Le Conseil constitutionnel est plus que jamais sur la sellette depuis le psychodrame qu’a suscité la proposition d’y nommer Richard Ferrand. Faut-il pour autant qu’il disparaisse ?
Le Conseil constitutionnel sort fragilisé de la polémique Ferrand, à savoir la proposition de nommer un proche du chef de l’État président de l’institution. Certes, l’ancien parlementaire a passé victorieusement l’épreuve des commissions du Parlement, mais à une voix près. Presque un camouflet.
Rappelons que c’est le titre VII de la Constitution de 1958 qui traite du Conseil constitutionnel, chargé non seulement du contrôle de la constitutionnalité des lois ordinaires et obligatoirement de celle des lois organiques et des règlements des assemblées, mais encore de la régularité de l’élection du président de la République, de celle des parlementaires en cas de contestation, des opérations de référendum. C’est dire l’importance aujourd’hui de ses attributions. L’institution est pourtant périodiquement remise en cause, souvent de manière virulente, et tout particulièrement aujourd’hui. Examinons quatre séries de reproches qui lui sont faits.
Un « gouvernement des juges » ?
On reproche traditionnellement au Conseil constitutionnel d’être, en pratique, un vrai « gouvernement des juges », selon la formule consacrée, où le mot « gouvernement » l’emporterait sur celui de « juges » (voir la longue enquête du Figaro, 19 février 2025). Le fait que, au fil des années récentes, il ait été trusté par des hommes politiques en exercice, d’anciens hommes politiques ou des hauts fonctionnaires proches des cercles du pouvoir, n’a pas été de nature à dissiper les soupçons. Ils induisent la crainte que les décisions du Conseil, tout particulièrement dans l’activité essentielle du contrôle de constitutionnalité des lois, soient de plus en plus infondées juridiquement, a minima contestables. Certains en sont même convaincus.
Ce qui est piquant, c’est la postérité de l’expression de « gouvernement des juges », titre d’un ouvrage du professeur Jacques Lambert paru en 1921. Lambert était un juriste socialiste qui s’étouffait devant la jurisprudence non « progressiste » de la Cour suprême des Etats-Unis… L’expression avait d’ailleurs déjà été utilisée outre-Atlantique par un juriste marxiste. Ce qui est aussi notable, c’est que le Conseil constitutionnel ait été agoni d’injures par tous les bords politiques, par les hommes au pouvoir comme par ceux de l’opposition, dès lors qu’une de ses décisions ne leur convenait pas. Qu’on se souvienne de la violence des réactions socialo-communistes après celle des nationalisations en 1982…
Une atteinte à la « souveraineté populaire » ?
Le reproche selon lequel le Conseil constitutionnel s’opposerait à la « souveraineté populaire » n’est que le prolongement de la critique précédente et, à vrai dire, il est aussi ancien que la Cour suprême des Etats-Unis. Des juges, dénués de légitimité démocratique (bien que des juges puissent être élus), se permettraient de gouverner à la place des représentants du peuple. Si ce n’est que les parlementaires ne sont pas au-dessus de la Constitution et que la loi est soumise à la hiérarchie des normes selon laquelle la règle la plus élevée est celle de la Constitution qui, par définition, se doit d’être respectée par toutes les normes inférieures.
Par surcroît, une décision de la cour constitutionnelle ou suprême, en l’occurrence du Conseil constitutionnel, n’est jamais souveraine dans le sens où elle peut être renversée par le truchement d’une modification de la Constitution. Certes, dans la plupart des pays, il est difficile de modifier la Constitution, mais il n’y a pas d’exemple d’un texte immaculé dans l’ensemble des démocraties libérales, ce qui signifie que les lois fondamentales connaissent des révisions plus ou moins fréquentes.
Une composition critiquable ?
La composition du Conseil constitutionnel est périodiquement l’objet de réserves, pour ne pas dire de critiques acerbes. Il y a presque un consensus aujourd’hui pour dire que la règle des membres de droit, selon laquelle les anciens chefs de l’État font automatiquement partie du Conseil, est surannée. Au demeurant, et pour des raisons diverses, ces dernières années les membres de droit ont rarement voulu siéger.
Ce n’est pas l’affaire Ferrand qui fera taire les critiques sur la composition du Conseil, s’agissant des neuf membres nommés. L’absence de formation et/ou de compétences juridiques et constitutionnelles de la part de certains conseillers est inacceptable. Elle jure également avec le droit ou la pratique de nos voisins. Quand on sait qu’en 2024 comme, après le renouvellement d’un tiers de ses membres, en 2025, le Conseil ne comptera aucun agrégé des facultés de droit et aucun professeur des universités, on se pince.
Une Constitution défectueuse ?
Tout texte juridique doit être interprété et il en est ainsi d’une Constitution. Mais il va de soi qu’un texte peut d’autant plus être mal interprété qu’il est mal rédigé ou carrément mauvais. A partir de 1971, le Conseil constitutionnel s’est appuyé sur le préambule de la Constitution, lequel cite des documents relatifs aux droits de l’homme, pour opérer son contrôle de constitutionnalité des lois. Or, le préambule est composite en ce qu’il renvoie à des textes contradictoires, notamment une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 plutôt libérale et un préambule de la Constitution de 1946 d’inspiration socialo-communiste. Le biais s’est accusé avec l’intégration de la Charte de l’environnement de 2004. Ces sources ont permis une interprétation très extensive des droits de l’homme, d’autant plus que le Conseil a décidé en 1982 que les textes n’étaient pas hiérarchisés et que dès lors ils devaient être conciliés. Mais comment en pratique concilier par exemple le respect du droit de propriété de 1789 et sa violation de 1946 ?
En substance, les critiques portées à l’encontre du Conseil constitutionnel relativement au « gouvernement des juges » et au rejet de la « souveraineté populaire » ne sont guère convaincantes, n’en déplaise aux populistes de tous poils. En revanche, il est indéniable que la composition de l’organe n’est pas convenable et nous considérons que le « patchwork » qu’est le préambule de la Constitution donne une marge d’appréciation regrettable aux conseillers. Mais qui osera remettre en cause le totem qu’est le préambule de la Constitution de 1946 et le tabou beaucoup plus récent qu’est la Charte de l’environnement voulue par le très antilibéral Jacques Chirac et qui contient notamment le principe de précaution ?
Dans tous les cas, une institution du type cour constitutionnelle ou cour suprême est conforme à l’État de droit. Ce n’est pas un hasard si la quasi-intégralité des pays civilisés en comporte une. Autrement dit, même si le Conseil constitutionnel devait être supprimé, il devrait aussitôt être remplacé. N’en déplaise à la Constitution islamo-bolivarienne chère à Jean-Luc Mélenchon.