciliter la poursuite d’objectifs de mixité sociale, la construction de logements en zones tendues, contribuer à la qualité du cadre de vie, végétaliser les façades, créer des stationnement vélos… Dans les villes, les ZFE qui devaient interdire la circulation des véhicules diesel et/ou anciens sont mises en pause ou retreintes dans leur application. Mieux vaudrait abroger ces lois, comme l’ont décidé les parlementaires en commission le 26 mars pour les ZFE.
En France, des décrets (5 juillet et du 6 juillet 2024) permettent d’accélérer certaines procédures d’urbanisme ou environnementales pour des projets industriels stratégiques. Dans le cadre du Critical Raw Materials Act (CRMA) du 11 avril 2024, la Commission européenne a sélectionné 47 de ces projets, qui bénéficieront de procédures accélérées et simplifiées. Les usines d’armement honnies par les écologistes et les financiers politiquement corrects n’auront plus à respecter les critères environnementaux ESG, mais alors, encore une fois, pourquoi ne pas alléger ces contraintes pour tous ? Et pourquoi permettre aux Etats de déroger aux limites de Maastricht en matière d’endettement pour se réarmer alors que l’endettement excessif reste nuisible aux Etats dans tous les cas ? Les exceptions sont des poisons !
La loi fiscale est le parangon de la loi devenue exception. Les prélèvements fiscaux sont si lourds que l’Etat est contraint de généraliser des niches soit pour atténuer le fardeau des groupes de pression qui grognent le plus, soit pour aider les contribuables qu’il vient secourir après les avoir mis en difficulté.
L’arbitraire de l’exception
L’exception menace la règle à laquelle elle fait référence. Elle banalise l’arbitraire dans un cas par cas aléatoire, au risque d’y perdre l’objectivité qui est au fondement de toute justice.
Certes, de tout temps les règles ont souffert des exceptions. Mais avec l’affirmation romaine du droit, le principe était plutôt que l’exception restait une exception. La montée en puissance du pouvoir a changé la donne au bas Moyen Age. Ockham a justifié la possibilité, pour l’empereur du Saint-Empire, de déroger à la loi, positive ou naturelle, pour le bien de l’Empire. Machiavel a théorisé l’exception en permettant que le Prince déroge à la règle et use de moyens extraordinaires pour maintenir son état. Allant au-delà de « la raison du prince », la modernité a avancé « la raison d’Etat » (Guichardin à Florence début XVIème) pour passer outre les normes et contraintes communes.
Blaise Pascal a rappelé le danger de l’exception quand elle se substitue à la règle initiale et devient elle-même la règle : alors, « de l’exception vous faites une règle sans exception » qui détruit le fondement des lois.
Pour éviter qu’il y soit dérogé, les lois tentent de prévoir toutes les situations possibles et n’y parviennent jamais bien sûr. Au début de son mandat, en 2017, le président Macron s’était inquiété : « Sachons mettre un terme à la prolifération législative, cette maladie nous la connaissons […]. Elle affaiblit la loi. » Il s’en était pourtant peu soucié : son projet de loi du 11 décembre 2014 pour la croissance et l’activité faisait (seulement !) 516 pages et ensuite, le projet de loi Pacte a compté 962 pages.
Certes, la complexité croissante de la vie moderne, la multiplication des intérêts et des lobbies contribuent à ce foisonnement législatif. Mais la raison majeure de celui-ci tient plus à l’obsession politique et spécialement celle de l’Etat français de se mêler de tout, de tout gérer, contrôler, organiser, sanctionner…
Faisons moins de lois, il y aura moins d’exceptions
La solution n’est pas, comme le propose le professeur de droit public Thomas Perroud, de réduire les possibilités de contestation des lois et règlements. C’est d’ailleurs déjà le cas par exemple pour les éoliennes : le décret du 1er décembre 2018 qui restreint le droit au recours des associations et des riverains et supprime le double degré de juridiction dans les contentieux portant sur des projets éoliens terrestres. Ces dispositions sont attentatoires aux droits et libertés.
La solution est plutôt tout à la fois dans la réduction du périmètre d’intervention de la loi et du règlement d’une part, dans la réduction des délais de la justice d’autre part. Il est normal qu’un recours puisse être formé contre la construction d’une autoroute. Il est anormal que l’autoroute A69 déclarée d’utilité publique en 2018 fasse l’objet d’une décision d’arrêt des travaux, très engagés, en 2025 pour des motifs futiles de protection d’espèces animales.
Les exceptions doivent être exceptionnelles. La loi doit être, autant que possible, la même pour tous. La pratique française est plus que douteuse, de soustraire les agents de la fonction publique au droit commun en les dotant d’un statut hyper protecteur de la fonction publique et en les soumettant à des tribunaux administratifs bienveillants.
Réduisons le périmètre de l’Etat. Limitons les dépenses de l’Etat providence. Consolidons et rendons plus efficaces nos services régaliens de justice et sécurité. Tout ira mieux.
8 commentaires
Et si au lieu de légiférer on imposait de réfléchir et si le Conseil d’État jouait son rôle qui est d’exiger la justification d’une nouvelle loi au regard des lois existantes et si la bon sens l’emportait sur l’idéologie, les français aurait peut-être un peu plus l’impression de vivre en démocratie.
Les loup sont bien trop nombreux dans cette République et à tous les niveaux que ce soit national ou local. Bien que loup est un faible mot pour qualifier toute cette racaille des hautes terres.
Bonne analyse qui oublie une chose importante : Que feraient les petits hommes gris des ministères s’ils écrivaient de “bonnes” lois ????
Je suis toujours surpris quand je vais en Suisse et que je regarde leur Code du Travail !! Quelques dizaines de pages et pourtant tout se passe bien dans ce pays § Alors pourquoi, nous, en France, nous devons écrire plus de 500 pages pour un résultat décevant?
C’est un principe bien connu dans le conseil en management : quand les exceptions dépassent de 20 % les éxécutions d’un processus bien défini, ce ne sont plus des exceptions mais des processus parallèles et indéfinis laissés à l’arbitraire de l’éxécutant, par exemple la récupération de défauts qualité d’un processus de fabrication (ce qui n’empêche pas toujours l’efficacité du processus parallèle quand il est conduit avec un souci honnête de mieux faire pour l’intérêt général)
Le problème en politique est que trop souvent, ceux qui gèrent les exceptions ont toujours des intérêts personnels sans rapport avec l’intérêt général du pays ou des citoyens, et que l’autorité revient alors à celui qui est le mieux placé ou le plus fort en gueule. Résultat insuffisant garanti. Je ne connais qu’un seul cas de résultat exceptionnel : la reconstruction de Notre Dame, mais il faut reconnaître que dans ce cas, l’intérêt de Macron, qui accordait les passe droits et court circuits, coincidait avec celui du peuple français, pour lui le prestige d’accomplir sa promesse de reconstruction en 5 ans, et pour le peuple la satisfaction de voir sa cathédrale remise en état.
La cure nous la connaissons. Mais les prescripteurs ne sont pas prêts d’en faire l’ordonnance . La situation France c’est un peu comme si on demandait au cancer d’élaborer le protocole de traitement et aux métastases de le mettre en œuvre.
La France est un Etat paperassier. Pas un texte de loi n’est rédigé simplement sans compter qu’il est courant d’en créer toujours de nouvelles sans se soucier de celles existant traitant peut être des mêmes questions. Nos codes, civil, fiscal, du travail, pénal, de la sécurité sociale… Comportent un impressionnant nombre de pages avec précisément des exceptions en fonction de ceci ou cela au point que ce sont d’inextricables fouillis où plus grand monde ne se retrouve.
Dans notre pays, on ne saurait faire simple car il faut alimenter le trop plein de fonctionnaires ainsi que tous les machins dont les membres ont le plus grand besoin de justifier leur existence.
J’espérais, à tout le moins, que Macron se saisirait de cet épineux problème de la simplification des textes mais à la réflexion, c’est aussi un énarque. Le vocable parle de lui-même…
N’existe t il pas dans l’UE ou ailleurs des pays où la législation est plus simple et plus lisible?
Parmi les Députés de l’actuelle Chambre, combien ont la capacité intellectuelle de lire les textes juridiques existants ? Ces “représentants du peuple”sont aussi débraillés dans leur tête que dans leurs vêtements !
. . .L . et que penser de l’exception aux règles d’abattage du bétail (C.R.) pour respecter les religions non européennes au détriment des lois sur la souffrance animale ainsi que sur l’hygiène alimentaire ?