Face à la menace russe, la France est obligée d’augmenter ses dépenses militaires. Pour les financer, et faute de moyens, elle doit réduire ses dépenses sociales.
Tandis que nos parlementaires déposent des propositions de loi sur la « discrimination capillaire » ou les « pigeonniers contraceptifs », un dictateur à 3.000 kilomètres de Paris envahit l’Ukraine et menace à répétition d’user de l’arme nucléaire. Alors qu’Emmanuel Macron donne le 14 février au Financial Times un entretien dans lequel il estime que les règles de la zone euro qui limitent le déficit public d’un pays à 3 % du PIB sont « caduques », la Cour des comptes tire une nouvelle fois le signal d’alarme au sujet de nos comptes publics et elle appelle à un redressement urgent. Ajoutons qu’il ne se passe quasiment pas un jour sans qu’un fait divers ne mette en cause un clandestin ou une personne sous OQTF. Quant à l’alerte aux attentats terroristes, c’est l’état maximal qui devient aujourd’hui la norme. Le prétendu « sentiment » d’insécurité laisse place à une insécurité grandissante. Or, un État qui ne garantit plus la sécurité à ses administrés perd sa raison d’être, autrement dit sa légitimité.
Contrairement aux apparences, tous ces éléments sont liés. Notre État providence, le plus complet de l’univers, croûle sous les déficits. Il intervient tous azimuts sans pour autant freiner la dégradation de la qualité des services publics, cruellement ressentie par les citoyens. Une partie de notre classe politique se réfugie dans le déni en réclamant plus d’argent pour ce qui ne fonctionne pas ; une autre se contente de vagues déclarations tout en étant incapable de concevoir le « comment » des réformes.
L’état de nos armées apparaît tout particulièrement inquiétant. Elu presque sans programme en 2017 sur ce point comme sur la plupart des autres, Emmanuel Macron a eu le mérite, il faut le reconnaître, de comprendre quelques mois plus tard que le budget militaire, victime des « dividendes de la paix » après la chute du Mur de Berlin (il était tellement facile de faire des impasses sur la « Grande Muette » !), devait être augmenté. Il n’en demeure pas moins que le fait de ne consacrer annuellement que 50 milliards d’euros à notre défense, dont 30 pour l’équipement, reste très insuffisant.
Une analyse de l’Ifri du 24 janvier consacrée à « L’avenir de la supériorité aérienne » pointait le volume insuffisant des flottes, des équipements de mission et des munitions. Fin 2023, puis en 2024, les sénateurs s’inquiétaient de l’insuffisante disponibilité des équipements utilisés par les forces françaises. C’était déjà ce qu’indiquait un rapport de la Cour des comptes en 2022. Et depuis combien d’années (il suffit de se souvenir de la guerre du Golfe) opère-t-on ce constat sans y remédier ?
On a pu calculer qu’entre 2009 et 2020, 32 % des investissements militaires n’avaient finalement pas été exécutés. Nous continuons aujourd’hui à en subir les conséquences. Rappelons quelques chiffres pour saisir l’étendue des dégâts : le budget de nos armées est constamment en-dessous des 3 % du PIB chaque année depuis 1988. Il a été inférieur à 2 % en 2005. Notre pays s’inscrivait seulement au 9e rang mondial pour les dépenses militaires en 2023 et au 3e rang européen, derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne. En dépit des lois de programmation militaire et des annonces publicitaires, il y a eu en définitive peu de progrès sous la présidence Macron. En effet, le budget des armées représentait 1,92 % du PIB en 2016, 2,06 % en 2023, 2,1 % en 2024, comme l’Allemagne.
Les causes du 50e budget consécutif en déficit que nous allons subir en 2025 et par conséquent de notre dette abyssale sont parfaitement connues : non pas la justice, non pas les défenses intérieure et extérieure du territoire, qui restent les parents pauvres des lois de finances, mais le modèle social français. La plupart de nos hommes politiques s’en enorgueillissent, à commencer, encore récemment, par le ministre de l’Economie et des Finances, Eric Lombard. Un modèle que, selon la formule consacrée, le monde entier nous envie mais dont nul ne veut s’inspirer. En effet, les fonctions dites régaliennes de l’État (sécurité intérieure et extérieure du territoire, justice et relations internationales) comptent pour moins de 10 % de nos dépenses publiques qui s’élèvent pourtant à plus de 57 % du PIB, record mondial !
L’État dépense beaucoup et mal, il intervient beaucoup et mal. Ce constat est aujourd’hui assez largement partagé à droite et au centre. Mais pour faire les énormes économies qui sont indispensables, il est nécessaire de revoir les limites de notre État. Celui-ci doit se recentrer sur ses missions dites régaliennes et laisser à la société civile (le secteur marchand, mais aussi, on l’oublie trop souvent, le secteur non lucratif) le soin, par principe, de s’occuper des autres domaines. Comme l’écrivait déjà Benjamin Constant au début du XIXe siècle, l’État doit être fort, mais limité dans ses attributions. Et il ne sera fort que s’il est drastiquement limité.
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