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Le défaut d’enrichissement personnel

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Tout récemment et après les scandales financiers pointés dans les plus hautes instances du football et de l’athlétisme, une émission de grande audience sur nos écrans en est venue à traiter de la corruption, dans le sport d’abord, puis dans le monde politique. Et c’est dans le cadre de ce dernier qu’est revenue une nouvelle fois dans le débat la distinction ordinaire entre l’infraction qui procure un enrichissement personnel à son auteur et celle dont au contraire il ne tire personnellement aucun avantage pécuniaire. C’était incontestablement une fois de trop et à voir l’évidence avec laquelle cette « summa divisio » s’est imposée chez la plupart de nos esprits les plus déliés, on ne peut pas vraiment s’étonner de voir notre pays naviguer de conserve avec le Qatar à un honteux 26ème rang dans le classement international de l’Agence « Transparency International », où pas moins de 14 pays européens nous précèdent souvent d’assez loin.

En effet et contrairement à l’opinion commune, que les médias ont largement façonnée, l’excuse du défaut d’enrichissement personnel n’est nullement absolutoire. D’une part, elle ne l’est pas juridiquement, parce que la loi pénale ne retient pas expressément cette distinction, pas davantage que le juge qui rappelle constamment que le défaut d’enrichissement personnel est indifférent quant à la constitution de l’infraction (cf. notamment Cass. Crim. 7 avril 2004 sur pourvoi N°03-86203). Mais c’est vrai qu’on la trouve pourtant trop souvent encore dans les comptes-rendus de plaidoiries, dans les colonnes de nos journaux ou dans les débats télévisés même de bonne tenue, où on essaie de lui faire jouer le rôle d’une sorte de circonstance atténuante, en faisant ressortir en quelque sorte le caractère parfaitement « désintéressé », presque altruiste, du détournement opéré. Certains censeurs y verront même un des marqueurs les plus symboliques de cette civilisation de l’excuse dans laquelle se dissolvent aujourd’hui la plupart de nos valeurs, qu’elles soient républicaines ou pas. D’autre part, la distinction n’est pas davantage justifiée sur le plan économique parce qu’elle traduit en réalité une ignorance alarmante de la réalité financière, car enfin à partir du moment où de l’argent public a été dévoyé, si on ne sait pas toujours à qui il a effectivement profité, par contre on sait toujours qu’il fait bien défaut et surtout à qui il fait défaut.

Donc si tout notre beau monde peut s’abîmer dans une compassion de midinette en brandissant à tout va l’excuse du défaut d’enrichissement personnel, le professionnel du droit, de la finance ou de la comptabilité qui réfléchit un peu, tout comme d’ailleurs le contribuable un tant soit peu perspicace, se doivent pourtant de choisir résolument une autre voie. Ils n’ont en effet aucun mal à déceler que quand l’auteur de l’infraction objecte pour sa défense le défaut d’enrichissement personnel, il faut lui rétorquer aussitôt que, s’il ne s’est effectivement pas personnellement enrichi, la collectivité – qu’elle soit nationale ou territoriale ou autre encore – elle, s’est indiscutablement appauvrie. Car c’est bien elle qui, en définitive, n’a pas perçu l’argent qui devait lui revenir et dont elle aura immanquablement besoin par la suite. C’est ainsi que logiquement, mathématiquement, financièrement, cet appauvrissement qui préjudicie en dernier lieu au contribuable doit être sanctionné judiciairement et médiatiquement avec une rigueur égale et sans coup férir, puisque le détournement a bien eu lieu et qu’il n’est nullement intervenu sous le coup d’une obscure nécessité.

Admettre le contraire, plus grave encore le diffuser ou le laisser croire, c’est tout simplement accepter que le voleur assez retors pour « planquer » son butin ou assez « généreux » pour le livrer à autrui puisse impunément enfumer la victime, le juge et l’opinion avec un argument qui ne vaut pas un fifrelin. C’est donc à tous les clercs, à la communauté de tous ceux qui savent, qu’incombe l’effort nécessaire pour crucifier définitivement cet argument de mauvais aloi, en essayant à chaque fois que possible de rehausser d’un cran la culture juridique de base du citoyen français qui en a bien besoin.

© Thierry BENNE
Docteur en droit – INTEC – Diplômé d’expertise-comptable

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2 commentaires

Royer 24 novembre 2015 - 6:54 am

Enrichissement personnel et intérêt de la collectivité
Vous avez raison mais je préfère un Balkany qui a rénové Levallois a un fonctionnaire qui n'a de cesse que d'imposer de nouvelles normes contre productives

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Guillaume_rc 24 novembre 2015 - 4:19 pm

Une notion absurde
Merci pour cet article qui vient "remettre à l'endroit" certaines notions.

J'ajouterais que cette notion de "défaut d'enrichissement personnel" est d'autant plus inopérante qu'elle fait l'impasse sur les autres avantages dont l'auteur des faits peut bénéficier : circonscription réservée, poste enviable dans telle administration ou telle entreprise publique…

Nous faire croire que des personnes se sacrifient pour le bien de leur parti c'est vraiment nous prendre pour des idiots.

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