Alors que la période de transition avant la sortie définitive de L’Union européenne va bientôt toucher à sa fin, le récent clash entre Bruxelles et Londres complique davantage la situation. Boris Johnson ne proposant pas de projet politique et économique clair aux Britanniques, l’avenir du pays est aujourd’hui incertain.
Le 16 octobre, à la surprise générale des observateurs, le cabinet du Premier ministre britannique a annoncé la cessation des négociations avec l’UE. Cette déclaration intervient après la publication d’un communiqué du Conseil européen demandant à ce que toutes les prochaines concessions dans ces négociations viennent des Britanniques. Si les discussions ont très vite repris officieusement la semaine suivante, Boris Johnson a affirmé dans le même temps que son pays devait se préparer à la possibilité d’une relation commerciale « à l’australienne » avec l’UE, c’est à dire sur le modèle de l’Australie, qui n’a jamais établi d’accord commercial avec les 27. Une relation « à l’australienne » implique donc l’imposition importante de droits de douane entre les deux parties d’une part, ainsi qu’une limitation du transfert de services d’autre part. L’annonce du 10 Downing Street a fait vivement réagir les représentants des entreprises britanniques. Le CBI (équivalent du Medef), ainsi que 70 autres organisations patronales, ont publié un communiqué affirmant qu’un accord commercial avec l’UE était crucial pour la survie de très nombreuses firmes, tous secteurs confondus, déjà lourdement affectées par la crise liée au coronavirus. On peut évidemment déceler une grande part de communication dans ce bras de fer, les deux parties se devant de montrer qu’elles ne reculent devant rien pour défendre les intérêts de leurs citoyens. La preuve est que les diplomates ont repris contact moins d’une semaine après la crise. Cependant le doute subsiste quant à l’issue souhaitée par Boris Johnson pour son pays.
Car malgré la crise, les négociations qui ont duré toute l’année étaient en réalité sur la bonne voie. Les deux parties sont tombées d’accord sur quasiment tout. Seuls 3 points de divergence subsistent : la délimitation des zones de pêche entre la France et l’Angleterre, le régime d’aide d’État à adopter, et les règles à mettre en place pour résoudre les litiges commerciaux. Le premier point n’est que symbolique (la pêche ne représente que 0.1% du PIB britannique) et Emmanuel Macron a déjà déclaré que la France allait accepter un compromis. C’est la question des règles commerciales qui est au cœur de la dispute.
Elle est liée à la vision de Boris Johnson pour son pays. Durant sa carrière politique il s’est toujours battu pour le libéralisme économique, ce qui l’amenait d’ailleurs à souvent vilipender les trop importantes régulations européennes. Il a présenté le Brexit comme une opportunité d’ouvrir la Grande-Bretagne au libre-échange en négociant ses propres traités avec le reste du monde et en dérégulant l’économie, sur le modèle de Singapour. Ce projet fut totalement abandonné lorsqu’il a repris le pouvoir en 2019. Au cours de sa campagne électoraleil a développé, avec une frange du parti conservateur, un discours beaucoup plus étatiste contredisant son engagement pour le marché libre. Parmi les propositions du manifeste conservateur, on retrouve notamment une hausse du salaire minimum de 20% ! Boris Johnson reprend aussi des mesures anti-libérales comme l’augmentation des aides d’Etat pour l’industrie, le financement à hauteur de 800 millions de pounds d’une nouvelle agence étatique pour les investissements industriels, la mise en place d’une « Buy British rule » qui impliquerait davantage de mesures protectionnistes. Alors que le système de santé NHS subit de graves dysfonctionnements, les Tories ont préféré augmenter son financement de 1 milliard plutôt que d’effectuer des réformes structurelles. Cette stratégie électorale a été motivée par la montée du parti travailliste, qu’il a fallu contrer. On comprend pourquoi la question des aides d’État suscite autant de controverses. D’un côté le patronat souhaite un accord commercial afin de rester intégré au marché européen avec un minimum de droits de douane, de l’autre Boris Johnson s’est engagé à prendre un virage étatiste (et donc user des aides d’État, ce que Bruxelles ne peut accepter) auprès d’une part de son électorat, ce qui annoncerait une relation « à l’australienne ».
La crise du coronavirus, qui a touché très sévèrement le Royaume-Uni, accentue l’incertitude et pourrait bien accélérer l’augmentation du rôle de l’État dans l’économie. Le gouvernement devait présenter son programme économique post-Brexit pour les trois prochaines années, mais a renoncé au vu de l’instabilité actuelle.
Il ne reste plus que deux mois à Boris Johnson pour faire un choix…
Jules Devie
Sources:
https://www.ft.com/content/e46f977e-12b5-11ea-a7e6-62bf4f9e548a
https://www.europe1.fr/emissions/L-edito-eco2/brexit-boris-johnson-se-dit-pret-pour-un-no-deal-et-defie-lunion-europeenne-3999559
https://www.ft.com/content/f0a48721-dcfa-409e-88ea-76d8e99e3cd1
https://www.ft.com/content/865a86a1-dcee-4554-908c-40a7046069c4
https://www.ft.com/content/97b4763f-59b4-426f-9537-834c7bbad31f
https://www.ft.com/content/9bae0a3a-e1d9-4205-88f1-bf7d91d62cd4
https://www.conservatives.com/our-plan
https://www.wsj.com/articles/with-covid-brexit-matters-more-than-ever-11599759105