L’été dernier, le premier ministre Édouard Philippe, saisissait le comité économique, social et environnemental (CESE) pour qu’il s’interroge sur l’avenir du travail à l’occasion du centenaire de l’organisation internationale du travail (OIT).
L’institution de la place d’Iéna a bien sûr obtempéré et a livré son avis il y a quelques semaines. Le document, intitulé « Les jeunes et l’avenir du travail », comprend deux parties. La première livre un état des lieux ; la seconde des préconisations dont l’ambition est de « construire la société de demain ».
Nous ne nous étendrons pas sur le diagnostic, même s’il présente une vision pessimiste du présent comme de l’avenir. Les rapporteurs – Dominique Castéra et Nicolas Gougain- avaient manifestement chaussé leurs lunettes noires pour rédiger le rapport. Ils portaient également des lunettes idéologiques, leur empêchant d’analyser correctement ce qu’ils avaient sous les yeux.
Prenons deux exemples. Pour les rapporteurs, le taux d’échec élevé dans le premier cycle universitaire s’explique par le fait que plus d’un étudiant sur deux est obliger de travailler pendant ses études. Jamais, ils n’évoquent l’idée que l’université sélectionne les étudiants en première et deuxième année parce qu’elle n’a pu le faire à l’entrée du cursus.
Autre exemple, les auteurs reproduisent les chiffres d’une étude indiquant que 70 % à 80 % des moins de 35 ans estiment être mal payés, laissant donc entendre à leurs lecteurs que les entreprises rémunèrent mal leurs collaborateurs. Ils auraient pu tenter de relativiser ces chiffres. Certes, beaucoup de salariés aimeraient gagner davantage. Mais n’auraient-ils pas une autre opinion s’ils percevaient leur salaire complet, c’est-à-dire non diminué des charges patronales et salariales, se rendant compte ainsi combien les prélèvements sociaux obèrent leur salaire ?
Bref, avec de tels a priori, il y a tout à craindre des propositions de Gougain et Castéra.
Des préconisations délirantes
Les 28 préconisations contenues dans le document ne manquent parfois pas de sel. C’est le cas de la préconisation 10 qui veut tout mettre en œuvre pour que les jeunes aient davantage recours à la validation des acquis de l’expérience (VAE). Les rapporteurs déplorent en effet que les jeunes de moins de 30 ans représentent moins de 10 % des candidats à ce dispositif. Sans doute ont-ils perdu de vue que, comme son nom l’indique, la VAE sert à valoriser une expérience professionnelle ! N’est-il pas logique que les plus jeunes, c’est-à-dire ceux qui ont le moins d’expérience, soient les moins concernés ?
Les rapporteurs n’oublient pas de faire leur liste de dépenses. Le contraire eut été étonnant. Outre davantage de moyens pour la VAE comme nous le venons de le voir, ils demandent également des fonds supplémentaires pour les missions locales. Ils veulent élargir la Garantie jeunes, par l’augmentation de sa durée et l’élargissement du nombre des bénéficiaires. Des dépenses supplémentaires sont demandées également pour l’hébergement et la mobilité (permis de conduire). L’allongement du congé de paternité est envisagé, comme le recommandait le rapport de l’IGAS dont nous avons déjà fait état (voir notre article du 22 octobre 2018). Les deux rapporteurs entendent aussi renforcer l’offre de modes de garde d’enfants dans les bassins d’emplois, et développer les contrats de transition écologique.
De nouvelles contraintes pour les entreprises
L’essentiel des préconisations du rapport du CESE pèsent sur les entreprises. Elles visent notamment à créer de nouvelles obligations, de nouvelles contraintes : la création d’espaces de discussion sur le lieu et pendant le temps de travail ; la définition d’objectifs et l’élaboration d’indicateurs de qualité de vie au travail (QVT) en lien avec les représentants du personnel ; la consultation du comité social et économique (CSE, ex-comité d’entreprise) sur la stratégie et le suivi de la démarche de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE).
Diriger les entreprises à la place des patrons
Mais le plus incroyable dans ce rapport, c’est la prétention des deux rapporteurs a diriger les entreprises en lieu et place des patrons et à s’immiscer dans la gestion des entreprises. Jugez vous-même !
Leur première préconisation est de recommander « aux employeurs de privilégier les recrutements en contrat à durée indéterminée (CDI) dans le but d’établir une relation de confiance bénéfique aux deux parties, ce qui implique la limitation du recours abusif aux contrats courts ». Comme si la majorité des employeurs privilégiait les contrats courts ! Comme si ces contrats courts n’étaient pas nécessaires à l’activité des entreprises (voir notre article du 20 mai 2019) ! Comme si le CDD ou l’intérim n’étaient pas indispensables pour tester le collaborateur avant l’embauche en CDI ! Laissons donc les chefs d’entreprise choisir le meilleur moyen pour « établir une relation de confiance ».
Avec la deuxième préconisation, ils demandent aux employeurs de proposer aux alternants qu’ils ont accueillis un emploi durable en CDI lorsqu’une embauche est envisagée dans l’entreprise. Comme si les chefs d’entreprise n’avaient jamais eu cette idée ! Si un jeune en alternance est bon et qu’on peut le garder, on le garde. Et s’il n’est pas bon, on est content que le contrat d’alternance se termine pour s’en séparer. Le meilleur moyen de « tuer » l’alternance, c’est bien d’instaurer ce genre d’automatisme.
Les préconisations 14 et 15 demandent aux employeurs de mieux recruter, et plus précisément de recruter sur des critères autres que le niveau de diplôme et l’expérience professionnelle. Sur quels critères alors ? Sur les expériences extraprofessionnelles, la créativité, la capacité d’autonomie, les compétences relationnelles, les savoir-faire transversaux. Comme si ces critères n’étaient pas déjà pris en compte par les employeurs ! Laissons les employeurs recruter avec les critères qu’ils jugent les plus pertinents pour le poste à pourvoir.
La préconisation 18 enjoint les chefs d’entreprise d’ajouter aux missions techniques et de gestion de leurs managers celle de management des ressources humaines. Comme si cela n’était pas déjà le cas ! Laissons donc les employeurs définir eux-mêmes les missions qu’ils souhaitent donner à leurs cadres.
Mais finalement, le plus délirant dans cette histoire n’est-il pas qu’un des auteurs du rapport, Dominique Castéra fut DRH du groupe Safran et siège au CESE dans le groupe des entreprises ?
Encore un rapport aussi stupide qu’inutile et qui milite encore pour la suppression du CESE
1 commenter
CESissant!
Et nous les engraissons pour sortir des trucs pareils!
Il faut une réforme constitutionnelle pour supprimer le CESE: celle qu'on nous annonce risque hélas! de le préserver!