Cette question a fait l’objet d’une étude de Maître Jean Philippe Delsol, administrateur de l’IREF. La question est d’actualité avec le projet de prime aux salariés de sociétés distribuant davantage de dividendes. L’étude explique les dangers et l’injustice d’une telle intervention.
Déjà la crise de 2008 a eu besoin de boucs émissaires. Elle a désigné les banques et plus encore les bonus des traders et autres employés de banque, dont tous les économistes avertis s’accordent pourtant à considérer qu’ils n’étaient pas la cause de la déréliction des marchés, du moins la cause unique, voire la cause principale. Mais plus généralement, le contrôle des rémunérations du secteur bancaire participait de l’idéologie anti-riches, de l’esprit niveleur que la campagne présidentielle réactive aujourd’hui en France.
Ainsi, la dernière trouvaille de notre président est-elle d’obliger les sociétés qui distribuent des dividendes à verser des primes aux salariés. La loi n’est pas encore votée, mais d’ores et déjà elle se profile comme une obligation, peut-être épargnée aux entreprises de moins de 50 salariés.
La confusion est ainsi à son comble. Les salariés n’attendent pas, heureusement, que des dividendes soient distribués pour bénéficier d’augmentations ou de primes. Et les actionnaires, heureusement, n’exigent pas de recevoir des dividendes chaque fois que les salariés sont augmentés ou primés. Beaucoup de sociétés ne distribuent pas de dividendes. Certes, depuis 2008, les grandes sociétés ont mieux rémunéré leurs actionnaires, sans doute parce qu’elles en avaient besoin pour attirer des capitaux que de leur côté les banques distribuaient avec plus de parcimonie. Mais les hommes politiques, enfermés dans leur citadelle de certitudes administratives, en majorité issus de la fonction publique, oublient que pour faire vivre les entreprises il faut des capitaux et que si ceux-ci ne sont pas rémunérés, leurs détenteurs ne les risquent pas dans l’entreprise. Car les actionnaires risquent effectivement leurs capitaux et n’ont pas de fonds de garantie pour les leur rembourser en cas de dépôt de bilan comme l’AGS, qui assure le versement des salaires dans ce cas.
La droite française tombe dans le piège de ses ennemis qui veulent contrôler toujours plus les salaires autant que les comportements, qui veulent décider de la juste rémunération de chacun. C’est pourtant de moins de contrôle et de plus de liberté et de morale que la société française a besoin. Cette obsession idéologique de vouloir maitriser les salaires s’inscrit dans la tendance étatiste générale, dans l’ingérence croissante de l’Etat dans la relation entre employeurs et employés. Elle traduit aussi la hargne niveleuse pour raboter les hauts salaires et augmenter artificiellement les bas salaires. Dans les deux cas, cette politique est au détriment des plus pauvres.
Faut-il limiter les salaires ?
Les sociétés communistes ont voulu limiter les rémunérations de tous, les égaliser au mieux. La réalité a d’ailleurs été différente, car l’homme est ainsi fait qu’il cherche toujours à optimiser son avoir de sorte que les avantages en nature et les bakchichs ont recréé une inégalité souvent bien pire, d’autant plus qu’elle était moins transparente. Certains en rêvent encore pourtant. L’ex-trotskyste Jean-Luc Mélenchon veut tout prendre au-dessus de 350 000 € de salaire par an, soit 20 fois le revenu médian, avec un taux d’imposition de 100% au-delà de cette limite. Les écologistes souhaitent instaurer une tranche d’imposition à 70% au-delà de 500 000 € et imaginent que la loi pourrait fixer « un salaire forfaitaire maximum ». L’économiste du PS Thomas Piketty propose de taxer au taux de 60%, et au premier euro, tous les salaires au dessus de 100 000€ de revenu brut par an. Plus réaliste, le programme officiel du parti socialiste envisage des rémunérations qui seraient « comprises dans une échelle de l’ordre de un à vingt » dans les entreprises ou l’Etat est actionnaire.
Mais comme le disait le Président Abraham Lincoln en 1860 « vous ne pouvez pas donner la force au faible en affaiblissant le fort… Vous ne pouvez pas aider le pauvre en ruinant le riche ». La question est de savoir si en réduisant l’écart des salaires, on permettra la hausse des petits salaires ou si, comme l’histoire économique l’a démontré cent fois, on appauvrira tout le monde. Que voulons nous : favoriser la croissance des petits salaires, quand bien même les plus hauts salaires croitraient plus encore, ou niveler les salaires au prétexte que tout écart devient psychologiquement (et donc politiquement) insupportable au-delà d’un certain niveau ?
Car il est vrai selon une étude de l’INSEE que si pour 90% des Français, la progression de l’ensemble des revenus a été légèrement inférieure à 10% entre 2004 et 2007 par exemple, elle s’est située entre 20 et 40% pour les gens aisés et très aisés, deux catégories qui représentent chacune 0,1% de la population. En matière de salaires, la hausse a été de 5,8% par an entre 2002 et 2007 pour les 1% de Français les plus riches et de 2,3% pour l’ensemble des salariés. Mais sur le long terme, Thomas Piketty observe sur l’ensemble du XXème siècle une érosion drastique des très très hauts revenus, ceux des « 200 familles », mais une vraie stabilité des revenus salariés:… « tout au long du siècle, une « main invisible » semble avoir fait en sorte que les 10% des salariés les mieux rémunérés se retrouvent toujours à gagner environ 2,5-2,6 fois plus que la moyenne, que les 5% des salariés les mieux rémunérés se retrouvent toujours à gagner environ 3,4-3,6 fois plus que la moyenne, que les 1% des salariés les mieux rémunérés se retrouvent toujours plus à gagner 6-7 fois plus que la moyenne, et inversement que les 10% des salariés les moins bien rémunérés se retrouvent toujours à gagner environ 2 fois moins que la moyenne ». Il s’interroge sur cette constance et en conclut qu’il y a manifestement et tout à la fois une régulation par le marché de l’offre et de la demande et un phénomène culturel davantage propre à la France.1
Le salaire minimum
Généralement, les mêmes qui veulent fixer un plafond aux salaires des autres sont aussi ceux qui veulent imposer un plancher à leurs propres salaires. Le Smig a été institué en 1950 en France pour garantir un minimum vital. En 1970, il devient Smic pour marquer la volonté qu’il participe à la croissance et il se rapproche de plus en plus du salaire moyen. Un salaire minimum national existe dans 21 des 30 pays de l’OCDE et dans 20 des 27 pays membres de l’Union européenne. Les sept États membres de l’Union Européenne n’ayant pas à ce jour de salaire minimum légal sont l’Allemagne, l’Autriche, Chypre, le Danemark, la Finlande, l’Italie et la Suède. Parmi les pays où existe un salaire minimum national, la France fait partie de ceux où il est le plus uniforme. Elle est le pays où les règles de revalorisation sont les plus contraignantes à la fois par leur automaticité et le fait qu’elles dépassent la seule protection du pouvoir d’achat2.
En réalité un salaire minimum évince les salariés les plus faibles, les moins productifs du marché du travail car au-delà d’un certain seuil, ils coûtent plus cher qu’ils ne rapportent. Les jeunes sont les plus vulnérables à ce phénomène d’exclusion dans un pays comme la France où il n’y a pas de différence de Smic selon les âges, où il n’y a pas de Smic jeune ; de même dans les régions où les salaires sont plus bas qu’à Paris, le Smic est plus exclusif car il est plus proche du salaire moyen.
Le salaire minimum est d’autant plus exclusif en France qu’il supporte des charges sociales qui sont parmi les plus élevées du monde. Un Smic de 1365 € par mois pour 35 heures à 9€ par heure, représente un cout de 1810 € (allègements de charges compris) pour l’employeur et à peine plus de 1000 € (1073 €) nets pour le salarié. C’est très difficile à supporter dans les petites entreprises dont les patrons, dans les TPE, gagnent eux-mêmes en moyenne 3000 € bruts par mois.
Que faire ? Existe-t-il un juste salaire ? Et alors qui doit le définir ?
La vision marxiste
Certains voudraient que le salaire soit entièrement déconnecté de la charge qu’il représente pour celui qui le paye. C’est ce que dit la formule socialiste, « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins », utilisée, semble-t-il, comme telle pour la première fois par Louis Blanc dans son Organisation du travail de 1839 avant d’être reprise dans La critique du programme socialiste allemand de Gotha de 1875, par Karl Marx.
Marx pourtant savait que la formule n’était guère réaliste. Il la présentait plutôt comme l’idéal à promouvoir et à vivre dans une phase supérieure de la société communiste, une fois le communisme achevé : « Dans une phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu l’asservissante subordination des individus à la division du travail et, avec elle, l’opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel; quand le travail ne sera pas seulement un moyen de vivre, mais deviendra lui-même le premier besoin vital; quand, avec le développement multiple des individus, les forces productives se seront accrues elles aussi, et que toutes les sources de la richesse collective jailliront avec abondance, alors seulement… la société pourra écrire sur ses drapeaux : De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins  » .1.
Lénine, dans L’État et la Révolution de 1917, partageait la même utopie : « L’Etat pourra disparaître complètement lorsque la société aura réalisé le principe : « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins »3, c’est-à -dire lorsqu’on sera tellement habitué à observer les règles primordiales de la vie sociale et que le travail sera devenu tellement productif que tout le monde travaillera volontairement selon ses capacités. »
Mais cette utopie a mené inexorablement à l’appauvrissement de tous et à des différences de salaires indirects bien pires, au travers des avantages de la nomenklatura et des prébendes accordées aux serviteurs zélés d’un parti omnipotent et totalitaire.
Existe-t-il un juste salaire ?
Personne ne connaît le juste salaire. Ceux qui prétendent pouvoir le donner et qui voudraient l’imposer sont toujours dangereux parce qu’ils cherchent en fait, et souvent de toute bonne foi, à inscrire la réalité dans un cadre conceptuel théorique qui en deviendra bientôt le carcan, une idéologie en quelque sorte.
C’est pourquoi, si le marché n’est pas parfait, il apparaît comme le moins imparfait, du moins parce qu’il est capable de s’adapter tous les jours. Certes, le marché peut être dévoyé par certains et conduire à des excès, à des différences de rémunérations injustifiées. Mais faut-il alors en accuser le marché, ou les voyous qui le détournent ? D’autre part, le contrôle des salaires peut conduire à des risques bien pires, ceux de la pauvreté pour tous.
Bien sûr, il faut donc que les employeurs fassent preuve de rigueur et d’honnêteté. Comme leurs salariés d’ailleurs. En particulier il est souhaitable que les conseils d’administration qui fixent les rémunérations des dirigeants aient un certain discernement, soient uniquement guidés par l’intérêt de l’entreprise, et ne se fassent pas les complices de la cupidité de leurs amis et condisciples. C’est d’ailleurs leur intérêt aussi car un système amoral ne tient pas dans la durée.
Ce n’est pas la morale qui régit les salaires, mais c’est elle qui condamne les comportements de tricheurs, voire même de voleurs. Il y a des bornes à ne pas dépasser. La question se pose aussi pour les très bas salaires : vaut-il mieux faire travailler des enfants au Bangladesh ou refuser de les faire travailler au risque qu’ils meurent de faim ? Certes, il faudrait donner de l’argent à leurs parents pour que ces enfants aillent à l’école. Mais ça n’est pas la mission de l’entreprise. En embauchant les petits bangladeshis, elle leur permet de vivre et de développer leur pays qui peu à peu rattrapera les pays développés.
In medio stat virtus ! Il faut respecter les disciplines du marché, c’est-à -dire la liberté des parties, les accords entre employeurs et employés par branche, par région…, la liberté d’installation à son compte et la transformation du travail salarié en travail indépendant ou semi indépendant. (cf Hyacinthe Dubreuil). A cet égard le statut d’auto-entrepreneur est un excellent moyen de permettre simplement à quiconque de développer un travail indépendant.
Si le salaire doit être fixé par le marché, encore faut-il que le marché fonctionne librement et ouvertement. En ce sens l’expérience du Say on Pay apparaît tout à fait positive. Il s’agit du dispositif légal introduit au Royaume Uni en 2002 et aux Etats-Unis en 2010 qui oblige les sociétés cotées à permettre à leurs actionnaires de se prononcer spécifiquement sur la rémunération des dirigeants.
La France a plus besoin de transparence que de règlementation, de liberté que d’obligations. A défaut elle fera fuir les capitalistes et s’en mordra les doigts, mais il sera peut-être trop tard. Le rôle de l’Etat n’est pas de se faire entrepreneur et de décider des rémunérations qu’il ne paye pas. Il est plutôt de favoriser la liberté d’entreprendre et d’encourager toutes les créations d’entreprises. Si les charges sociales étaient moins importantes, si les salaires étaient moins administrés, il y aurait moins de chômage. Et s’il y avait moins de chômage, la concurrence à l’embauche tendrait naturellement à l’augmentation progressive des salaires et plus généralement des rémunérations.
1.Th.PIKETTY Les hauts revenus en France au XXème siècle, Grasset, p. 223 sq.).
2.Sur ces questions, cf. CAHUC, CETTE et ZYLBERBERG, 2008 ; AGHION, ALGAN et CAHUC, 2007 (Groupe d’experts sur le salaire minimum interprofessionnel de croissance, 2009).
3.Karl Marx, les Gloses marginales au programme du Parti Ouvrier, Critique du programme du parti ouvrier allemand, 1875.
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Role de l’Etat
Le dernier paragraphe me parait suffisant car résumant la fonction à laquelle l’état DEVRAIT se limiter…. incompétent par ailleurs!