Que pourrait faire d’irresponsable un président américain qui constate que les marchés financiers perdent confiance en lui, rejettent sa politique commerciale protectionniste, alors que les mesures de rétorsion commencent à plomber la conjoncture et relancent l’inflation ? Attaquer l’indépendance de la Banque centrale bien-sûr !
Donald Trump se comporte, une fois de plus, comme une caricature de son personnage. Alors qu’il est urgent de redonner confiance aux marchés, notamment pour faire baisser les taux d’intérêts à long terme, et prévenir une crise monétaire qui menace, voilà qu’il s’en prend au patron de la Réserve fédérale.
A fond contre l’homme fort de la Fed
Contre tout argument rationnel, il multiplie les critiques contre Jerome Powell, président du Conseil des gouverneurs de la Fed. Il le surnomme « Trop tard » (Too Late) et l’accuse d’incompétence pour ne pas copier la Banque centrale européenne qui, elle, poursuit ses baisses de taux directeur. Il prétend que l’inflation recule aux États-Unis et que les hausses massives de droits de douane qu’il a mis en œuvre « enrichissent les États-Unis ». Or c’est plutôt le contraire : ces surtaxes appauvrissent les importateurs américains, qu’il s’agisse d’entreprises ou de consommateurs. Quant au recul de l’inflation, il reste relatif : la hausse des prix est encore actuellement supérieure à l’objectif de 2% de la Fed, et tout porte à croire que les hausses du coût des produits importés aujourd’hui seront demain en partie répercutées par les entreprises sur les prix payés par les consommateurs.
Jerome Powell n’est certes pas parfait, loin de là ! Il s’est lourdement trompé sur le caractère transitoire des hausses de prix au sortir de la crise du Covid. Il a une part de responsabilité, avec le Congrès et l’administration Biden, dans le laxisme fiscal et monétaire qui a fait bondir l’inflation aux États-Unis en 2022 à plus de 9%. Pour autant, la correction de ses erreurs depuis, est louable.
Face à une nouvelle administration Trump qui promet de réduire à nouveau les impôts, et n’offre aucune solution sérieuse au problème central du déficit budgétaire américain, à savoir un régime général de retraites et d’assurance maladie qui échappe à tout contrôle, la Fed fait ce qu’elle peut pour rétablir la stabilité des prix et préserver un chômage encore très bas. Aujourd’hui Jerome Powell a de bonnes raisons de maintenir en place le niveau des “fed funds”, instrument par lequel la Fed dicte le niveau des taux d’intérêt à court terme. La menace inflationniste nouvelle est réelle, le niveau de l’emploi reste historiquement élevé, la consommation semble faiblir mais n’a pas encore plongé : les conditions nécessaires à un nouveau relâchement monétaire ne sont pas encore réunies.
Pourquoi Donald Trump s’acharne-t-il contre la Fed ?
Comment comprendre l’assaut de Donald Trump sur la Fed ? La première explication est de nature constitutionnelle. Le président est convaincu que la loi qui limite à des malversations les raisons pour lesquelles il pourrait renvoyer Jerome Powell, est anticonstitutionnelle.
Il a déjà renvoyé de hauts fonctionnaires dirigeants d’agences fédérales théoriquement indépendantes du pouvoir exécutif, comme à la Federal Trade Commission et au National Labor Relations Board. La constitutionnalité de ces sanctions est maintenant contestée en justice. In fine, la Cour suprême devra probablement trancher. Une chose est certaine : l’esprit de la loi, la pratique de la loi et la volonté du Congrès ont toujours été depuis Jimmy Carter, de préserver l’indépendance de la politique monétaire vis-à -vis de la Maison blanche. Ce modèle a facilité la maîtrise de l’inflation, en permettant des hausses impopulaires de taux pour éviter la surchauffe inflationniste en périodes électorales. Le modèle a d’ailleurs été copié dans le monde entier. Revenir dessus aujourd’hui, alors que précisément la confiance dans l’administration Trump s’étiole, est suicidaire.
Donald Trump cherche un bouc émissaire
Il l’a trouvé en la personne de Jerome Powell dont le mandat de patron de la Fed expire dans un an. Si l’Amérique plonge en récession, ce qui est tenu pour vraisemblable par un nombre croissant d’économistes, il pourra accuser la Fed de Jerome Powell d’avoir tardé à baisser ses taux.
En fait, la récession serait plutôt due à la peur d’investir des entreprises, et la perte de pouvoir d’achat des consommateurs. Les deux sont provoquées par les barrières douanières énormes imposées par Donald Trump. On peut ajouter à ces éléments déclencheurs de récession, la défiance des investisseurs étrangers à l’égard du modèle américain qui brusquement n’est plus stable, car l’hôte de la Maison blanche n’écoute personne, ignore les garde-fous et laisse courir l’endettement public.
Une attitude trois fois absurde
La campagne de Donald Trump, notamment sur les réseaux sociaux, pour affaiblir et décrédibiliser Jerome Powell, est triplement dangereuse. D’abord elle ne peut pas forcer la main de la Fed pour faire baisser les taux. Au contraire, elle est contreproductive, car pour afficher son indépendance, le comité monétaire de la Banque centrale, présidé par Jerome Powell, est maintenant incité à n’assouplir sa politique qu’en dernier recours. Ensuite, même dans l’hypothèse folle où Donald Trump limogerait le patron de la Fed, le comité monétaire pourrait immédiatement le réélire: n’oublions pas qu’il détient un double mandat ! Il est à la fois, et pour une durée de quatre ans qui expire l’an prochain, Président du Conseil des gouverneurs, et gouverneur pour un mandat de quatorze ans. Le temps que les tribunaux, dans le contexte d’une crise monétaire et financière mondiale, décident du droit d’un président américain à renvoyer le patron de la Fed, cette dernière resterait sous le contrôle de Jerome Powell.
Dernière absurdité : quelle est la personne crédible qui voudrait succéder à Jerome Powell dans ces conditions aussi politiquement tendues ? Kevin Warsh, pressenti depuis longtemps comme candidat favori de la Maison-Blanche, ne souhaite pas lui-même accéder à ce poste dans de telles circonstances. D’emblée toutes ces initiatives seraient soupçonnées de lui être dictées par la Maison-Blanche. Ce sont certainement ces arguments qui, expliqués à Donald Trump par Scott Bessent, le Secrétaire au Trésor convaincu de l’importance d’une Fed indépendante, dissuadent pour le moment le Président américain de faire une énorme erreur. Mieux vaut une Fed indépendante du politique qu’une Fed soumise à l’exécutif. Mais une banque centrale est-elle pour autant la panacée ?
2 commentaires
Ah zut alors, j’ai dû rêver ces dernières décennies quand des présidents ou autres responsables politiques critiquaient la politique de la FED, comme en Europe, la BCE a aussi fait l’objet de critiques ça et là. C’est le jeu bien compris de la démocratie, non ?
Critiquer c’est une chose, nous l’avons fait souvent aussi..Menacer de destitution c’en est une autre..