Le 24 octobre 2024, Patrick Martin, président du MEDEF national et Philippe Aghion, économiste et professeur au Collège de France lancent le Front Economique (FE).
Ce FE se compose de dirigeants d’entreprise, de représentants de think tanks, d’économistes et aussi d’universitaires. Il se propose de former les acteurs politiques à la science économique. Il se veut pro-business et défend la politique de l’offre. Il s’inquiète à court terme de la réduction des aides à l’apprentissage, de la hausse de l’impôt sur les sociétés et plus généralement de la remise en cause de la politique économique conduite durant les deux mandats d’Emmanuel Macron. A plus long terme, il estime que le pays doit travailler plus pour produire plus afin de pérenniser notre système de protection sociale ainsi que les retraites. Il soutient, enfin, que ce sont bien les entreprises qui innovent et qu’il revient à l’Etat et à la société civile de faire en sorte que l’innovation soit encouragée, notamment pour réussir la transition énergétique et limiter la fracture territoriale.
Nous partageons les bonnes intentions de ce Front Economique qui élève la voix de la société civile pour rappeler aux institutions et aux responsables politiques combien est important le rôle des producteurs de biens et services et les risques que les interférences politiques peuvent faire peser sur la prospérité économique. Le patronat a raison de s’inquiéter du harcèlement fiscal et règlementaire que nombre de parlementaires font subir aux entreprises. Ce collectif fera œuvre salutaire s’il apporte de la rationalité dans le débat économique dont la pauvreté, notamment dans les enceintes politiques, est souvent affligeante.
Néanmoins, cette initiative ne peut réussir que si elle s’inscrit dans une réflexion plus large, si elle est prête à refonder notre économie enlisée dans des rapports publics/privés qui entravent les ressorts de l’initiative et du développement entrepreneuriaux. Que nos dépenses publiques représentent plus de 50% du PIB, signifie que notre vie sociale et économique est majoritairement dominée par la puissance tutélaire de l’Etat. Et il nous paraît qu’il est aujourd’hui nécessaire de s’interroger pour savoir si l’Etat n’est pas le problème plutôt que la solution. Pour le moins, les assauts contre l’entreprise aujourd’hui peuvent, et doivent, être l’occasion de repenser notre vision des rapports de l’Etat et de l’entreprise.
Si le patronat demandait aux salariés de travailler plus pour défendre la compétitivité et finalement les profits de ses entreprises, il ne serait pas audible. S’il se cantonnait à demander le maintien de ses aides publiques sous toutes leurs formes d’exonération de charges sociales ou autres abattements, de crédits d’impôts, il ne serait pas davantage crédible. Si le Front Economique ne se constitue que pour défendre le statu quo de notre « modèle social » français – que tout le monde nous envie mais que personne ne veut -, s’il apparaît comme le défenseur de rentes syndicales et politiques autant qu’entrepreneuriales, il participera de l’aveuglement français dont se nourrissent les populismes de gauche comme de droite.
Une vision libérale
Nous souhaitons que le FE puisse être force de proposition afin d’établir une société ouverte. Qu’il exige des réformes pour que chacun puisse disposer le plus largement possible des fruits de son travail, pour qu’il puisse s’assurer librement pour sa maladie ou son chômage. Qu’il rassure les actifs et les retraités dans la création d’un pilier de capitalisation pour consolider les pensions futures. Qu’il expose sans tabou comment nous pourrions repenser notre système éducatif, si important pour l’épanouissement et l’employabilité de tous, qui s’effondre aujourd’hui dans les carcans administratifs et syndicaux d’un Mammouth de plus en plus onéreux… Les institutions françaises limitent les libertés individuelles sans offrir la sécurité économique promise par son idéal dirigiste. N’est-il pas temps que l’Etat retrouve sa vocation de veiller que tous soient instruits au mieux de leur capacité plutôt que de les enseigner lui-même, d’assurer à tous et notamment aux entreprises la sécurité et la liberté qui leur permettent d’agir plutôt que de s’ingérer dans la gestion et les objectifs des entreprises ? Ne faut-il pas que les entreprises elles-mêmes se remettent en cause pour renoncer aux innombrables aides publiques dont elles bénéficient en échange d’un cadre légal et réglementaire allégé et pérennisé, notamment au travers d’une baisse significative des impôts de production, d’une réduction du taux d’impôt sur les sociétés et d’un nouveau pacte Dutreil moins contraint et garanti dans la durée ?
L’économie de marché n’est pas parfaite pour la simple et bonne raison que l’homme est imparfait, mais elle a fait ses preuves comme le meilleur (et sans doute le seul) système de création et de partage de richesse. C’est dans les pays développés que règne le plus d’égalité et le moins de pauvreté. Quand l’Etat prétend orienter les choix technologiques des entrepreneurs via des taxes ou des subventions, des contraintes réglementaires ou des incitations sociales, il handicape les mécanismes de marché et en réduit l’efficacité. Il organise, planifie, finance, interdit, réglemente… selon des perspectives statistiques, économétriques qui ne tiennent pas compte de l’action et de la capacité d’innovation humaines. L’Etat peut poser des objectifs politiques de transition écologique, énergétique ou de résolution de fractures territoriales… mais rien ne remplace la connaissance pratique, la connaissance des affaires des entrepreneurs, des capitaines d’industrie. Il ne suffit pas de grands investissements publics, d’aller sur la lune, l’URSS l’a appris à ses dépens, pour soutenir le développement économique. Ce qui fait la prospérité d’un pays c’est sa classe entrepreneuriale et la probité de ses institutions plus que sa politique économique ou sa politique scientifique.
Comme l’a fait ressortir l’école des choix publics, les inégalités dans un pays comme la France sont plus souvent le fruit des monopoles publics et des rentes de situation que de la liberté laissée aux talents individuels et aux efforts de chacun. Les plus proches du pouvoir sont les mieux servis, y compris les entrepreneurs qui vivent d’un socialisme de connivence dans leurs liens avec les institutions publiques. A cet égard le « modèle social » français est devenu une dystopie sociale érigée en statu quo dont il faut sortir pour retrouver une meilleure croissance. Le Front Economique peut y contribuer s’il défend lui-même, comme notre Institut de recherches économiques et fiscales (Iref), un modèle fondé sur un Etat limité et qu’il porte un idéal de liberté tendant à redonner à tous ceux qui le souhaitent et qui le peuvent la maitrise de leur propre vie.
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Kevin Brookes, Enseignant-chercheur en science politique à l’Université Catholique de Lille, Pierre Bentata, Laurent Carnis, directeur de recherche, Jean-Philippe Delsol, docteur en droit, avocat ; Frédéric Douet, Professeur à l’Université Rouen-Normandie, Marian Eabrasu, Professeur, EM Normandie Business School, François Facchini, Professeur agrégé des Universités, Paris 1, Jean-Philippe Feldman, agrégé des facultés de droit, avocat à la Cour de Paris, Renaud Fillieule, professeur des universités en sociologie, Université de Lille, Victor Fouquet, Pierre Garello, économiste, Professeur des universités, Président d’IES-Europe, Antoine Gentier, Professeur agrégé des Universités, Aix Marseille Université, Gabriel Gimenez-Roche, professeur associé d’économie, NEOMA Business School, Karl-Friedrich Israël, Maître de conférences, UCO Angers, Nathalie Janson, Professeur Associé NEOMA, Olga Peniaz, Erwan Queinnec, Maître de conférences des universités, Romain Trichereau, maître de conférences en histoire contemporaine à l’ICES-Institut catholique de Vendée, Nikolaï Wenzel, Professeur des Universités, Universidad de las Hespérides.