Deux ans après son Nobel d’économie obtenu en 1974, Friedrich Hayek publiait un essai intitulé la « dénationalisation de la monnaie ». Le constat de l’économiste est simple. Les monopoles monétaires gouvernementaux ont échoué à instiller une discipline chez les Etats férus d’inflation pour financer leurs excès ainsi que ceux des banques désireuses de socialiser leurs errements.
Hayek soutient la nécessité de soumettre la monnaie aux normes de la liberté d’entreprendre. N’importe quel entrepreneur doit être libre de proposer une monnaie de qualité que les commerçants et les consommateurs seraient libres d’utiliser ou non.
Une telle proposition n’est pas aussi révolutionnaire qu’elle le parait. La concurrence entre monnaies métalliques émises par une variété d’émetteurs nationaux et locaux fut longtemps la norme en Europe jusqu’à l’époque moderne.
L’étatisation de la monnaie et la montée en puissance du régime des banques centrales au cours du XIXème et du XXème siècle ont toutefois eu définitivement raison d’un système financier qui, s’il était imparfait, avait le mérite d’être plus discipliné qu’il ne l’est aujourd’hui.
Néanmoins, notre époque a permis la réouverture d’une brèche dans le monopole monétaire des Etats après la crise des subprimes.
Soucieux de contourner les banques centrales responsables des bulles et des cycles économiques les plus ravageurs de l’ère moderne, un mystérieux « Satoshi Nakamoto » conçoit une crypto-monnaie décentralisée : bitcoin. Cette technologie fait, depuis, des émules. De nombreux projets de monnaies privées, plus ou moins sérieux, ne cessent de voir le jour. On dénombrerait plus de 1600 crypto-monnaies en concurrence aujourd’hui.
Bitcoin n’est pas le premier projet de monnaie privée de l’ère moderne. L’entrepreneur américain Peter Thiel a avoué que son entreprise PayPal était initialement un projet de système monétaire. Ce n’est qu’après s’être rendu compte du caractère titanesque de son ambition qu’il a, plus modestement, fait de Paypal un service de paiement. Aujourd’hui, de nombreuses organisations privées fantasment sur l’institution de leur propre système monétaire.
La presse a récemment dévoilé le projet de Facebook d’émettre sa propre monnaie : Global coin. Curieusement, il suscite la réprobation de certains qui y voient la meilleure façon de nous asservir et de nous déposséder de notre autonomie. La perspective que la firme californienne diversifie ses activités est assimilée à une dystopie quasi-totalitaire.
Cette inquiétude est toutefois infondée. La volonté de Facebook d’offrir un système monétaire complet ne saurait en faire un Etat. Facebook est en effet un réseau social volontaire. Contrairement à ce qui est souvent dit, ce n’est pas un monopole. Chacun serait donc libre d’adhérer ou nom à ce nouveau moyen d’échange électronique communautaire.
Ce n’est pas la première fois qu’une organisation tente d’introduire un moyen d’échange communautaire. On retrouve ces mécanismes dans les casinos, les fêtes foraine ou encore les plateformes de jeu en ligne.
Afin d’être de bonne qualité, une monnaie doit être stable, rare, facilement transportable, divisible, et surtout dotée d’une certaine liquidité. Avec plus de deux milliards d’utilisateurs, si elle parvient à inspirer la confiance de sa communauté en une telle monnaie et en ses capacités pour bien l’administrer, la firme californienne est donc bien placée pour tenter ce type d’expérience à grande échelle.
Ce système entrerait donc en concurrence avec les moyens de paiement officiels en contribuant à affaiblir les divers monopoles bancaires et monétaires à l’origine de l’instabilité de notre système financier.
Par l’introduction de sa monnaie, Mark Zuckerberg contribue enfin à renforcer l’idée que la monnaie est un bien comme un autre susceptible de se conformer aux lois du marché. On ne peut donc que souhaiter son succès en espérant qu’il fasse des émules !
2 commentaires
Confiance ..
Certainement pas! Non pour le fait légitime qu'il ne s'agirait plus d'une monnaie d'État mais bien à cause des défaillances, abus et non-respect de Facebook vis-à-vis de ses utilisateurs, firme également incapable du moindre dialogue; confier une nouvelle place forte par la monnaie à Facebook? Jamais.
Confiance en Facebook ?
Jamais! Non pour le fait que ce ne serait pas une monnaie d'État, bien au contraire, mais confier cette responsabilité à une firme qui a fait preuve à plusieurs reprises d'amateurisme complet en matière de protection des données, pille le travail de ses utilisateurs, ferme des comptes sans sommation et n'accorde aucune possibilité de dialogue ? Jamais. Facebook, derrière ses airs de réglementer le monde, est l'image même de l'immaturité incarnée.