« Ectoplasme ! » : la mémorable insulte du Capitaine Haddock vient à l’esprit en ces temps sombres. Je me le dis silencieusement lorsque je passe devant le panneau indiquant le nom du village du midi de la France dans lequel je vis actuellement, un panneau défiguré par un énorme graffiti qui couvre le nom du village : « LIBERTÉ ». Vraisemblablement l’œuvre d’un anti-vax.
Cette exigence-clé de « Liberté ! » – en effet, entendue sur toutes les plateformes, taguée sur tous les murs – est la source de formes sociales et politiques ectoplasmiques insoupçonnées. C’est le cas à travers tout l’Occident, où la « Liberté ! » est revendiquée, notamment par la droite libertarienne et l’éco-gauche, mais est ancrée, aussi, dans les revendications de ce qu’on appelle aux États-Unis la gauche « progressiste ». Pour ce qui est de la droite libertarienne il suffit de se référer à l’invasion du Capitole américain le 6 janvier 2021 par des « patriotes » autoproclamés « liberty-lovers ». La liberté, en effet, est devenue une revendication si puissante et incontestable pour la droite, qu’elle a engendré l’antinomisme (la persuasion de pouvoir vivre au-dessus de la loi). Pour la gauche progressiste, il suffit de rappeler que, selon elle, les actes d’ « identification » personnelle (expressions de la liberté individuelle), de par leur nature même, nécessitent immédiatement des protections juridiques et ne tolèrent aucune résistance. Que « Liberté ! » soit devenu le cri universel des composantes les plus extrêmes de la droite et de la gauche est mis en évidence par l’alliance qui se forme aujourd’hui entre l’éco-gauche et la droite ethno-nationaliste, pour s’opposer à la vaccination obligatoire.
Une fois la revendication de Liberté avancée, la dispute – pour les uns comme pour les autres – est censée prendre fin. Toute résistance à la revendication de Liberté est un appel aux armes : « Live Free or Die », comme l’exige la plaque d’immatriculation du New Hampshire des citoyens de ce bel État américain.
L’appel à la Liberté n’est pas seulement omniprésent et ne produit pas seulement de nouvelles formes politiques et sociales. C’est aussi, paradoxalement, un emprisonnement. Pour les partisans de la Liberté, tant que s’exerce une action individuelle totalement libre, tout va bien. Mais parce que l’action individuelle totalement libre rencontre toujours une résistance, les choses ne vont pas du tout bien. Elles ne vont tellement pas bien, en fait, que les tenants de la Liberté ! (avec son point d’exclamation obligatoire) promettent de nouvelles formes de vie, sociales et politiques, anti-démocratiques et imprévisibles, dans le but de garantir la « Liberté ». Dans ce meilleur des mondes, les promoteurs zélés de la Liberté !, de la droite libertarienne comme de la gauche progressiste, se sentent obligés d’infliger leurs versions ectoplasmiques de la Liberté (laissons tomber le point d’exclamation ennuyeux) au reste d’entre nous. La Liberté travaille, paradoxalement, à nous emprisonner.
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Article singulier et très intéressant. Sans remonter jusqu’au Moyen-âge je dirais qu’il n’existe de libertés sans cadre, tout comme il n’existe de droits sans devoirs. En fait, tout cela est un peu comme la comptabilité, il faut la nécessaire contrepartie. Mon explication est plus simpliste, mais plus compréhensible (sauf pour nos abrutis de dirigeants politiques). Merci pour cette démonstration que je vais conserver.