Le 7 juillet 1950, le Conseil d’État, par l’arrêt Dehaene, reconnaissait aux fonctionnaires le droit de faire grève. Initialement, son interdiction avait été conçue comme une contrepartie à la sécurité de l’emploi. A ce titre, le principe de continuité des services publics[[Reconnu comme principe à valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 25/07/1979, Droit de grève à la radio et à la télévision, ce qui est aussi le cas du droit de grève.]] l’emportait et la fonction publique ne connaissait pas de mouvements sociaux de grande ampleur. La situation a fortement évolué depuis ; de grandes grèves accompagnant fréquemment chaque tentative de réforme de l’administration voulue par l’exécutif.
Si le phénomène de grève dans les entreprises n’augmente pas, il s’intensifie.
En 2018, 1,5% des entreprises de 10 salariés ou plus du secteur privé non agricole ont connu au moins un arrêt collectif de travail, en baisse de 0,4 point par rapport à l’année précédente. Les grèves sont plus fréquentes dans les entreprises de plus de 500 salariés (30% en ont subi) que dans celles dont l’effectif est compris entre 200 et 499 salariés (11,7%). Elles sont quasi inexistantes dans les entreprises de plus petite taille (0,4% dans les sociétés d’entre 10 et 49 employés)[[Cécile Higounenc, « les grèves en 2018 » DARES résultats, N°009, mars 2021, tableau 1, p.2. ]].
L’intensité des grèves, estimée à partir de leur durée et du nombre de participants, croît fortement en 2018 : 107 JINT (journées individuelles non travaillées) pour 1000 salariés, contre 71 JINT l’année précédente, soit une augmentation de 51%. La progression est également importante si l’on se réfère aux seules entreprises connaissant au moins un arrêt collectif de travail (457 JINT en 2018 contre 296 en 2017, soit une augmentation de 54%).
En fait de mouvements sociaux, l’année 2018 a été: le 30 janvier et le 15 mars, les principales intersyndicales[[CGT, CGT-FO, CFDT, CFE-CGC, UNSA et SUD]] appellent à la grève dans les EHPAD ; le 22 mars, les mêmes appellent à la grève dans la fonction publique pour protester contre la suppression de 120 000 postes, rétablir le jour de carence et supprimer le gel du point d’indice des salaires. Le mouvement est rejoint le 19 avril par la SNCF et la RATP qui contestent la réforme ferroviaire et particulièrement l’abandon du statut de cheminot à l’embauche ; les syndicats les plus extrémistes (la CGT et SUD) repassent à l’action pour une journée « de convergence des luttes ». Une nouvelle mobilisation a lieu le 9 octobre, la fin de l’année étant marquée par le début du mouvement des « gilets jaunes », peu vecteur de grèves.
Globalement, les revendications portaient surtout sur les salaires (57%), les conditions de travail (28%), l’emploi (15%) et le temps de travail (10%)[[Ibid, tableau 4, p.5. ]]. La probabilité d’une grève est plus grande dans une entreprise où ont été élus des délégués syndicaux (85% des sociétés ayant subi au moins un jour de grève comptaient un délégué syndical et 82% avaient ouvert des négociations collectives). A l’inverse les entreprises qui n’ont pas été touchées n’étaient que 11% à compter un délégué syndical et 14% à avoir ouvert des négociations collectives[[Ce qui peut s’appréhender aussi par le biais de leur taille, cfsupra.]].
Bien loin d’être un facteur d’apaisement des conflits, les instances de représentation syndicales les provoquent pour peser sur les négociations collectives.
Le secteur des transports et de l’industrie pèse lourdement sur l’ampleur des conflits sociaux
C’est dans l’industrie que, d’une manière générale, les entreprises ont connu le plus souvent au moins un jour de grève (3,1%), mais ce chiffre cache un certain nombre de disparités, illustrées par le tableau suivant[[DARES, enquête ACEMO, « Dialogue social en entreprise ». ]] :
Au sein de ce secteur, ce sont les fabricants de matériels de transports qui sont le plus touchés : 15,5% des entreprises y ont connu au moins un jour de grève et le nombre moyen de JINT pour 1000 salariés atteint 170.
Les transports alourdissent également le poids des grèves dans le secteur « commerce, transports, hébergement et restauration » : seulement 0,8% des entreprises y ont dans l’ensemble connu au moins un jour de grève, mais ce chiffre est multiplié par plus de 2,5 pour les transports (2,1%)[[Ibid, tableau 1, p.2. ]]. L’intensité des conflits y est particulièrement forte : de 304 en 2017, le nombre de JINT moyen pour 1000 salariés passe à 760 en 2018 (contre 96 et 219 pour la moyenne de la filière).
En cause, principalement, les grèves à la SNCF contre la réforme « pour un nouveau pacte ferroviaire », adoptée le 14 juin 2018. Elle prévoyait la transformation de la compagnie nationale des chemins de fer en société anonyme à capitaux publics et l’abandon du statut de cheminot à l’embauche. Entre avril et juin 2018 les syndicats ont organisé des grèves perlées de deux jours séparées par trois jours d’activité. Rappelons aussi le long conflit social à Air France, qui a abouti à la démission du PDG en mai, après que les employés eurent rejeté sa proposition d’accord salarial.
Le secteur de l’enseignement, de la santé et de l’action sociale était, lui aussi, très agité en 2018 : le taux d’entreprises ayant déclaré une grève y est de 3,1% soit près du double de celui des services (1,8%).
Il est intéressant de remarquer que les conflits alternatifs à la grève étaient en recul: 0,8% des entreprises déclaraient avoir connu une forme de mobilisation alternative (tel que les rassemblements, occupation, boycott, recours aux prud’hommes, blocage d’accès ou lettre ouverte), soit une baisse de 0,7 points par rapport à 2017. Même tendance pour les manifestations (-0,5 points) ou les pétitions (-0,6 points).
Sans surprise, les transports et l’enseignement sont les deux principaux domaines ou les grèves, fomentées par des intersyndicales politisées et grassement subventionnées par l’État, font le plus de ravages. Cette surreprésentation donne une mauvaise image du peuple français qui, s’il demeure friand de débats et de rapports de force, n’en reste pas moins un peuple attaché à la valeur travail. À ce titre, l’instauration d’un service minimum dans la fonction publique, la suppression du financement public des syndicats ou le conditionnement du droit de grève au renoncement à la sécurité de l’emploi, sont des pistes de réflexion que chacun, et surtout nos politiques, pourraient peut-être méditer avec profit.
5 commentaires
Les grèves en France : le secteur des transports surreprésenté
la grève en tant qu’outil de destruction massive est confisquée par des syndicats politisés à l’extrême afin de gratter encore et encore quelques augmentations de salaires pour des résultats négatifs à l’envie !
Les grèves en France : le secteur des transports surreprésenté
Supprimez toutes subventions aux syndicats et les grèves s’arrêteront, du moins pour 80 % des cas. Il n’y a guère plus que le service public ou assimilé qui fait grève aujourd’hui. Il faut supprimer l’emploi à vie de toute urgence. Ce qui a été fait pour la Poste doit être fait pour les autres. 30 ans après la Poste souffre encore de ce statut incroyable et inepte. Les derniers tenants de ce statut n’hésite pas à foutre la « M…. » dans les services. Ma fille a même fini par démissionner de la Poste pour aller dans le même circuit, mais privé. C’est dur pour un employé de base en CDI ordinaire de recevoir un blâme pour « TROP TRAVAILLER ». Forcément ça gêne les employés branleurs à vie !!!
Les grèves en France : le secteur des transports surreprésenté
Article particulièrement indigeste. Beaucoup trop de chiffres, de sigles, …
Un peu plus de raisonnement ferait du bien. Merci
Les grèves en France : le secteur des transports surreprésenté
Dans le domaine de la santé les grèves sont uniquement symboliques puisque la réquisition est de mise. Pour la SCNCF et autres trucs tout aussi lourdingues mais indispensables à la marche du pays il devrait en être de même. Ce n’est pas le cas. C’est sans doute parce que les salariés de ces « entreprises » largement subventionnés ont une santé beaucoup trop fragile, il faut les comprendre.
Les grèves en France : le secteur des transports surreprésenté
En complément des propos d’Obeguyx, le petit ouvrage:
« Comment faire 35h en un mois » sorti en 2010 qui relate le témoignage d’une stagiaire au départ, sous le pseudonyme de Zoé Shépard. Voir ci-dessous….
« Comment faire 35 heures en… un mois », la réponse se trouve peut-être dans le livre « Absolument débordée », signé sous le pseudonyme de Zoé Shepard. Cette dernière est une haut fonctionnaire du conseil régional d’Aquitaine. Un lieu où selon la quatrième de couverture, les journées sont rythmées par une fréquentation assidue de la machine à café et des réunions durant lesquelles l’on ne prend pas de décisions. Un pamphlet, qualifié « de discours démagogique anti-fonctionnaire » par le conseil régional, qui estime que c’est « la crédibilité et l’honneur du personnel » qui sont en cause. L’auteur s’en défend affirmant avoir « fait vraiment hyper attention à ce qu’on ne puisse pas reconnaître la région ». Ironie de l’histoire, Zoé Shepard estime qu’elle a fait son devoir : « Je travaille pour l’intérêt général et lorsque cet intérêt général n’est pas servi au mieux.
En réponse à un journaliste qui lui demandait:
Aurélie, qu’est ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?
Essayer de trouver le ressort comique des situations de merde est un exercice auquel je me suis toujours prêtée. En l’espèce, et dans ce cas, ma situation professionnelle ne me convenait pas, mes demandes de détachement prenaient du temps, les notes que j’adressais à ma hiérarchie pour que ma situation évolue n’aboutissaient pas, j’étais évincée des réunions et toutes ses humiliations m’étaient très pénibles.
J’ai donc décidé de passer d’un blog sur lequel je racontais mes agacements ponctuels à un livre construit. Il faut dire que j’ai été poussée dans cette démarche par une personne que j’estime beaucoup et à qui j’ai voulu démontrer que je ne pouvais pas écrire un manuscrit entier.
Raté!