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Haro sur la fast-fashion

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Polluante, de mauvaise qualité, produite à l’autre bout du monde par des ouvriers dans des conditions souvent douteuses, la fast-fashion trouve pourtant un public de plus en plus large parmi les consommateurs les plus modestes. Alors que le législateur français vient d’y mettre le holà, qui sera vraiment le dindon de la farce ?

Le 14 mars, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une proposition de loi visant à pénaliser la fast fashion. Plusieurs aspects sont abordés dans le texte porté par Anne-Cécile Violland (Horizons). Pour la première fois, la loi française définit la fast fashion : « La mise à disposition ou la distribution d’un nombre élevé de nouvelles références de produits neufs (…) dépassant des seuils fixés par le Conseil d’Etat relève d’une pratique commerciale consistant à renouveler très rapidement les collections vestimentaires et d’accessoires ». Les entreprises concernées par ce type de pratique, et pour l’instant on pense aux géants chinois Sein, Temu ou Alibaba, devront dès lors afficher sur leur plateforme de vente en ligne « des messages encourageant la sobriété, le réemploi, la réparation, la réutilisation et le recyclage des produits et sensibilisant à leur impact environnemental ».

Tout problème a sa taxe

En vertu du principe de la responsabilité élargie du producteur, des pénalités financières seront appliquées à chaque produit vendu, débutant à un seuil de 5€ en 2025 pour augmenter progressivement jusqu’à 10€ en 2030. Taxe qui bien entendu sera reportée sur la facture du consommateur. Une loi qui suscite mécaniquement une hausse des prix, cela n’a qu’un seul nom (et beaucoup d’adjectifs) : c’est une loi inflationniste. Et celle-ci combine les deux grands talents du système législatif français : la lourdeur administrative et le matraquage fiscal. Cocorico, on nous reconnait de loin !

On retrouve ici le mode de raisonnement habituel des politiques français : un problème = une taxe. Enfin, pas exactement. Comme il s’agit d’éduquer les consommateurs, on parle plutôt de « bonus-malus », lequel sera partiellement reversé aux producteurs de vêtements durables. Ces derniers vont ainsi recevoir pour la première fois de l’argent d’une catégorie de la population qui n’achètera jamais leurs vêtements : les classes populaires, c’est-à-dire ceux dont seul le porte-monnaie détermine où et comment se vêtir. Car inutile de s’y tromper, tout le monde sait bien qu’une robe à 3€ en synthétique importée de l’autre bout du monde et produite par des travailleurs que notre Code du travail laisse rêveurs n’a rien d’éthique. Ceux qui ont le choix l’imposent donc à ceux qui ne l’ont pas dans une démarche tout ce qu’il y a de plus infantilisante et humiliante. Mais n’est-ce pas cela finalement, la fiscalité comportementale ? Vous êtes pauvres, et vous n’avez même pas le droit de vivre comme tel car c’est immoral.

Mais le point le plus novateur est encore à venir, car des contributions financières et des normes, il y en a déjà ; en revanche, s’il y a bien quelque chose qui n’est pas courant dans le domaine de la mode, c’est l’interdiction de la publicité, comme c’est le cas en l’espèce. On a beau dire que l’immense variété de vêtements permet à chacun d’exprimer sa personnalité, il n’en demeure pas moins que la plupart des gens portent l’uniforme réglementaire dicté par la publicité et les réseaux sociaux. Dès lors, envisager de vendre des vêtements sans y joindre le sentiment d’appartenance à une tendance est quelque chose de tout à fait improbable et coupé du réel.

Sur quel public ces diverses pénalités vont-elles peser ? La part de consommateurs la plus importante sur Shein est la Génération Z, c’est-à-dire les jeunes nés entre 1995 et 2010. Qu’est-ce qui pousse une génération particulièrement sensible aux enjeux écologiques à acheter sur ces plateformes ? Le fait que ce soit des étudiants et des jeunes professionnels laisse facilement deviner que c’est une simple question de pouvoir d’achat ; d’ailleurs, 55% d’entre eux placent le prix d’un produit comme facteur le plus important. En seconde place des consommateurs les plus assidus de Shein, on trouve les parents des enfants âgés de 1 à 15 ans, c’est-à-dire un public qui est à une phase de sa vie où il paye tout le temps pour tout. Et oui, pas besoin de faire partie du mouvement childfree pour reconnaitre qu’un enfant coûte cher.

Nous voilà donc sous le joug d’une nouvelle loi liberticide sous un prétendument ultra-libéral.

Du protectionnisme raté sous couvert l’écologie

Dans l’exposé des motifs, la porteuse de loi explique qu’au-delà de l’aspect écologique, cette taxe permettra une concurrence plus équitable du secteur textile français et européen et une relocalisation de notre industrie. C’est donc véritablement du protectionnisme, et même pas efficace car les entreprises françaises qui ont été contraintes de délocaliser l’ont fait pour des motifs fiscaux, normatifs et budgétaires autrement plus conséquents que ce que cette petite manne de la fast fashion pourra leur apporter. Et d’ailleurs non, ceux qui ont délocalisé n’auront rien puisque justement ils ne rentrent pas dans le cadre éthique du made in France ! On ne voit donc vraiment pas qui va bénéficier de cette redistribution d’argent car les maisons françaises qui peuvent se payer le luxe de tout produire en France sont justement des maisons de luxe ou des niches. Il n’y a dans cette loi absolument rien qui pousse à la réindustrialisation en France.

Si le but poursuivi dans cette nouvelle législation est de soutenir les fabricants français de prêt-à-porter, il faut le faire correctement : au lieu de demander aux plus modestes de mettre la main à la poche, mieux vaudrait un allègement des prélèvements obligatoires et de l’attirail administratif. Oh ! Qui l’eut cru ? La solution serait dans la libéralisation ? Finalement, lutter contre la fast fashion ce n’est pas taxer davantage, c’est laisser exister une société dans laquelle des commerçants peuvent vivre décemment de leur travail et des étudiants ont les moyens de faire du shopping dans les rues de leur ville. On peut ajouter que créer une loi inflationniste au moment même où le Gouvernement annonce qu’il n’augmentera pas les impôts, c’est un peu se ficher du monde.

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5 commentaires

THIERRY C. 10 avril 2024 - 8:09

Vifs remerciements pour cette analyse objective et complète.
Oui, les travailleurs devraient pouvoir vivre de leur travail en France et, même, en cas de succès auprès de la clientèle, devraient pouvoir s’offrir des vêtements de luxe.

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AlainD 10 avril 2024 - 10:49

L’organisation administrative de la France est post-soviétique dès lors, on réglemente, on taxe, on régule avec le « succès » qu’à connu le peuple russe au beau temps des plans quinquennaux.
Avec l’imagination débordante de nos « élites énarques » bientôt nous aurons un programme hebdomadaire dans tous les domaines.

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Aquilina gerald 10 avril 2024 - 1:01

J’ai connu l’époque où la fast fashion ou même la grande distribution n’existait pas , les vêtements coûtaient tous chers pour des étudiants comme moi. Depuis , la grande distribution a fait baisser les prix du prêt à porté en important massivement , on en pense ce qu’on veut mais cela a aidé les moins riches . Bon le problème c’est que depuis les salaires n’ont pas suivis et que la masse des pauvres a largement dépassé la sphère estudiantine . Mais notre pays ,ennemi juré du marché et des libertés individuelles ,continue à taxer , car il ne sait faire que cela. Pour rappel la T.V.A est une invention Française. Cocorico !!!

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Lombled 10 avril 2024 - 3:39

Cette pratique devrait être interdite tout simplement !

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Mathieu Réau 10 avril 2024 - 3:58

Je ne suis pas tout à fait d’accord avec votre conclusion : oui, soutenir les fabricants français de prêt-à-porter passe passe par un allègement des pressions fiscales et normatives qui pèsent sur eux, dans le respect de l’éthique que l’on se fixe. Mais tenir à l’écart la concurrence étrangère dont on ne veut pas pour ces mêmes motifs éthiques passe aussi par la taxation sanguinaire de leurs produits, de sorte que l’inflation qui en découle la rende mécaniquement inabordable et tue donc leurs avantages compétitifs.
Favoriser l’industrie que l’on veut soutenir, entraver celle dont on ne veut pas : les deux sont aussi complémentaires que nécessaires.
En ceci, non, le libéralisme n’est pas la solution, car le seul libéralisme ne permettra jamais à des fabricants français d’être compétitifs face à des fabricants étrangers qui jouent le jeu selon des règles différentes. Et prétendre que l’on peut équilibrer ces règles, y compris en baissant notre fiscalité, voire en allant jusqu’à sacrifier notre modèle social (tant qu’à faire) est un mensonge (et un renoncement) : nous devons plutôt renverser ces règles à notre avantage, par le biais de la fiscalité à chaque fois que nécessaire : plus pour eux, moins pour nous. Préférence nationale à tous les étages : voilà ce qu’il nous faut. C’est ainsi que les pays d’Asie ont toujours protégé leurs économies, et ça leur réussit plutôt bien.

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