A l’occasion du centenaire de sa naissance (le 11 décembre 1918), du dixième anniversaire de sa mort et de la publication de plusieurs inédits, il est important de rappeler pourquoi Soljenitsyne est important pour nous, les libéraux. Tout d’abord, en tant qu’individu, Soljenitsyne est un symbole. Il est l’exemple parfait du combat pour la liberté. Une vie entière passée dans l’espoir d’être libre un jour, à expliquer l’avènement et le fonctionnement du monde totalitaire.
Durant ses années de goulag (8 ans !) et d’exil en URSS, et aussi après, lorsqu’il a été forcé de quitter son pays, Soljenitsyne n’a cessé de vouloir comprendre – il a écrit des milliers de pages sur le sujet – les mécanismes de la société fermée. Il y a, chez certains hommes, une terrible attirance pour la domination et le pillage des hommes et des consciences. Ce sont eux qui détournent les idéaux, qui trompent le peuple tout en l’exploitant et en le massacrant. « Le plus terrifiant et le plus expressif étant Lénine, avec son air d’intelligence diabolique et de perversité démesurée, criminel d’avance condamné » (Journal de la Roue rouge, Fayard, novembre 2018). C’est lui qui a mis en place, au nom de la révolution, ce « système d’esclavage clandestin » qu’a été la Russie soviétique.
Soljenitsyne nous met en garde contre les révolutions en comparant celle de 1789 avec celle d’octobre 1917, en réalité un coup d’Etat bolchévique. « La révolution est toujours une inflammation pathologique et une catastrophe. C’est une oscillation (un naufrage) entre de hauts et de grands espoirs et des premières ambitions limitées d’une part et, d’autre part, la complète ruine du pays, la famine générale, (…), la haine généralisée, le déchaînement des jalousies, la rapacité envers le bien d’autrui (chez les bolchéviques, c’est chose proclamée : « Pille le pilleur ! » (Révolution et mensonge, Fayard, 2018). Il ne faut pas oublier : le jeune Soljénitsyne, plutôt marxiste, aimait la révolution. Mais pas l’utopie révolutionnaire qui mène inexorablement à la tragédie humaine. Il faut lire ces quelques pages que contient l’ouvrage, intitulées Vivre sans mentir, écrites le 12 février 1974, jour de sa deuxième arrestation, dans la sinistre prison Loubianka (il s’en « sortira » avec l’obligation de quitter le pays). Il comprend que la vérité vaut mieux que la révolution. L’esprit de vérité et de liberté doit être plus fort que l’esprit moutonnier engendré par une révolution de masse. C’est le mensonge qui guide (trompe) le peuple. « Que sert à des troupeaux d’être libres ? », écrivait Pouchkine. Débarrassons-nous de la tentation du mensonge, c’est le vœu de Soljénitsyne.
N’oublions surtout pas que son Archipel du goulag a secoué le monde occidental et a donné un gros coup dans le mécanisme de la société totalitaire. Comme l’a très bien écrit Jean-François Revel, ce monument a réveillé une grande partie de la gauche du « sommeil dogmatique » dans lequel elle était plongée. A-t-elle tiré les leçons qui s’imposaient ? Pas vraiment, son Alzheimer idéologique est incurable.
Contrairement aux clichés, Soljénitsyne n’a pas été contre l’Occident et le monde capitaliste. Il a été effaré par l’aveuglement de la plupart des membres de l’intelligentsia occidentale face au totalitarisme communiste. Invité à une célèbre émission culturelle française en 1975, il prédisait les terribles drames du Vietnam « progressiste » qui réjouissait la bien-pensance occidentale à l’époque. Il se méfiait aussi du « progressisme » occidental dont il voyait les ravages avec le politiquement correct et l’ « affirmative action » aux Etats-Unis. Comme il a aussi très bien saisi les dérives autoritaires de la Russie dirigée par la nouvelle nomenklatura mafieuse et son incapacité – historique – à comprendre la liberté (Le « problème russe » à la fin du XXe siècle, Fayard, 1994).
Soljenitsyne a été nommé la « conscience du siècle ». Je dirais que pour nous, les libéraux, c’est la « conscience de la liberté ». Bourreau de travail, sa vie entière a été une bataille permanente (il en a même gagné une sur le cancer !) contre le mensonge et la soumission. Un modèle impérissable.
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L'économie fermée du GouLag
Pourquoi juste les libéraux ? Tout le monde devrait lire Soljenitsyne…
Ça commence avec Une Journée d'Ivan Denissovitch, qui nous explique comment conscience professionnelle et bonne volonté peuvent être broyés par un système administratif imbécile.
Quant à L'Archipel du GouLag (gouvernorat des camps), c'est un véritable cours d'économie pratique : comment un individu qui veut survivre peut contourner la "machine à broyer". Ou être brpyé