Dans un nouveau rapport, la Cour des comptes propose de revenir sur le régime fiscal incitatif de l’épargne retraite. En septembre, un rapport parlementaire préconisait également la remise en cause de certains avantages. Pourquoi s’acharner ainsi contre un dispositif qui permet aux Français de tenter de compenser la faiblesse de leur retraite par répartition ?
Le nouveau rapport de la Cour des comptes s’intéresse à l’épargne retraite des Français qu’elle considère comme un « dispositif coûteux aux objectifs à clarifier ».
Une retraite par capitalisation
Le rapport rappelle que l’épargne retraite, qualifiée également de « retraite supplémentaire » ou de « retraite par capitalisation », permet d’économiser durant la vie active pour disposer de ressources venant ensuite compléter les sommes versées par les régimes de retraite obligatoire.
Il rappelle aussi qu’avant la loi Pacte de février 2019, le paysage de l’épargne retraite supplémentaire se caractérisait par des contrats, conçus pour des catégories précises de la population, dont les modalités et la fiscalité différaient parfois fortement : Corem (créé en 1949) et Préfon (1967), destinés aux fonctionnaires ; Fonpel et Carel-Mudel (1983), destinés aux élus locaux ; CHR (1963) destiné aux fonctionnaires hospitaliers ; retraite mutualiste du combattant pour les militaires ; contrat Madelin (1994), destiné aux entrepreneurs individuels ; contrat des exploitants agricoles (1997) ; plan d’épargne retraite populaire (PERP), créé en 2003, pour toutes les catégories de la population. Il existait également des contrats d’épargne retraite d’entreprise collectifs, issus de l’épargne salariale ou obligatoirement alimentés par les versements des employeurs comme le perco, l’article 83 et l’article 39.
La loi Pacte a simplifié tout cela et entraîné l’extinction de la plupart des dispositifs anciens qui ne brillaient pas par leur dynamisme puisque, depuis 2016, les produits d’épargne retraite collective étaient en décollecte nette et que l’ensemble du système d’épargne supplémentaire l’est devenu en 2018. L’objectif de la loi Pacte, en la matière, était d’améliorer l’attractivité de l’épargne retraite par rapport à d’autres types de placements, tels que l’assurance vie ou les livrets réglementés, et de favoriser le financement à long terme de l’économie.
Aujourd’hui, il existe donc un produit générique, le plan d’épargne retraite (PER), décliné en trois versions : le PER individuel, le PER d’entreprise collectif et le PER d’entreprise obligatoire. Les règles fiscales et sociales qui s’appliquent ne diffèrent pas en fonction des versions mais en fonction de l’origine des versements qui peuvent être volontaires, obligatoires ou provenant de l’épargne salariale.
Pour la Cour des comptes, le PER coûte trop cher
Nous l’avons dit plus haut, l’épargne retraite par capitalisation s’essoufflait et la loi Pacte lui a permis de reprendre vigueur. Ainsi, de 12,6 milliards d’euros (Md€) en 2018, le montant total des cotisations au titre de la retraite supplémentaire a-t-il atteint 18,5 Md€ en 2022, soit une augmentation de 46% en euros courants (et 32% en euros constants) en quatre ans.
Comme le rappelle la Cour des comptes, « la spécificité de l’épargne retraite tient à la possibilité pour les épargnants d’opter pour la déductibilité des sommes cotisées de leur revenu imposable, contrebalancée par une imposition lors de la sortie du dispositif, en rente ou en capital, avec un taux marginal d’imposition souvent plus faible que durant la vie active. Les organismes gestionnaires de comptes insistent d’ailleurs sur cet avantage fiscal comme argument commercial, présenté comme la contrepartie d’un blocage des fonds jusqu’à la liquidation des droits ».
Mais, estiment les magistrats financiers, cette spécificité coûte cher. Ils ont évalué « la dépense fiscale et sociale » liée à l’épargne retraite à un minimum de 1,8 Md€ pour l’année 2022, auquel s’ajoute le coût de la retraite supplémentaire obligatoire d’entreprise et de la retraite supplémentaire des indépendants, qu’il n’est pas possible d’appréhender au travers des liasses fiscales. Et surtout, horresco referens, l’épargne retraite individuelle touche des épargnants plus âgés que la moyenne, aux revenus et aux taux d’imposition élevés, parmi les catégories les plus favorisées de la population qui utiliseraient le dispositif aux seules fins d’optimisation fiscale. Par ailleurs, la Cour a constaté que cette épargne était placée surtout en produits de taux et en fonds en euros et qu’elle ne contribuait pas vraiment au financement de l’investissement productif.
Pour la Cour des comptes, « dans un contexte budgétaire très contraint », il est nécessaire de « resserrer le bénéfice de l’avantage fiscal attaché à l’épargne retraite, en revoyant notamment les possibilités de report des plafonds de déduction d’une année sur l’autre et le montant des plafonds annuels de déduction ».
Dans un rapport d’information sur la fiscalité de l’épargne retraite par capitalisation paru en septembre 2024, les députés Félicie Gérard et Charles de Courson font, peu ou prou, les mêmes constats que les magistrats de la Cour des comptes. S’ils reconnaissent que « la création du PER a indéniablement contribué au développement de l’épargne retraite en France », c’est aussitôt pour regretter qu’elle soit peu développée parmi les ménages modestes et les plus jeunes. Ils voudraient, par exemple, que ceux qui ne paient pas d’impôt sur le revenu puissent quand même avoir un avantage fiscal en épargnant sur un PER.
Mais l’essentiel du rapport des deux députés n’est pas là , il est dans la prévention « des risques de détournement et de banalisation du PER ». C’est ainsi qu’ils évoquent le cas où le titulaire d’un PER décèderait avant la liquidation de ce dernier, les sommes accumulées étant alors transmises aux ayants droit et imposées au titre des successions, mais sans l’avoir été au titre de l’impôt sur le revenu. Ce qu’ils trouvent fâcheux. Ils proposent donc d’interdire l’ouverture d’un PER à partir de 67 ans et de rendre obligatoire sa liquidation à 70 ans. Charles de Courson souhaite également que les sommes reçues par les ayant droits soient imposés sur le revenu dès lors qu’elles correspondent à des versements déduits.
Temporiser et réformer vraiment
Ces deux rapports nous amènent à faire cinq remarques.
La première est que le PER n’a que cinq ans d’existence. Par conséquent, il conviendrait d’attendre encore quelques années avant d’en modifier les règles. L’instabilité juridique et fiscale est un mal français qui n’incite pas à prendre des initiatives. Changer les règles du PER ne ferait que fragiliser le dispositif.
La deuxième remarque porte sur le concept de « dépense fiscale » qui est plus que fumeux puisqu’il revient à trouver normal de prélever 100% des revenus et du patrimoine d’un individu et à considérer comme un « cadeau » tout prélèvement à un taux inférieur.
Troisième remarque : une des solutions pour que ceux qui ne paient pas d’impôt sur le revenu (IR) puissent avoir un avantage fiscal en épargnant sur un PER serait d’étendre l’assiette de l’IR. En payant l’IR, même modestement, ces ménages seraient incités à approvisionner un PER plutôt qu’un livret A ou une assurance-vie.
La quatrième remarque porte sur les héritiers des sommes déposées sur un PER. Les députés proposent que cet argent soit soumis à l’IR, tout en reconnaissant qu’ils ne savent pas combien de personnes seraient concernées et que le Trésor lui-même est incapable d’évaluer les sommes en cause. De même, les députés ne donnent aucun chiffre sur le nombre de PER ouverts et/ou alimentés après 67 ans. Ne faudrait-il pas commencer par là avant de légiférer ?
Enfin, cinquième remarque, affirmer que les contribuables soumis aux taux les plus élevés de l’impôt sur le revenu sont favorisés par la déductibilité fiscale du PER, c’est oublier que ces personnes ont le taux de remplacement le plus faible dans le régime de retraite par répartition qui est le nôtre (57% pour les cadres et moins de 50% pour les cadres supérieurs, les indépendants et les professions libérales).
Après les retraités, c’est maintenant l’épargne retraite qui est attaquée. S’en prendre à la retraite supplémentaire alors que le régime de retraite par répartition va à vau-l’eau est une très mauvaise idée. C’est d’ailleurs ce dernier qu’il conviendrait vraiment de réformer, comme le propose l’Iref, en passant à la capitalisation.