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Un consensus scientifique de 99,9% sur le changement climatique anthropique, vraiment ?

Anatomie d’une mystification

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Une recherche sur le mot-clé « consensus scientifique climat » renvoie rapidement à une étude récente, publiée en 2021 dans la revue académique Environmental Research Letters, concluant à un consensus scientifique de 99,9% sur le changement climatique anthropique. Il s’agit d’un travail dirigé par un certain Mark Lynas – qu’une recherche sur Google présente non comme un scientifique mais comme un journaliste, auteur d’ouvrages sur le changement climatique – voire militant – assisté de deux collègues universitaires. L’étude, qu’on appellera L21, reprend la méthodologie d’un article publié en 2013 qui, lui, conclut à un consensus scientifique de 97% (on l’appellera C13 ). Curieusement – ou pas – L21 ne dit mot des critiques adressées à C13 par l’économiste Richard Tol qui, retravaillant ses données, passe du consensus de 97% à la conclusion selon laquelle 95% des travaux scientifiques analysés par l’article ne disent rien des causes du changement climatique.

Le protocole de recherche

C’est donc sans aucune restriction ni réserve que L21 – et au vrai, toute la littérature sur le « consensus » avant lui – répète les erreurs de C13. Pour y voir plus clair, exposons d’abord son protocole de recherche principal : (1) les auteurs sélectionnent un échantillon de 3 000 articles scientifiques traitant principalement des méthodes d’investigation (methods), de l’impact, et de l’atténuation (mitigation) du changement climatique, soit trois sujets très différents sur le plan scientifique ; (2) les auteurs lisent le résumé des articles et les classent en 7 catégories d’opinion scientifique allant de « validation explicite du réchauffement anthropique avec quantification » à « rejet explicite du réchauffement anthropique avec quantification ». Ce tri leur permet de finalement retenir 2 718 articles répartis dans les 7 catégories. À ce stade, on pourrait déjà relever quelques limites dans le protocole de recherche mais celles-ci sont inhérentes à tout travail scientifique. Ce qui fait de L21 une mystification tient à l’ambiguïté de sa définition du « consensus », dont résultent deux problèmes mortels pour la crédibilité de la démonstration.

Un « consensus » défini de manière triplement ambigüe

Tout commence donc avec la notion centrale de l’article – le consensus – dont la définition souffre d’un triple défaut (presque tout ce qui est dysfonctionnel l’est à cause d’un défaut de conception ; c’est également, voire surtout, le cas pour les articles « scientifiques »). Première ambiguïté : l’objet du consensus est imprécis de sorte qu’on ne sait pas très bien si l’opinion testée est « les gaz à effet de serre d’origine humaine contribuent au réchauffement climatique » ou « les gaz à effet de serre d’origine humaine sont le facteur principal du réchauffement climatique ». C’est que cette question est si complexe – donc si pleine de subtilités – qu’identifier ce sur quoi devrait porter le « consensus » est en soi exigeant (je renvoie là-dessus à mes articles dans le Journal des Libertés et aussi).

Deuxième ambiguïté : le titre de L21 fait référence à un « consensus dans la littérature scientifique » tandis que le texte se targue, lui, de mesurer un « consensus scientifique ». Voyez comme la sémantique est piégeuse et comme il est facile de s’y laisser prendre ; les deux expressions semblent identiques alors qu’elles sont très différentes. Un « consensus scientifique », c’est une théorie partagée par les scientifiques qui la conçoivent et l’éprouvent ; un « consensus dans la littérature scientifique », c’est un énoncé qui peut être commun à des travaux publiés dans des revues d’astrophysique, d’agronomie ou de sociologie sans qu’aucune de ces disciplines n’en fasse un sujet d’étude ; en somme, c’est une croyance transdisciplinaire. Troisième ambiguïté, sans doute la plus grave : le consensus englobe tous les articles qui s’abstiennent de rejeter la thèse du réchauffement anthropique. Il s’agit donc moins d’identifier un consensus que de valider l’adage « qui ne dit mot consent ». L21 inclut donc, dans le consensus, 1 869 articles – 68,7% de l’échantillon – pourtant cotés « sans opinion ». En somme, si tu ne votes pas contre moi, tu votes pour moi. Bien des hiérarques trop chichement élus gagneraient à s’inspirer de cette façon pour le moins baroque de compter les suffrages.

Des confusions sciemment entretenues

Revenons sur le deuxième et le troisième problèmes.

  • La confusion entre « consensus scientifique » et « consensus dans la littérature scientifique » conduit L21 à intégrer au consensus des disciplines et/ou des sujets d’investigation qui non seulement ne disent rien des causes du changement climatique mais n’ont même rien à en dire (à cet égard, le taux élevé d’articles « sans opinion » ne saurait surprendre) : les travaux consacrés aux impacts s’intéressent aux conséquences du réchauffement, pas à ses causes et ceux relatifs à l’atténuation traitent des politiques censées le juguler (on attend avec impatience l’étude qui démontrera la contribution majeure de l’abattage programmé du bétail irlandais à cette grande cause planétaire)[1]. La mystification vient donc, ici, de ce que L21 met sur le même plan des travaux qui produisent des connaissances (ceux – ou plutôt certains de ceux – relatifs aux « méthodes d’investigation ») et des travaux qui entérinent le réchauffement à titre de postulat, donc de conviction (ceux sur les impacts et l’atténuation, a minima). Ces derniers sont représentatifs d’un « consensus dans la littérature scientifique » mais pas d’un « consensus scientifique ». Ils n’auraient donc pas dû être intégrés à l’étude.
  • Le taux élevé d’articles cotés « sans opinion » est évidemment embarrassant pour les auteurs de l’article (il est en soi révélateur d’un design déficient de leur recherche). Ceux-ci évacuent donc le problème sur la foi d’une escroquerie intellectuelle de premier ordre : le réchauffement anthropique étant un fait scientifique – donc une évidence – les articles agnostiques (ceux qui n’en disent rien) l’entérinent implicitement ; après tout, il ne fait aucun doute que les géologues adhèrent à la théorie de la tectonique des plaques, sans pour autant y faire référence à tout bout de champ (c’est leur justification). Très bien mais alors, en admettant que les scientifiques reconnaissent généralement à une évidence scientifique son statut d’évidence scientifique, à quoi sert de mesurer un consensus sur l’évidence scientifique en question ? À identifier ceux parmi ces scientifiques qu’il faudrait qualifier de fous ?

Au vrai, j’ai peu de doutes quant au fait qu’une majorité de climatologues – voire de physiciens et autres scientifiques de la Terre fondés à exprimer un avis sur le sujet – entérinent que les émissions humaines de gaz à effet de serre jouent un rôle important voire majeur dans le réchauffement climatique actuel. Un accord de cette sorte définit ce que l’épistémologue Thomas Kuhn appelle « paradigme » ou « science normale[2] ». Pour résumer sa pensée, la science est comparable à un marché peuplé de grandes et de petites entreprises. À tout moment, elle est dominée par une idée qui fait office de monopole ou du moins, d’entreprise dominante. Puis naît une innovation portée par une « start-up », qui finit par concurrencer voire déloger le monopole antérieur ; ce parcours est d’ailleurs celui de la thèse du réchauffement anthropique, dont l’idée naît au début du vingtième siècle à l’instigation d’un savant suédois original, Svante A. Arrhenius (qui voyait ce réchauffement tel un bienfait). L’idée fut cependant rejetée par la communauté scientifique de son époque avant de monter en puissance au cours du vingtième siècle pour devenir le paradigme que l’on sait aujourd’hui.

Un consensus de 99,9%, ca n’existe pas

Il n’en demeure pas moins que les articles désireux de quantifier le consensus – donc de mesurer l’audience du paradigme – échouent à le mettre au jour, tout simplement parce que leur protocole est déficient et l’interprétation qu’ils en font, parfaitement grotesque. En effet, comment L21 arrive-t-il à un consensus de 99,9% ? En intégrant 68% de d’articles agnostiques en matière de  consensus. Pourquoi L21 intègre-t-il 68% de ces articles ? Eh bien parce qu’il y a consensus. CQFD : le réchauffement anthropique est vrai parce que tout le monde est d’accord et tout le monde est d’accord parce que le réchauffement anthropique est vrai.

Pour tout dire, je m’étonne qu’un raisonnement circulaire aussi grossier ait passé avec succès le test de l’évaluation scientifique. Mais c’est peut-être le tribut payé par la science à la postmodernité : on continue de poser une hypothèse (jusqu’ici, tout va bien), on lui applique une expérience qui ne marche pas mais on la valide quand même parce qu’on en a envie. Au passage, la partialité de cette démarche montre en elle-même que tout rapprochement entre une notion scientifique hautement politisée – le réchauffement anthropique – et une autre qui ne l’est pas – la tectonique des plaques – est comparaison plutôt que raison.

Regardons de plus près les catégories entre lesquelles L21 répartit les articles de son échantillon : lesquelles sont susceptibles d’étayer le consensus ? Il faut d’abord limiter l’examen aux articles qui traitent de méthodes d’investigation, c’est-à-dire les seuls susceptibles de mettre en question la réalité et les causes du réchauffement[3]. Ensuite, il faut envisager les deux extrêmes de la classification des auteurs, à savoir « validation explicite avec quantification » et « rejet explicite avec quantification », car ce sont a priori les seuls travaux produisant une connaissance originale sur la question posée. L21 recense neuf articles validant la thèse du réchauffement anthropique et un la rejetant. Il y a certes là un indice du consensus (à 90%). Mais un échantillon de 10 articles au lieu des 3 000 initialement étudiés, c’est un peu mince pour prétendre délivrer une preuve quelconque.

Si l’on veut mesurer le consensus, il faut donc s’y prendre autrement. Cela n’a cependant pas grand intérêt (le rapport du GIEC suffit à l’attester). Ce qui serait non seulement intéressant mais indispensable, serait d’identifier l’existence et les arguments d’une controverse donc d’une (ou plusieurs) hétérodoxie(s) scientifique(s)[4]. Car si l’hétérodoxie est pleine de fausses pistes, c’est aussi d’elle que naissent les futurs paradigmes, de la même manière que ce sont les startups – voire les entrepreneurs bricolant dans leur cave – qui font les grandes innovations, donc les grandes entreprises de demain.


[1] Ce n’est pas une plaisanterie (ou alors, une mauvaise) : https://www.lepoint.fr/societe/contre-le-rechauffement-climatique-l-irlande-veut-abattre-200-000-vaches-en-3-ans-04-07-2023-2527248_23.php.

[2] Thomas S. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Flammarion, 1972.

[3] Ce n’est même pas aussi simple… Je me suis « amusé » à lire un ou deux papiers classés en « méthodes d’investigation ». Je suis rapidement tombé sur un article traitant en réalité d’atténuation (il évalue l’efficacité des méthodes de séquestration du carbone, pas le réchauffement climatique).

[4] Rendons à L21 ce qui lui appartient : les auteurs évoquent cette controverse en conclusion de leur article.

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