La proposition de loi relative à la fin de vie déposée le 11 mars 2025 par M. Falorni reprend le texte dont la discussion avait été engagée et brutalement interrompue par la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024. Elle a été soumise à la commission des affaires sociales début avril et reviendra devant les députés le 19 mai pour faire l’objet d’un vote solennel le 27 mai.
Son objet est d’autoriser et accompagner les personnes en ayant exprimé la demande à recourir à une substance létale afin qu’elles se l’administrent ou, lorsqu’elles ne sont pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fassent administrer par un médecin ou par un infirmier. Selon la proposition de loi, la mise en œuvre de ce nouveau droit « à » mourir doit être limité aux personnes majeures :
- atteintes d’une affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale,
- et présentant une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable.
Une liberté soviétique
Cette proposition veut « une grande loi de liberté, celle de disposer de sa mort, à l’image de la liberté de disposer de son corps ».
Mais elle prévoit que soit puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher, par quelque moyen que ce soit, de pratiquer l’aide à mourir, ne serait-ce que par « des pressions morales et psychologiques ». Et alors que « la décision du médecin se prononçant sur la demande d’aide à mourir ne peut être contestée que par la personne ayant formé cette demande », toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans peut engager une action judiciaire contre ceux qui expliqueraient aux personnes envisageant de demander une « aide à mourir » qu’ils ont aussi des raisons d’y renoncer. Comme en matière d’avortement, la liberté est donc à sens unique, doublée d’une interdiction pénale de seulement en discuter. Ça ressemble fort à une liberté soviétique.
Aide ou incitation à mourir ?
D’autant plus que si le texte requiert que les personnes demandant l’aide à mourir soient « aptes à manifester leur volonté de façon libre et éclairée », il prévoit, en contradiction, que le médecin décidant de « l’aide à mourir » ne fasse qu’en informer, le cas échéant, la personne chargée d’une mesure de protection juridique avec assistance ou représentation relative à la personne. Ce qui revient à laisser des personnes assistées, donc n’ayant généralement pas toutes leur aptitude à décider seule, sans protection.
Il faut enfin ajouter que si une clause de conscience permet aux soignants de refuser de participer à cet accompagnement à mourir, les établissements de santé qui hébergent les personnes qui demandent cette aide sont obligés d’accepter en leur sein l’intervention de ceux qui viendraient aider à mourir un de leurs pensionnaires.
Enfin, la proposition de loi prévoit que soient pris en charge par les assurances sociales les frais du dispositif d’aide à mourir ! Et en sus, « L’assurance en cas de décès doit couvrir le décès en cas de mise en œuvre de l’aide à mourir. » On pourra donc s’assurer puis aller mourir tranquillement aux frais des autres !
Il n’y a pas de droit à la mort
Cette loi, si elle est adoptée, rompra avec le respect absolu de la vie qui caractérise notre civilisation. Déjà dangereuse en voulant seulement aider à mourir, elle risque de favoriser le suicide assisté. Les députés qui ont commencé à en débattre le 11 avril en commission en ont élargi la portée, notamment via l’amendement d’Elise Leboucher (LFI) accordant à la personne recourant à l’aide à mourir, qu’elle ait ou non la capacité de s’administrer elle-même le poison, la liberté de choisir entre auto-administration du produit létal et administration par un médecin ou un infirmier.
La loi votée, certains ne tarderont pas à vouloir en étendre le champ. Ainsi la MGEN, mutuelle de l’Education nationale, veut déjà permettre à chacun de recourir à l’euthanasie sans avoir à justifier d’être en « phase avancée ou terminale » de la maladie. Derrière son idéologie, elle cache sans doute aussi les économies qu’elle ferait à ne plus soigner les patients atteints de maladies graves sans être encore en phase terminale. La vie qui n’avait pas de prix deviendrait un objet de marché comme un autre sous la pression de ceux qui n’ont de cesse de fustiger le marché.
Les libéraux qui reconnaissent toute sa place au marché dans l’échange des biens et services, respectent d’abord en toute personne sa liberté et sa responsabilité, constitutives de sa dignité. Ils considèrent donc volontiers que chacun peut se suicider, même si certains le réprouvent de manière compréhensible. Mais ils estiment que légaliser, quelles qu’en soient les conditions, l’aide à mourir revient à ouvrir une boîte de pandore.
A la différence de l’animal, qui se conforme nécessairement aux fins que la nature lui assigne, l’être humain dispose d’un libre arbitre qui lui permet de s’interroger sur ses origines et de rechercher ses propres fins. Celui-ci a une responsabilité personnelle, donc une morale (parfois immorale), dans l’acquisition de la maîtrise de sa vie. L’identité, l’unité et la particularité de chaque être humain en font une personne dont le caractère unique et mystérieux justifie qu’il lui soit accordé par nature un droit à la vie auquel lui seul peut attenter hors les cas de légitime défense individuelle ou collective.
L’Etat de droit se fonde sur la reconnaissance et le respect réciproque de droits que chacun a la liberté d’exercer sous sa responsabilité ; ce sont des « droits de » faire, penser, agir, aimer… Mais à la différence de la plupart des droits, parce que c’est un droit premier, existentiel par définition, notre civilisation, à la différence de beaucoup d’autres, considère que le droit à la vie peut être revendiqué par tous comme un « droit à », un droit-créance, réciproque certes, mais passif en ce sens qu’il doit être reconnu à tous, même et surtout au profit de ceux qui n’ont pas les moyens ou la capacité de le faire valoir et de l’exercer par eux-mêmes.
Mais personne ne peut opposer aux autres son droit à mourir. En s’instituant garante d’un droit à mourir, qu’elle organise, une société s’introduit dans le lieu le plus sacré de toute intimité, où se trame parfois le suicide ou le salut. C’est le paroxysme du collectivisme qui se substitue à la conscience du malade et parfois de sa famille ou du médecin, qui n’ont pas besoin de la loi pour savoir quand il faut aider le patient à moins souffrir.
Une telle loi pourrait bouleverser gravement notre civilisation, cet édifice instable dont le socle demeure le respect de la vie.
19 commentaires
Merci pour cet article. J ai trop souvent lu sur d autre sites libéraux la promotion de ce fallacieux “droit à mourir” . Un peu comme si certains,au nom de la liberté, réclamaient un droit à être esclave. Et oui cette loi nous fait entrer dans un gouffre anti civilisationnel. Verra t on de nouveaux métiers ? Des exterminateurs tout de blanc habillés ? Tels des modernes Mangele ? Alors il sera lourdement puni d empêcher la mort prématurée de papi mais les multi meurtriers ne risqueront pas la mort . Les seules exécutions légales seront celles des innocents. 1984 n était pas supposé être une méthode à suivre.
A la complication, il faut opposer la simplification. Le texte de Jean-Philippe Delsol est pour “intellectuel” et incompréhensible pour beaucoup, même si je suis en accord avec lui. Pour ne pas se perdre en argutie, il faut inverser la proposition. S’il y a “droit” à mourir, il y a “obligation” à la donner. Tant que le législateur bien pensant ne donnera pas une réponse concrète sur qui repose cette obligation ni comment elle s’exécute, tout ne sera que vaine discussion.
Et pour moi le sujet est trop important pour qu’on se fasse plaisir à simplement argumenter.
Merci pour cet article clair et courageux.
Cette proposition de loi est bien compliquée. D’abord, n’oublions pas que l’aide à mourir sera facturée par le médecin, certains, pas beaucoup heureusement, du moins on espère, ont leurs intérêts commerciaux au dessus de leur éthique.
Que se passe-t-il si un médecin achève un patient en prétendant qu’il le lui a demandé, sans témoins ?
Ou si un médecin veut achever un patient, qui a exprimé cette volonté bien avant mais ne peut plus s’exprimer, contre la volonté de ses proches ? Certains hôpitaux ont besoin de libérer des lits…
Cette loi donne beaucoup trop de droits, assortis d’amendes en cas de non respect (pour cela, les législateurs sont des experts), a des acteurs dont les intérêts seront souvent contradictoires avec ceux des patients ou de leurs proches. Conflits assurés. Ce qui est désolant, c’est que 600 députés, 300 sénateurs et une administration obèse, en débattent depuis des mois, au frais des contribuables bien sûr, et ne sont toujours pas capable de produire une loi décente qui satisfasse une majorité.
Où seront les limites ? Qui s’arrogera le droit de les fixer ?
Voilà un beau texte nuancé ! Nos parlementaires en sont-ils encore capables… de nuance ????
Ce délit d’entrave est une honte à la liberté et traduit le totalitarisme des partis de gauche et de son rapporteur sur la question existentielle de la vie.
Ne pas accepter la discussion et par conséquent la contradiction est une atteinte inacceptable à la liberté.
Si des parlementaires votent ce délit jusqu’à présent réservé au seul bénéfice des syndicats représentatifs, (!), c’est parce qu’ils doutent de leur décision.
Nous verrons quels seront nos nouveaux Fouquier-Tinville qui voteront la mort de tous les vieux .
Bonne formule pour équilibrer les comptes de dame sécurité sociale lorsque l’on sait que le plus souvent au cours de la vie ce sont les trois derniers jours de l’existence humaine qui lui coûtent.
Certes l’aide à mourir sera prise en charge par cette sécurité sociale, d’où l’intérêt renforcé pour un audit par la Cour des Comptes qui nous semble indispensable.
Petit problème toutefois, comment être sûr que l’antépénultième jour de vie est vraiment l’avant avant dernier jour de l’existence ?!
Alors que, malgré la souffrance et l’approche irrémédiable de la mort, notre être au fond de lui refuse cette issue fatale jusqu’à l’extrême moment.
L’énigme formule d’André Malraux, selon laquelle le XXI eme siècle sera spirituel ou ne sera pas, est sans doute à un moment de vérité.
Je propose que cette formule soit un sujet de philosophie pour nos futurs bacheliers.
Merci maître Delsol pour ce beau texte éclairant. Dans ce domaine intime – comme la religion ou le sexe- une loi embrouille en croyant créer de la liberté. Etant partisan du suicide stoïcien et du suicide assisté – mourir en paix- je vois, dans cette légalisation, des conflits car nous sommes très divisés sur la question de la mort et de la fin de vie. Une remarque : vous écrivez “le respect absolu de la vie qui caractérise notre civilisation” et je souris car notre civilisation n’est-elle pas plutôt caractérisée par le matérialisme individualiste ?
Nous sommes tombés bien bas avec le Président de la mort contractualisée avec délai de réflexion de 48 heures !!!
La banalisation de l’acte fera qu’à terme ce sera un excellent outil de gestion des retraites, des places d’ Hepad et de soin intensif. La personne concernée subira, en outre, une pression ” à mourir” pour libérer la société de sa présence.
Comment pouvons nous éviter ce changement anthropologique piteusement majeur.
Il me semble que le fait même de refuser un droit à mourrir, quelles qu’en soient les raisons et la manière de procéder, restreint la liberté de l’individu. La raison de la volonté de mourrir de quelqu’un ne regarde personne d’autre, il s’agit d’une stricte intimité individuelle, je dirais même la plus sacrée, et personne ne devrait avoir le droit de la contester, ni même de la connaitre. Quand une personne “en bonne santé” se suicide, personne n’y peut rien, il s’agit d’une décision strictement personnelle que l’entourage n’a aucun moyen de prévenir, sauf à la demande de l’intéressé lui-même, si par exemple il portait quelqu’espoir…
La contestation du suicide ne serait-elle pas une réminiscence des préceptes religieux dont notre société est abreuvée ? Pour l’intéressé, quelle conséquence de sa propre mort, s’il n’y a pas de vie après la mort ?
Je ne parle évidemment pas ici de l’émotion que peuvent ressentir les proches à la perte de quelqu’un, mais même là, ils n’ont pas à juger. Je ne conteste évidemment pas la recherche de responsabilités ayant amené cette décision, même si cette action est vaine a postériori pour le suicidé.
C’est l’euthanasie qui pose un problème: quelle personne peut accepter d’aider quelqu’un à mourrir, même si le demandeur est suffisamment convainquant pour minimiser (je n’ose même pas dire supprimer) la mauvaise conscience de l’aidant. Et pour ça, il est utile de légiférer de façon à autoriser l’action de la main qui se substituera à la défaillance de l’intéressé.
Croyez-vous vraiment que le législateur pourra soulager la conscience de celui qui aura à executer l’obligation de tuer, plutôt que l’obligation de soigner et de soulager ?
pour une fois je ne vous suis pas !
et si le maintient en vie etait l’objet d’un bon business bien lucratif pour les Ephads, les societés de “tutorat” …
respectons le droit de mourir tout autant que le droit de vivre , pourquoi pas ?
La première mission de l’IREF est de rendre aux Français la maîtrise de leur vie (voir la vidéo de 45 secondes sur https://youtu.be/oc-flgAnveQ ).
De quel droit les Français adversaires de l’euthanasie voudraient-ils interdire à d’autres Français d’y avoir recours ?
“Comme en matière d’avortement, la liberté est donc à sens unique, doublée d’une interdiction pénale de seulement en discuter.”
Le “totalitarisme moral” tombe ici le masque.
Toute personne soucieuse de ce qui forge une société et tente de la maintenir contre les dérives baptisées bien à tort d’avancées sociétales ne peut que voir avec effroi l’État mettre une fois de plus sa patte sur l’intime de chacun.
permis de tuer de macron qui n a pas de sous pour les soins palliatifs mais donne des milliards partout ukraine ame migrants cités mais surtout rien pour les hopitaux et les campagnes encore merci macron
Soigner et soulager, c’est de la médecine.
Donner la mort n’est pas de la médecine.
Et si la discussion se focalisait sur ces femmes et ces hommes, médecins ou infirmiers, chargés et contraints, d’exécuter la sentance ? … Quelle charge morale le législateur leur imposera !
Souhaiteriez-vous, accepteriez-vous, vous-même, d’être face au poteau d’exécution et d’appuyer sur la détente ?
Si le terme “politique” suppose l’organisation de la vie de la citée, quelle dimension de vie en société prend alors, “la mise à mort” d’un de nos semblable ? !
… Bien sûr, notre société s’est dégradée à un point tel que supprimer la vie est devenu un droit, inscrit au Panthéon… Au nom de la liberté !… Et sans vouloir admettre, dire et affirmer que c’est en fait, au nom d’une lutte à mort contre la culture Judéo-chrétienne qui est notre fondement collectif depuis 2 000 ans…
D’autres sociétés, d’autres civilisations se sont-elles ingéniées par le passé avec autant de constance, avec autant d’obstination à supprimer la vie ?…
Continuerons-nous avec une égale ardeur à maintenir un “État civil” qui se voulait “Suivi des vivants” alors qu’aux deux bouts de la chaîne, on hache, on tue, on supprime, jusqu’à rendre le fruit de la vie sans objet, ou à tout le moins, sans importance ?… Et dans la même logique, il va falloir aussi supprimer n’est-ce pas, les Cours criminelles, les Cours d’assise qui deviennent sans objet, sans justification… Plus non plus de forces de l’ordre pour traquer les tueurs de femmes seules ou de joggeuses ou d’enfants. Plus d’enquêtes pour retrouver les protagonistes des règlements de compte des banlieues. Du temps perdu et de l’énergie en pure perte ! Le Gouvernement va trouver rapidement et à moindre frais, ses 40 milliards d’économie ! …
Car la question est bien là. Comment imposer le respect de la vie aux uns et libéraliser sa suppression aux autres ?…
Comment justifier ces contradictions ? …
Quel sursaut faut-il pour que notre société ait la force de répondre à ces contradictions ?
Merci pour votre excellent, éclairant et courageux article sur ce sujet piégé, votre réflexion juridique et s’appuyant sur les valeurs fondamentales de notre pays, en rapport avec le respect de la personne humaine. Il n’y a pas, en fait, une réelle symétrie/analogie de droits entre celui de vivre et celui de mourir, comme cela est avancé de manière un peu rapide, et avant de parler de droit de mourir, un premier devoir est d’apporter un secours aux malades, et donc la disponibilité effective de soins palliatifs. La loi de 2005 était beaucoup plus sage, permettant déjà d’avancer mais de façon prudente. Beaucoup de dangers et risques se glisseraient derrière une instauration de ce prétendu droit à mourir. Dans Par ailleurs, un sale travail est laissé aux soignants dont on respecte mal la clause de conscience. Et que dire enfin, comme vous le soulignez, de cette interdiction de toute contestation …