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Le Conseil constitutionnel : une cour constitutionnelle ou politique ?

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La décision du Conseil constitutionnel rendue le 25 janvier sur la loi Immigration a relancé le débat sur le « gouvernement des juges » comme à chaque fois que notre cour constitutionnelle livre une décision après des débats passionnés au Parlement et au sein de l’opinion politique. Une mise au point s’avère donc nécessaire.

Des réactions affligeantes à la décision du Conseil constitutionnel

La décision du Conseil constitutionnel sur la loi Immigration a donné lieu à l’annulation de plusieurs dizaines d’articles du texte, ce qui est peu courant. Les Républicains se sont étranglés : « Le Conseil constitutionnel a jugé en politique plutôt qu’en droit », a assuré Eric Ciotti, leur président ; « coup d’État de droit », a même osé Laurent Wauquiez. Quant à Olivier Marleix, le président du groupe à l’Assemblée, il a tonné : « La volonté des Français est écartée d’un trait de plume ». Seul ou presque, Xavier Bertrand a émis un son de musique différent, sans doute guère mécontent de se distinguer de ses rivaux dans la course à la présidence de la République…

A gauche, ce sont comme de coutume les élus de La France Insoumise qui ont fait le plus de bruit. L’inénarrable Mathilde Panot triomphe : « Le racisme n’est pas constitutionnel. Le texte doit maintenant être retiré. Entièrement ». Le coordinateur du parti, Manuel Bompard, n’a pas hésité à déclarer que la loi « n’a aucune légitimité » et qu’elle devait donc être « retirée ».

De telles réactions sont affligeantes. A droite, car les constitutionnalistes se doutaient bien que beaucoup de dispositions ne sortiraient pas indemnes de leur passage sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel. En effet, les « cavaliers législatifs » sont interdits par notre Constitution et à juste titre. Il s’agit, selon l’article 45 révisé en 2008 de l’irrecevabilité des amendements qui ne présentent pas un lien « même indirect » avec le texte déposé ou transmis. Autrement dit, la loi doit être claire par principe et elle ne doit pas s’éparpiller.

Ce qui est piquant, c’est que certains journaux, dont Le Figaro, s’étaient réjouis du bon tour joué par la droite au gouvernement en conditionnant son accord à l’acceptation de plusieurs amendements. Aujourd’hui, les Républicains sont les dindons de la farce ! Ils ont accepté le texte gouvernemental, dont des régularisations d’immigrés qu’ils ne voulaient pas, et ils ont permis son adoption en compensation d’amendements depuis lors annulés par le Conseil constitutionnel ! Un Conseil qui confirme son interprétation très stricte des cavaliers législatifs, si stricte qu’elle a fait polémique puisque certains amendements, quoi qu’il en ait dit, n’étaient pas sans lien avec le texte. Il va de soi que les dispositions concernées pourront être reprises dans un nouveau projet de loi ou dans une proposition de loi, mais sans certitude d’être adoptées, loin de là. Et, en tout état de cause, que de temps perdu alors même que l’immigration est un sujet brûlant !

A gauche, La France insoumise réclame le retrait total du texte alors même que la Constitution fait obligation au président de la République de promulguer la loi (nous renvoyons à notre pendule à l’heure récente sur le sujet).

Un « gouvernement des juges » ?

Il est amusant de noter que la droite ait mis en cause le Conseil constitutionnel comme organe politique alors même que naguère elle le félicitait pour ses courageuses décisions en droit… Et il est tout aussi réjouissant de voir tout particulièrement l’extrême gauche se montrer dithyrambique envers un organe qu’elle voue continuellement aux gémonies ! C’est peut-être là un premier indicateur du fait que le Conseil constitutionnel n’est pas un organe si partisan que cela…

La réaction rappelée précédemment d’Olivier Marleix selon laquelle la cour constitutionnelle s’était opposée à la « volonté des Français » n’a pas de sens. En effet, une constitution est par définition au-dessus de la loi. Cela ne veut pas dire que la Cour soit au-dessus du Parlement mais que son interprétation du texte suprême s’impose à tous. Et qu’une interprétation contestée peut être combattue par une révision de la Constitution (que souhaite le Rassemblement National depuis longtemps et que souhaitent maintenant beaucoup de Républicains). Le Parlement n’est pas suprême, encore moins l’opinion publique telle qu’elle ressort de sondages.

Mais la réaction rappelée précédemment de Xavier Bompard selon laquelle la loi n’aurait plus de légitimité n’a pas plus de sens. La loi qui a passé le contrôle du Conseil constitutionnel est l’émanation de la « volonté populaire » telle qu’elle s’est exprimée au Parlement ou à l’Assemblée.

Les réformes nécessaires

Si le Conseil constitutionnel attise les passions, c’est que sa composition est souvent critiquée. Ses décisions seraient avant tout politiques du fait que ses membres n’ont, contrairement à la plupart des cours constitutionnelles ou suprêmes des pays occidentaux, aucune obligation d’avoir une formation en droit ou une carrière juridique.

Il est stupéfiant qu’un organe de droit ne soit pas peuplé de juristes des diverses disciplines, publicistes bien sûr, mais également privatistes et historiens du droit. Il l’est encore plus que dans sa composition actuelle, le Conseil ne comporte aucun professeur des facultés de droit ! Cela doit être unique dans le monde civilisé. De plus, autre spécificité typiquement française, le Conseil comporte des membres de droit qui ne sont autres, s’ils veulent bien y siéger, que les anciens chefs de l’État. Ajoutons que l’IREF plaide en faveur de la fin des privilèges dont bénéficient les conseillers en matière d’indemnisation. Ajoutons encore, point qui n’est jamais relevé, que les membres du Conseil sont la plupart du temps issus du secteur public ou émargent aux fonds publics, voire les deux : fonctionnaires, puis hommes politiques professionnels avant de devenir hauts membres au sein d’un « entre soi » ou d’un microcosme parisien.

Si la composition du Conseil se trouve, pour une raison ou une autre, fréquemment contestée, le point essentiel qui n’est lui non plus jamais relevé tient aux normes de contrôle. Notre constitution s’analyse comme un ensemble baroque de textes contradictoires, entre autres une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 de sensibilité libérale, nonobstant son légicentrisme, et un Préambule de 1946 d’inspiration marxiste. La situation a même empiré lorsque Jacques Chirac a voulu ajouter au bloc de constitutionnalité une Charte de l’environnement très orientée.

Or, le Conseil constitutionnel a considéré dans sa décision de 1982 sur les nationalisations qu’aucun texte ne prévalait sur les autres. Il lui appartient donc, avec une grande latitude d’interprétation, de concilier ces textes contradictoires, par exemple la consécration du droit naturel et imprescriptible de propriété avec sa violation. La réforme fondamentale devrait donc être celle des textes disparates au fondement de notre Constitution. Vaste réforme…

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12 commentaires

RODRIGUEZ 30 janvier 2024 - 7:25

Quand on connait le passé nébuleux de FABIUS je me demande que fait ce personnage douteux au CONSEIL CONSTITUTIONNEL . Je pense avoir confiance en lui comme un âne qui recule !!!!

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Roven 30 janvier 2024 - 9:03

On peut longtemps peser l’idée selon laquelle des dispositions relatives à la nationalité, par exemple, ont été annulées parce qu’elles n’auraient pas de rapport avec l’immigration, ce qui n’est à l’évidence pas sérieux et démontre une attitude plus politique que juridique.
Le bloc de constitutionnalité est une auto-extension abusive des pouvoirs du Conseil : ces justifications de son pouvoir ne s’appuient sur aucun texte, le Conseil étant prévu pour faire respecter la Constitution et rien d’autre.
Ce que les citoyens constatent, c’est que notre régime tourne à l’autocratie : un homme seul décide de tout en court-circuitant le Parlement, et maintenant en ayant mis à sa botte la plus haute juridiction du pays, qui manque cruellement de juristes.
Mais cette dérive a une limite. Quand le peuple a le sentiment de n’être plus représenté, il reprend le pouvoir directement. Après les gilets jaunes, les émeutes, les agriculteurs, les grèves dans de nombreux domaines professionnels, est-ce que ce gouvernement de caste technocratique nous mener bientôt au seul recours désormais accessible : des changements brutaux ? Jusqu’ici, les assistés plan-plan se laissaient faire. Aujourd’hui, des gens déterminés, car ils n’ont plus rien à perdre, comme les agriculteurs, peuvent changer la donne. A moins bien sûr qu’à la veille des JO le technocrate en chef ouvre à nouveau la vanne des déficits pour compenser ses bourdes et se payer le calme sur notre compte. Casquez et taisez-vous !

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Laurent46 30 janvier 2024 - 10:04

Après les DéPutes 300€ les gros et gras Sénateurs 700 € on n’a pas encore entendu le montant que les mafieux du conseil constitutionnel se sont gratifiés si on suit la logique cela devrait dépasser les 1000 €
Et surtout payeurs ne vous faites pas d’illusion les autres y compris les locaux vont suivre l’exemple alors que le pays est en ruine !

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Christian de Lavernée 30 janvier 2024 - 10:36

Tout esprit libre devrait s’interroger sur la qualification de cavalier législatif par le CC.
En effet le premier alinéa de l’art. 45 de la Constitution, adopté pour prévenir l’étouffement du droit d’amendement par les juges, subordonne la recevabilité à un lien direct ou indirect avec le texte déposé. Or le CC a forgé une jurisprudence restrictive en exigeant un lien avec une disposition du texte déposé. C’est très différent puisque cela interdit au Parlement de débattre d’une disposition alternative ou complémentaire à celles du projet du gouvernement, même si elle s’inscrit dans ses objectifs tels qu’ils sont exprimés par le titre de la loi ou celui de ses parties. Le Parlement est censuré s’il se montre créatif, il est réduit à aménager les détails d’application dans le cadre conçu par l’exécutif. Cela existe-t-il dans les grandes démocraties?
Exemple de la DC du 25 janvier 2025: les articles 3 à 5 du texte transmis au CC durcissaient les conditions du regroupement familial. Ils sont écartés au motif qu’aucune disposition du projet du gouvernement n’abordait le regroupement familial. Pourtant c’est le principal moyen quasi inconditionnel d’accès au séjour en France, dont l’absence pouvait surprendre dans cette « loi pou contrôler l’immigration » et dans son titre I « Maîtriser les voies d’accès au séjour ». On peut difficilement admettre qu’il s’agissait d’une « dispersion de la loi ».

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Oncpicsou 30 janvier 2024 - 11:13

Merci pour cette analyse qui éclaire ma lanterne.
Ce bricolage est loin d’être rassurant sur la santé mentale de ceux qui en sont à l’origine et de ceux qui en jouent au lieu d’apporter les corrections qui s’imposent!

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philippe 30 janvier 2024 - 2:54

exactement !!! article trés intéressant en effet car il donne un éclairage factuel sur le CC et les problématiques qui l’entourent, merci monsieur feldman !!

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ORILOU 30 janvier 2024 - 12:13

La composition du Conseil Constitutionnel à elle seule pose question. A PROPOS CONSTITUTION : D’un côté – alors qu’il n’est remis en question par personne- on parle d’introduire le droit à l’avortement dans notre Constitution, de l’autre, alors que l’immigration pose de graves problèmes à notre pays, on perd un temps précieux avec l’aide d’un Conseil Constitutionnel qui pose question. Pas de doute, on marche sur la tête.

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an 30 janvier 2024 - 1:17

Oui, certes,… mais le Cc fait bien ce qu’il veut en définitive et c’est bien là le problème !

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Eddy K 30 janvier 2024 - 1:39

Comme vous le dites vous-même : le CC a retoqué la plupart des articles rédigés par la droite en arguant que c’était des “cavaliers législatifs”. Autrement dit, sans lien avec l’immigration. Donc selon Fabius et les autres membres du CC, parler du coût de l’immigration n’a aucun lien avec l’immigration et n’a rien à faire dans une loi Immigration ? Bizarre, non ? Il n’y a aucun constitutionnaliste au CC, par contre il y a Fabius, l’homme du sang contaminé et Juppé, (l’homme de la « mondialisation heureuse » !) qui s’est exilé au Canada, évitant ainsi la justice Française. Deux « détails » qui auraient dû leur interdire d’en faire partie. Passons rapidement sur Sarkozy (couvert de casseroles)… Rappelons aussi que Fabius a décrété que la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » avait une valeur juridique, ce qui interdisait de poursuivre ceux qui aident l’entrée des clandestins dans notre pays. Donc un seul mot devient un texte de loi à lui tout seul ? Mais dans ce cas les mots « Liberté » et « Egalité » aussi ! On peut pourrait tirer d’innombrables conclusions de ces deux mots ! Et surtout, leur faire dire tout et n’importe quoi… Grâce à Fabius et les autres, nous avons un « CC Canada Dry » : ce n’est pas un gouvernement des juges non élus (pouvoir Judiciaire) mais il peut contrôler et censurer les décisions des élus du Peuple (pouvoir Législatif) ou du gouvernement (pouvoir Exécutif) et cela y ressemble fortement… La Démocratie n’est-elle pas fondée sur la séparation des trois pouvoirs ?

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Picot 30 janvier 2024 - 1:42

Monsieur Feldman vous avez oublié l’essentiel : que veulent les Français? Tout le monde le sait : il faut stopper cette invasion migratoire. Il y a longtemps qu’un référendum aurait du être proposé sur le sujet. Il ne l’est pas, ce qui veut dire que le peuple n’est pas écouté, donc carrément méprisé. A partir de là tout ce cinéma entre les députés et le Conseil Constitutionnel n’est qu’une comédie grossière. Et la preuve que nous ne sommes plus du tout en démocratie. Une preuve de plus.

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Christian de Lavernée 30 janvier 2024 - 4:39

Tout esprit libre devrait s’interroger sur la qualification de cavalier législatif par le CC.
En effet le premier alinéa de l’art. 45 de la Constitution, adopté pour prévenir l’étouffement du droit d’amendement par les juges, subordonne la recevabilité à un lien direct ou indirect « avec le texte déposé ». Or le CC a forgé une jurisprudence restrictive en exigeant un lien « avec une disposition du texte déposé ». C’est très différent puisque cela interdit au Parlement de débattre d’une disposition alternative ou complémentaire à celles du projet du gouvernement, même si elle s’inscrit dans ses objectifs tels qu’ils sont exprimés par le titre de la loi ou celui de ses parties ou l’exposé des motifs. Le Parlement est censuré s’il se montre créatif, il est réduit à aménager les détails d’application dans le cadre conçu par l’exécutif. Cela existe-t-il dans les grandes démocraties ?
Exemple de la DC du 25 janvier 2025 : les articles 3 à 5 du texte transmis au CC durcissaient les conditions du regroupement familial. Ils sont écartés au motif qu’aucune disposition du projet du gouvernement n’abordait le regroupement familial. Pourtant c’est le principal moyen quasi inconditionnel d’accès au séjour en France, dont l’absence pouvait surprendre dans cette « loi pour contrôler l’immigration » et dans son titre I « Maîtriser les voies d’accès au séjour ». On peut difficilement admettre qu’il s’agissait d’une « dispersion de la loi ».
Or le CC a forgé une jurisprudence restrictive en exigeant un lien avec une disposition du texte déposé. C’est très différent puisque cela interdit au Parlement de débattre d’une disposition alternative ou complémentaire à celles du projet du gouvernement, même si elle s’inscrit dans ses objectifs tels qu’ils sont exprimés par le titre de la loi ou celui de ses parties. Le Parlement est censuré s’il se montre créatif, il est réduit à aménager les détails d’application dans le cadre conçu par l’exécutif. Cela existe-t-il dans les grandes démocraties ?
Exemple de la DC du 25 janvier 2025 : les articles 3 à 5 du texte transmis au CC durcissaient les conditions du regroupement familial. Ils sont écartés au motif qu’aucune disposition du projet du gouvernement n’abordait le regroupement familial. Pourtant c’est le principal moyen quasi inconditionnel d’accès au séjour en France, dont l’absence pouvait surprendre dans cette « loi pour contrôler l’immigration » et dans son titre I « Maîtriser les voies d’accès au séjour ». On peut difficilement admettre qu’il s’agissait d’une « dispersion de la loi ».

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Hela Pernollet 4 février 2024 - 7:14

oui, cette institution n’a plus lieu d’être, car elle ne correspond plus à ce qu’elle devrait représenter .
Ce sont des vieux surtout de gauche, esprit marxiste, qui ont été recasés là ! malheureusement ils ont
de par leur position trop de pouvoir, pas assez de vue sur la réalité des problèmes !

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