Au-delà de l’émoi suscité par la récente amende de près de 9 Md$ infligée à la BNP par le gouvernement américain, cette décision n’a rien de surprenant. D’un point de vue juridique, ces accords à l’amiable sont relativement répandus Outre-Atlantique. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’une entreprise française paie une telle amende.
En 2008, Air France-KLM acceptait de payer 350 M$, dans le cadre de la loi antitrust, à l’Etat américain[[GARETT Brandon L. and ASHLEY Jon, Federal Organizational Plea Agreements, University of Virginia School of Law, at http://lib.law.virginia.edu/Garrett/plea_agreements/home.php.]]. En revanche, le nombre de procédures engagées par les Etats-Unis à l’encontre des entreprises s’est accéléré, et l’ampleur des amendes payées par ces dernières atteint désormais des sommets. Il est vrai, les montants d’aujourd’hui ne sont pas comparables avec ceux du passé, et cette tendance inquiète particulièrement de nombreux juristes américains. Dans un récent dossier, l’hebdomadaire anglais The Economist[[THE ECONOMIST, A mammoth guilt trip, August 30th 2014. Les données citées ici proviennent de l’étude publiée par l’hebdomadaire anglais, sauf indication contraire.]] revient en détail sur cette procédure, où les entreprises peuvent faire l’objet d’accusations au pénal.
L’explosion des poursuites judiciaires
Le problème ici n’est pas tant le principe de responsabilité pénale de personnes morales, qui n’est pas remis en cause – la doctrine a déjà montré l’utilité de cet instrument juridique –, que l’opacité des procédures et le manque de transparence quant aux raisons pour lesquelles ces entreprises sont poursuivies. En droit américain, cette responsabilité pénale est régie par la règle respondaet superior, qui prévoit qu’une entreprise peut être tenue pénalement responsable des activités de ses employés dans la mesure où ceux-ci agissent dans le cadre de son autorité. Or, ce cadre est particulièrement large aux Etats-Unis.
Afin de ne pas ternir leur image vis-à -vis de leurs investisseurs et de leurs consommateurs, les entreprises préfèrent conclure, le plus souvent, un accord à l’amiable, et ainsi, faire lever les charges qui pèsent sur elles, alors même qu’elles auraient de bonnes chances d’être acquittées au cours de la procédure pénale. D’où l’explosion du nombre de ces accords (environ 140 entre 2010 et aujourd’hui[[Il s’agit des ‘deferred and non-prosecution agreements’, une procédure qui concernent les grandes entreprises. Ce chiffre provient des données de : ARLEN Jennifer, Corporate criminal liability: theory and evidence, NYU Center for Law, Economics and Organization, Law & Economics Research Paper Series, Working Paper N° 11-25, May 2012, et de : THE ECONOMIST, Op. cit.]]). Dans le cadre de tels accords, l’autorité publique a le pouvoir de modifier radicalement le mode de gouvernance, d’imposer de nouvelles procédures de conformité, de réduire certaines activités et de procéder à des changements dans le management et le mode d’organisation de l’entreprise concernée.
Depuis 2000, la justice américaine a procédé à près de 2 200 condamnations. Pour l’année en cours, les entreprises américaines sanctionnées ont déjà déboursé environ 13 Md$, soit deux fois plus qu’en 2013. Il s’agit de montants colossaux, le plus souvent payés par les banques, mais pas seulement ; General Electric, Toyota, ou encore Wall Mart sont également impliquées dans ce type de procédures. Ainsi, de plus en plus de juristes assimilent le département de la justice à un centre d’enregistrement et de collecte de profits liés aux amendes.
Les entreprises paient pour des services publics déficitaires
Et la prolifération des cas n’est pas une conséquence du système capitaliste américain, selon The Economist. Au contraire, cette situation est le reflet des nombreux changements qui ont eu lieu au cours du siècle dernier. En particulier, on observe une modification du rôle de l’Etat et des institutions, qui interviennent toujours plus dans l’activité économique. En outre, la réponse des gouvernements successifs aux crises et aux guerres, tout comme l’incarnation des théories économiques (notamment keynésiennes) dans le droit, ont également été des facteurs de ce changement idéologique.
L’une des conséquences directe est que l’Etat américain s’immisce de plus en plus dans la vie des entreprises, au motif de l’intérêt général qui n’est souvent qu’un prétexte. A quoi sert l’argent récolté par les autorités américaines ? D’une part, il va garnir les comptes des procureurs généraux. En 2013, le département de la justice aurait récolté 5,5 Md$, soit le double du budget de fonctionnement des 94 bureaux des procureurs généraux aux Etats-Unis et des principales sections gérant le contentieux au sein du ministère de la justice. Par exemple, l’Etat du Rhodes Island a utilisé cet argent pour financer l’agrandissement de son bâtiment principal, l’achat d’un nouveau poste de police et la remise à flot du fonds retraite de ses policiers.
En réalité, une partie du montant des amendes sert à renflouer des services publics sous-financés. Les professionnels du droit notent que « les autorités chargées de l’application des lois sont à la recherche de larges gains monétaires, souvent pour satisfaire leur propre intérêt. Les agences y sont incitées par la possibilité de conserver une partie des gains des amendes »[[THE ECONOMIST, Op. cit.]].
Des incitations contradictoires
En période de réductions des dépenses publiques, les amendes payées par les entreprises concourent ainsi au maintien du train de vie de l’Etat. La puissance publique n’a donc aucun intérêt de voir se réduire ce types d’accords, et encore moins leurs montants, pourtant éloignés de toute réalité économique. Par ailleurs, le problème ne concerne pas uniquement le ministère de la justice ; de nombreuses agences bénéficient de cette législation, tant au niveau des états qu’au niveau fédéral.
Ce que l’on ne voit pas, c’est le coût, pour les entreprises, de la mise aux normes nécessaire pour éviter ces procédures pénales fondées sur des bases juridiques plus ou moins douteuses. Aujourd’hui, seuls les grands groupes peuvent supporter la charge financière induite par l’explosion des normes et des procédures, qui leur coûterait, en moyenne, 40 M$ chaque année. Cette situation fait peser un risque supplémentaire sur les PME, qui n’ont tout simplement pas les ressources nécessaires pour répondre aux exigences des bureaucrates.
En outre, les coûts d’opportunité sont impossible à mesurer, mais certainement de grande ampleur pour l’ensemble de l’économie américaine. Pour The Economist, « les entreprises dépensent des ressources considérables (en temps et en argent) pour se mettre aux normes et satisfaire les juges, les procureurs, les législateurs et autres contrôleurs, ce qui sape l’innovation et le service auprès des consommateurs. Et même l’entreprise la plus attentive n’est pas à l’abri du risque » et pourrait devenir la cible d’une procédure pénale.
Mais augmenter la responsabilité des entreprises (et donc les amendes) ne conduit par toujours aux résultats escomptés. La situation est paradoxale. D’une part, les entreprises mobilisent des ressources exponentielles pour respecter la loi, ce qui accroît dans le même temps la probabilité de se faire prendre si elles ont commis une erreur. D’autre part, les amendes qu’elles paient sont disproportionnées par rapport aux efforts qu’elles mettent en œuvre pour satisfaire les demandes des autorités. Quel intérêt de mobiliser autant de ressources si c’est pour se retrouver coupable ?[[Pour une explication exhaustive de cette contradiction et ses solutions, voir : ARLEN Jennifer, The potentially perverse effects of corporate liability, The Journal of Legal Studies, vol. XXIII, June 1994.]]
Ce système d’amende mérite d’être repensé dans un contexte où les entreprises ont de plus en plus de difficultés à supporter ces nouveaux coûts et contraintes mis à leur charge. Plus de transparence quant aux faits et à la démarche adoptée par le ministère public permettrait d’apporter un meilleur éclairage pour les entreprises sur l’évolution du droit, dont la légitimité est de plus en plus contestée, du fait d’une application alambiquée et parfois discrétionnaire de celui-ci. Le gouvernement français, plutôt que de défendre une seule entreprise comme BNP Paribas, aurait gagné en crédibilité en prenant le parti de l’état de droit et en dénonçant ces pratiques au nom de toutes les entreprises concernées, françaises, américaines ou étrangères.
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Où est passée l'Amérique de REAGAN ?
Obama est en train de copier nos dirigeants Français incapables. Depuis son élection, j'ai toujours pensé qu'il affaiblirait l'Amérique pour une seule raison, c'est un socialiste. C.Q.F.D.!