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Comment et pourquoi les armateurs s’exonèrent d’impôt sur les sociétés

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Aux termes de l’article 209-0 B du Code général des impôts, les entreprises de transport maritime dont la gestion stratégique et commerciale est assurée à partir de la France et dont le chiffre d’affaires provient pour 75 % au moins de l’exploitation de navires armés au commerce peuvent, sur option, être soumises à un régime d’imposition forfaitaire calculé en fonction du tonnage des navires exploités.

L’option est valable 10 ans et renouvelable. Elle n’est maintenue que si l’entreprise exploite, sous pavillon d’un Etat membre de l’Union européenne ou d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen, une proportion de tonnage net au moins égale à 25 % et qu’elle s’engage à maintenir ou à augmenter, au cours de la période décennale d’option, la proportion de tonnage net qu’elle exploite sous ces pavillons à la date d’ouverture du premier exercice de la période décennale couverte par l’option.

En clair, cette imposition au tonnage ressemble aux impôts de production qui pèsent sur les entreprises et qui sont calculés sur les salaires, sur le capital, sur les actifs ou encore sur le chiffre d’affaires. Ces impôts de production, qui s’ajoutent à l’impôt sur les bénéfices, représentaient en France 4,7 % du PIB contre 2,3 % dans la moyenne de la zone euro en 2022. Ils sont honnis par les entreprises.

Le cas particulier des entreprises maritimes

Cependant, alors que normalement les impôts de production sont perçus en sus de l’impôt sur les bénéfices des sociétés (au taux actuel de 25%), la taxe au tonnage exonère les entreprises maritimes de l’impôt sur les sociétés, même sur leurs plus-values lors de la revente des bateaux. La taxation au tonnage peut donc être très favorable aux armateurs quand ils font d’importants bénéfices, comme ce fut le cas ces dernières années. Elle ne l’est pas quand leurs navires sont sous occupés. Ainsi, observent les armateurs, de 2003 à 2018, la taxation au tonnage a rapporté au budget de l’État plus que s’ils avaient été imposés sur les sociétés. Mais la Cour des comptes a estimé le manque à gagner pour l’Etat à 3,8 Md€ en 2022 et à 5,6 milliards en 2023.

Les armateurs ont fait observer que « dans le monde, elle [la taxe au tonnage] s’applique à 86 % de la flotte maritime. Au sein de l’Union européenne, vingt-deux États membres l’appliquent ». Elle favorise l’activité de fret maritime. D’ailleurs, rappellent-ils, « les deux premiers États membres à mettre en œuvre le net wage et la taxe au tonnage, à savoir l’Italie et le Danemark, sont aussi ceux qui ont dans leurs murs les numéros un et deux de l’armement conteneurisé mondial, MSC et Maersk ». Des systèmes équivalents sont aussi appliqués aux Etats-Unis ou à Singapour par exemple.

Il reste que selon une étude du consultant Sea-Intelligence et un rapport publié par l’International Transport Forum (IFT) de l’OCDE, le secteur n’aurait payé en moyenne que 7 % d’impôts entre 2005 et 2019 grâce au dispositif de taxe au tonnage. « Le taux d’imposition effectif des 41 sociétés de transport maritime cotées à la bourse de New York aurait été de 2 % pour la période 2010-2019 ». En France, le principal armateur, CMA CGM, se serait acquitté de 61,3 M$ au titre de l’impôt sur les sociétés 2021 alors que ses bénéfices s’étaient élevés à 18 Md$, et de 15,5 M$ en 2020 pour un résultat net de 67 Md$.

Marine est vent debout contre les transporteurs maritimes

Le Rassemblement National a donc proposé de supprimer ce régime dérogatoire qu’il range parmi les « niches fiscales inefficaces, injustes et polluantes ». La gauche partage cet avis. Le projet de loi de finances lui-même a prévu une contribution exceptionnelle, censée rapporter 500 millions d’euros l’année prochaine et 300 la suivante, sur les entreprises de fret maritime. Les députés l’ont approuvée le samedi 26 octobre, en la pérennisant contre l’avis du gouvernement. Ils ont décidé par ailleurs de plafonner à 500 millions d’euros la niche fiscale dont bénéficie ce secteur. Le ministre du Budget Laurent Saint-Martin s’est prononcé contre ces amendements en soulignant que l’activité de fret maritime est une « activité cyclique », et que ce serait une « erreur » de « figer dans la fiscalité de ce secteur d’activité une sorte de taxation permanente ». Car selon lui, « ce résultat exceptionnel peut varier très fortement à la baisse ».

La difficulté est en effet que le système de l’imposition au tonnage a été mis en place dans de très nombreux pays. S’il est supprimé, le risque majeur est que les entreprises françaises de fret maritime délocalisent une large partie de leur flotte, ce qui est plus facile que de déménager des usines. « Tous nos principaux concurrents, et 90% de la marine marchande dans le monde, bénéficient du régime de la taxe au tonnage, a observé Rodolphe Saadé, président de CMA CGM. S’il était suspendu en France, cela poserait un véritable problème de compétitivité. Cela nous mettrait hors concours face à nos concurrents mondiaux ».

Il est en effet difficile de refuser aux armateurs un régime pratiqué notamment par plus de 20 pays européens et qui couvre 86% de la flotte mondiale. Même l’Irlande a adopté ce régime en 2002 alors que son taux d’impôt sur les sociétés n’était que de 12,5%. Il est vrai aussi que par définition les armateurs développent plus de 90% de leurs activités sur mer, donc en dehors de tout territoire de rattachement fiscal. Mais les transporteurs maritimes ne sont pas les seuls industriels à engager des investissements lourds et prendre des risques importants. Leur accorder un régime dérogatoire, justifié par la concurrence internationale, pose un problème d’équité. Ce qui d’ailleurs suscite une importante opposition en Suisse à l’introduction de la taxe au tonnage pour les armateurs qui y sont localisés.

Le régime de droit commun serait sans doute plus acceptable par les entreprises maritimes comme par les autres sociétés industrielles et commerciales si l’impôt sur les sociétés était moins élevé. Mais si l’on estime favorable un régime d’option pour un impôt sur l’activité susceptible de se substituer à l’impôt sur les résultats, pourquoi ne pas offrir cette option à toutes les entreprises ?

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