Selon Business France, notre pays « a su démontrer sa résilience et son attractivité auprès des investisseurs étrangers » qui ont confiance dans ses atouts structurels et ses capacités d’innovation. Un avis que ne partagent pas les entreprises pharmaceutiques. Elles dénoncent le manque d’attractivité de la France dans le domaine des essais cliniques. Ce qui pénalise l’accès des Français aux innovations.
Les gouvernements, quels qu’ils soient, cherchent toujours à montrer que la France est attractive. Le bilan 2024 des investissements internationaux réalisé par Business France (établissement public chargé d’aider les entreprises françaises à exporter et d’attirer les investisseurs étrangers en France) ne déroge pas à la règle. L’organisme public y insiste sur le fait que « dans un contexte de décélération de la croissance mondiale et de fortes tensions géopolitiques », le nombre de projets étrangers n’a décru que de 7% en France alors que, « selon la CNUCED », ils ont chuté de 13% dans le monde et de 23% en Europe. Et « comparé aux bilans passés, le nombre de projets est supérieur de 25% à la moyenne des dix années précédentes et reste le plus élevé après ceux des années de rattrapage post COVID, 2022 et 2023. Quant au nombre d’emplois créés ou maintenus par ces projets, il baisse d’un tiers à 37 800 emplois, mais il dépasse de plus de 25% la moyenne des cinq années (2017-2021) antérieures à ces deux années exceptionnelles ». Tout cela amène Pascal Cagni, président du conseil d’administration de Business France et ambassadeur délégué aux investissements internationaux, à écrire que « Notre pays demeure donc très attractif ».
En matière de recherche clinique, la France stagne
Nous avons déjà montré que cette opinion est à relativiser. La 14e enquête annuelle sur l’attractivité de la France pour la recherche clinique réalisée par le Leem, organisation qui regroupe les entreprises du secteur de l’industrie pharmaceutique chez nous, ne viendra pas nous démentir.
Cette enquête souligne d’abord que l’Europe est à la traîne avec seulement 19% des essais cliniques mondiaux, loin derrière le continent américain (28%) et l’Asie (60%). Et, en Europe, la France stagne derrière l’Espagne et l’Allemagne. En fait, notre pays n’arrive à se maintenir à la troisième place continentale que grâce à l’oncologie. Dans les quatre autres grands domaines de la recherche clinique (maladies auto-immunes et inflammatoires, maladies du métabolisme, cardiologie, maladies du système nerveux central), il occupe les 4ème et 5ème rangs. Il y a seulement 10 ans, il était le leader européen de la recherche clinique.
Rappelons qu’un essai clinique est une étude scientifique réalisée sur des êtres humains. Il vise à évaluer la non-toxicité, la tolérance et l’efficacité d’un médicament. La nouvelle molécule a d’abord été mise au point dans un laboratoire : c’est la recherche fondamentale. Elle est ensuite testée sur des animaux (toujours en laboratoire). Puis, elle est testée sur l’humain, d’abord sur des volontaires sains (ils sont rétribués), puis sur des volontaires malades : c’est la recherche clinique.
Elle se déroule en quatre phases :
- la phase I évalue la tolérance et l’absence d’effets secondaires chez des volontaires sains ;
- la phase II consiste à déterminer la dose optimale du médicament et à détecter ses éventuels effets secondaires ;
- la phase III compare le traitement soit à un placebo, soit à un traitement de référence ;
- la phase IV vise à confirmer le bénéfice du nouveau médicament dans la population générale.
Une réglementation européenne handicapante
Comme l’ont montré plusieurs travaux, les essais cliniques peuvent représenter jusqu’à 90% des investissements nécessaires au développement de nouveaux médicaments. Réduire leur durée est donc primordial pour l’industrie pharmaceutique, d’autant que plus le processus est long, plus il raccourcit la durée de protection du brevet, qui est de 20 ans.
Si l’Europe a perdu du terrain dans les essais cliniques, au profit de l’Asie et des Etats-Unis, c’est à cause d’un cadre réglementaire complexe et de délais de plus en plus en plus longs.
En 2023, en France, l’inclusion d’un premier patient dans un essai clinique ne pouvait se produire avant 184 jours, soit 24 jours de plus qu’en 2022. En Espagne, la durée est passée de 149 à 162 jours (+13).
Les laboratoires pharmaceutiques préfèrent donc mener leurs essais hors d’Europe, et ceux qui les font encore sur le continent délaissent de plus en plus la France. Car la réglementation européenne n’explique pas à elle seule notre recul. Nous l’avons dit, l’inclusion d’un premier patient dans un essai clinique demande 22 jours de plus en France qu’en Espagne. C’est pourquoi ce pays est leader européen des essais cliniques pour quatre des cinq grands domaines cités plus haut et 3ème pour les maladies du métabolisme.
L’Espagne, pourtant très décentralisée en matière de santé, a instauré une procédure unique et harmonisée sous l’égide de l’Agence espagnole des médicaments et produits de santé (AEMPS). En France, la procédure demande l’intervention de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), des comités de protection des personnes (CPP), de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et du Comité économique des produits de santé (CEPS).
Par ailleurs, l’État espagnol a mis en place des incitations fiscales attractives et soutient ardemment les partenariats public-privé qui se sont développés entre l’industrie pharmaceutique, les institutions académiques et les hôpitaux. Une collaboration qui facilite l’adoption rapide de nouvelles thérapies.
Réformer en France et en Europe
En perdant ainsi du terrain dans les essais cliniques, la France pénalise les patients qui ont un accès plus restreint et moins rapide aux innovations thérapeutiques. Elle pourrait se réformer en s’inspirant de l’Espagne. Elle pourrait aussi imiter l’Allemagne qui vient de voter une loi en faveur du développement de l’innovation en santé (accélération des autorisations, clauses standards pour les contrats, simplification de la décentralisation, instauration d’un lien entre le prix et la réalisation des essais cliniques dans le pays). Le Leem suggère par ailleurs une simplification de la contractualisation avec les patients, ainsi qu’une accélération de la décentralisation et de la digitalisation des essais afin de faciliter la recherche clinique à domicile.
L’Union européenne (UE) doit également se réformer, si elle ne veut pas disparaître de la recherche clinique. Par exemple en instaurant des procédures facilitatrices (appelées « fast track ») pour que les autorisations soient données en un mois (contre plus de trois aujourd’hui) et que des essais précoces puissent être lancés auprès de patients pour lesquels il n’existe pas d’alternative thérapeutique.
Il est également nécessaire d’introduire plus de cohérence entre les différents règlements européens (« Clinical Trial Regulation » et « In Vitro Diagnosis Regulation ») et qu’ils autorisent une phase pilote d’évaluation coordonnée entre médicament et diagnostic in vitro.
L’UE semble avoir pris conscience que sa réglementation pénalisait les entreprises comme les citoyens. Mais elle est encore loin d’avoir mené au bout son travail de simplification. Paradoxalement, Donald Trump et sa guerre commerciale pourraient l’y aider.
1 commenter
Notre sacro-saint “principe de précaution” n’est-il pas en cause ?
Dans mon domaine industriel, il a stoppé tout essai de molécule innovante car le dossier de demande d’essai à déposer à l’ANSES est quasi-impossible à renseigner : pour faire court, avant de faire l’essai d’une nouvelle formule, il faut déjà savoir tous les effets de ladite formule.
Résultat : les essais se font en Belgique.
Et encore bravo !
La France est un grand pays… en matière de régression.