Dans l’une de ses neuf notes thématiques publiées le 7 juillet, intitulée « Piloter et évaluer les dépenses fiscales » et s’insérant plus globalement dans sa « Contribution à la revue des dépenses publiques », la Cour des comptes invite le Gouvernement à s’attaquer aux dépenses fiscales (ou « niches fiscales »). Il faut dire que les griefs à l’encontre de ces mesures fiscales dérogatoires sont nombreux et souvent légitimes : efficacité douteuse, complexité des dispositifs, instabilité chronique, altération du système d’imposition et perte de recettes fiscales (la Cour rappelle que le coût des 465 niches recensées dans le PLF pour 2023, lui-même difficile à appréhender correctement compte tenu des phénomènes ici aussi prégnants d’incidence et de répercussion fiscales, est évalué à 94,2 milliards d’euros), mais aussi coûts de gestion administrative, érosion du principe d’égalité devant l’impôt, etc.
Figure centrale de la science fiscale moderne, le professeur Henry Laufenburger assénait dans sa Théorie économique et psychologique des finances publiques : « Le conformisme classique de l’universalité de l’imposition est la base même de finances saines qui soutiennent l’économie et la monnaie. Du moment que, par faiblesse ou pour des motifs démagogiques, le Gouvernement s’engage sur la pente glissante des exceptions à la règle sous forme de rétrécissement de l’assiette, de différenciation des taux, de détaxations ou dégrèvements, de remboursements de certains impôts, il “mitraille” son système fiscal, il obscurcit la vision de son rendement, il impose à l’administration un effort surhumain pour s’y retrouver, au contribuable des frais supplémentaires d’employés ou de “conseils fiscaux” dont la mission sera de le sortir – si possible – du labyrinthe. Les régimes d’exception compliquent la manifestation de l’impôt, encouragent la fraude puisque les contribuables cent pour cent cherchent à s’aligner sur les contribuables privilégiés. L’ordre fiscal dégénère en désordre, le “système” fiscal devient un monstre qui finit par se dévorer lui-même. »
Il serait cependant injuste d’imputer ce désordre au seul Gouvernement, les groupes d’intérêts privés étant eux-mêmes incités à utiliser la fiscalité comme un instrument d’externalisation des coûts de l’impôt sur les citoyens non organisés, et l’étant d’autant plus fortement que le niveau de pression fiscale est élevé.
Car voilà bien le nœud : l’existence en France de niches fiscales pléthoriques apparaît d’abord comme la contrepartie à des taux nominaux élevés, finalement destinée à faire baisser la charge fiscale réellement supportée par les contribuables. S’il est certes souhaitable, l’inventaire des dépenses fiscales qu’appellent de leurs vœux les magistrats de la rue Cambon ne peut donc être dissocié de la question pendante de la diminution des taux d’imposition des différents impôts concernés. Il faut le dire et le répéter : on ne baisse pas la dépense publique en s’attaquant aux niches fiscales ; et, sauf à baisser symétriquement les taux, on augmente les impôts !
Rappelons que, si l’utilisation de l’impôt à fins interventionnistes, dans un but économique ou social et en tous les cas extra-financières, est ancienne, la notion et la dénomination de « dépense fiscale » n’ont été introduites qu’assez récemment dans les documents budgétaires officiels, suivant les recommandations formulées en 1979 par le Conseil des impôts devenu depuis Conseil des prélèvements obligatoires. Décalquée de l’expression “tax expenditures” forgée aux États-Unis en 1967 par Stanley S. Surrey, professeur de droit à l’Université de Harvard avant de devenir secrétaire adjoint au Trésor pour la politique fiscale, l’expression française « dépenses fiscales » est alors présentée « comme le “symétrique” de l’expression “dépenses budgétaires” et comme le “négatif” de l’expression “recette fiscales” », et employée plus exactement pour qualifier les « renonciations à des recettes par application de mesures fiscales à caractère dérogatoire ».
La Cour des comptes ne dit pas autre chose dans ladite note thématique, lorsqu’elle juge « nécessaire de considérer les dépenses fiscales comme des dépenses budgétaires ordinaires ». Or, en utilisant l’expression de « dépenses fiscales » pour désigner, ni plus ni moins, les recettes qu’elle daigne ne pas prélever, l’administration fiscale française trahit un certain mépris de la propriété privée. Elle semble en effet considérer qu’il n’y a de richesse que collective, comme si l’État pouvait disposer à son gré des revenus et des patrimoines privés…
2 commentaires
Excellent article. L’état tue lui même l’impôts en excès au profit de certains citoyens qui deviennent ainsi privilégiés. Quant au mépris de la propriété privée, cela fait plus de quarante ans que l’Etat le pratique « chaque jour davantage et bien moins que demain ».
Bonne analyse dont j’apprécie surtout la conclusion.
Nous glissons lentement dans l’arbitraire du totalitarisme. Qui décide et avec quelle légitimité accorde t on le droit de distribuer des justificatifs fiscaux pour avoir droit au remboursement d’impôt
de 60% des dons a certaines associations, par exemple?
Les lois ne doivent pas subir des « interpretations » si on se pretend « état de droit « .
L’interpretation c’est l’arbitraire.