L’IREF a demandé à l’un de ses administrateurs, le Professeur Enrico Colombatto (Université de Turin) de faire régulièrement le point sur les mesures prises ou envisagées au niveau des autorités européennes. En 2012, la sortie de crise n’a pas été facilitée par les options de Bruxelles. Qu’en sera-t-il pour 2013 ?
2012 fut une année cruciale pour le contexte économique européen. Rétrospectivement, deux éléments sont saillants. D’abord, les autorités européennes ont insisté pour exiger des mesures d’austérité de la part des pays membres, et ont explicitement déclaré leur intention de sauver des acteurs financiers – notamment les banques – susceptibles de déclencher une crise financière systémique. Ensuite, la réglementation a été présentée comme le remède à long terme des faiblesses révélées par la crise qui impacte les Etats-Unis et l’espace européen depuis quatre ans.
Le résultat de ce mélange – austérité et engagements – aura été de raviver les marchés financiers. Pourtant, même si l’opinion publique donne le sentiment que le pire est derrière nous, les sondages ne démontrent pas que le public soit largement optimiste. Regardons brièvement les raisons de cette situation.
Politiques nationales : l’austérité pour qui ?
Nous avons mentionné que le mot clé dans la plupart des pays troublés de l’Union a été et reste l’austérité. Mais il faut aller plus loin. Après des années de négligence bienveillante et coupable face aux violations répétées des critères de Maastricht relatifs aux taux d’endettement et de déficits budgétaires, la Commission européenne a demandé aux décideurs nationaux de stabiliser leur niveau d’endettement et d’équilibrer leurs budgets. Etant donné l’incapacité et le manque de volonté pour réduire de manière significative les dépenses, cette recommandation budgétaire a de fait conduit à des augmentations substantielles de l’imposition. Rien n’indique que cette tendance lourde sera inversée en 2013, alors que les nouvelles lois adoptées en 2012 frapperont les contribuables européens de plein fouet.
Il ne faut pas s’étonner de ce que les impôts élevés, la hausse des dépenses publiques et une réglementation excessive aient eu un impact négatif sur la croissance, qui aura été décevante l’an passé (- 0.6 % dans l’Eurozone) et ne s’annonce pas plus élevée en 2013 (environ 0.2 % selon la majorité des prévisions). Autrement dit, alors que l’austérité n’a pas sortie l’Europe de la crise, l’Eurozone continuera de se focaliser sur l’imposition des revenus et la richesse pour régler les problèmes budgétaires. Les pouvoirs publics vont peut-être justifier la pression fiscale supplémentaire, en faisant semblant de taxer les riches plus que les pauvres. Mais l’essentiel du fardeau sera porté par les classes moyennes. Or, la croissance ne va pas revenir sans une classe moyenne prospère et motivée, capable de dépenser, et la crise ne va pas se résoudre si la croissance n’est pas au rendez-vous. Sauver des Etats et des banques n’est pas la solution.
Les institutions internationales : le FMI et la BCE
La scène internationale a également assisté au déclin progressif du Fonds Monétaire international. Au cours de 2011 et de 2012, on a demandé au FMI de légitimer des politiques nationales, telles que l’austérité et une politique monétaire expansionniste, afin de financer la dette. Pourtant, l’année passée a démontré que la plupart des membres du FMI ne sont pas prêts à engager des ressources supplémentaires pour l’agence présidée par Mme Lagarde. Le FMI pourrait éventuellement assumer davantage de responsabilités dans les pays émergents, mais personne ne doute que l’Union européenne ait obtenu le contrôle des affaires européennes depuis quelques mois.
Plutôt qu’un FMI volontariste en Europe, il faut anticiper des tensions au sein de l’Union : entre la Commission européenne, qui a envie d’avoir un rôle plus actif dans la réglementation et la politique budgétaire, et la Banque centrale européenne, qui pourrait avoir des doutes sur une politique monétaire expansionniste et trouverait de bonnes raisons d’arrêter la planche à billets. En d’autres termes, l’accent sera mis davantage sur les conséquences inflationnistes de son action passée : même si l’augmentation proportionnelle du niveau général des prix reste modérée (en Europe environ 2.7 % en 2012 et la Commission européenne prévoit un ralentissement à 2 % en 2013, puis à 1.8 % en 2014), nous pensons que le taux d’inflation pourrait ne pas baisser du tout, surtout si les marchés financiers se stabilisent et les investisseurs et les particuliers sont moins incités à réduire les liquidités. Si nous avons raison, la stagflation n’est plus une perspective éloignée.
Au final, les tensions pourraient se dissiper si la BCE resserre l’étau sur le secteur bancaire. La réglementation et la surveillance des acteurs trop-gros-pour-échouer (Too big to faill) devraient être opérationnelles au printemps 2014. A ce moment, pour obtenir la moindre garantie il faudra que les établissements bancaires se plient à ce contrôle. Il faudrait également que la Commission assume la responsabilité d’imposer à tous les pays des « lignes d’orientation » budgétaires et d’empêcher la concurrence fiscale. Or, les deux composants (contrôle du secteur bancaire et des règles budgétaires) sont interdépendants, et finalement une intervention excessive dans les affaires nationales pourrait provoquer des réactions populistes et ainsi augmenter la volatilité des marchés financiers.
Les banques doivent-elles financer la dette publique ?
Les 12 derniers mois ont été aussi marqués par les très larges ambiguïtés dans le secteur bancaire. La crise a dévoilé le fait que la plupart des banques en difficulté n’ont pas assumé leur tâche fondamentale – la conversion de dépôts à vue en prêts de long terme destinés aux emprunteurs productifs – au profit d’autre chose : la conversion de dépôts à vue en dépenses publiques financées à crédit. Certes, en 2012 on note une conscience accrue des défauts des accords de Bâle et de leurs conditions. La réglementation n’est plus considérée comme une baguette magique. Pourtant, il est peu probable qu’en 2013 on s’attaque à l’enjeu fondamental : la tâche principale des banques ne doit pas être de financer la dette publique, et des conditions de réserves plus onéreuses ne feront rien pour arranger les choses. Ces conditions vont plutôt conduire à moins de fonds pour le secteur productif, ce qui a déjà eu pour résultat de revoir le calendrier de mise en œuvre de ces nouvelles règles (au profit surtout des plus grandes banques).
Il serait évidemment utile de revoir la réglementation bancaire, parce que les banques devraient satisfaire les préférences de leurs clients, plutôt que celles des hommes politiques et des bureaucrates ; ne serait-ce que parce que les bureaucrates ne sont pas forcément plus compétents en la matière. Quoi qu’il en soit, la révision est en marche comme en témoigne largement la presse. Mais cela signifie également que les règles sont plus susceptibles de faire partie de la négociation. Ce qui pourrait être interprété comme un aveu de faiblesse et ne contribue pas à la stabilité, un des piliers de l’économie de marché.
Qui plus est, l’idée que la réglementation est sujette à la négociation politique rajoute aux ambiguïtés persistantes des pratiques actuelles (les normes internationales d’information financière) qui ont été critiquées comme étant fondamentalement inadéquates, poussant l’Union européenne à ouvrir une enquête (tardive). Une comptabilité transparente est évidemment la bienvenue, mais les expériences passées dans ce domaine incitent à la prudence. Il serait regrettable que les efforts pour la transparence conduisent à une intervention bureaucratique plus intense dans le fonctionnement du marché.
Enrico Colombatto