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Récession : l’urgence méconnue

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Récession

Je n’ai pas suivi l’intégralité de l’intervention de François Bayrou lundi soir sur LCI, mais dès les premières minutes de discussion, avant même son arrivée sur le plateau, un détail m’a frappé : le changement de ton des intervenants face à la situation économique française.

Jusqu’ici, les inquiétudes des commentateurs portaient principalement sur l’état désastreux des finances publiques et la trajectoire insoutenable de la dette. Certes, ces sujets suscitent une alerte, mais elle restait perçue comme une menace “à venir”, presque abstraite, avec des échéances floues et lointaines.

Cette fois-ci, pour la première fois depuis longtemps, l’inquiétude s’est élargie à la situation économique générale, jugée de plus en plus problématique. La publication des dernières données sur l’emploi a visiblement refroidi les esprits. Pourtant, le débat est resté enfermé dans une lecture purement nationale, comme si l’économie française évoluait en vase clos, influencée uniquement par les tumultes de notre crise politique interne.

Aucune mention, aucune mise en perspective avec la crise économique mondiale en cours : une dégradation synchronisée des grandes économies nationales, une crise des monnaies, et ce que j’appelle le tsunami récessionnaire mondial.

Cette dynamique globale constitue pourtant la véritable urgence, bien plus immédiate que les problèmes structurels de notre dette publique ou les débats sur les retraites. L’économie mondiale a basculé dans une phase de non-croissance, perceptible depuis mi-2022, et se dirige vers une récession généralisée. Même si les statistiques officielles ne valident pas encore ce constat – faute de deux trimestres consécutifs de croissance négative – les signes se multiplient. Une stagnation prolongée finit toujours par produire les mêmes effets qu’une récession. Mais combien de temps faudra-t-il attendre pour que cette réalité soit pleinement reconnue ?

Une récession ne se “gère” pas. Elle suit un processus naturel d’auto-régulation du marché, qui corrige les déséquilibres accumulés et rétablit progressivement les conditions d’un retour à la croissance. Ce n’est pas parce qu’une réalité économique déplaît qu’il faut nécessairement chercher à la contrer par des interventions hasardeuses.

La récession joue un rôle essentiel : elle est une phase de nettoyage où les distorsions accumulées dans l’économie sont éliminées par les ajustements de prix et la réallocation des ressources. Ce processus est indissociable du rebond futur. Encore faut-il veiller à ne pas le freiner par des entraves administratives ou monétaires qui en prolongeraient artificiellement la durée et en aggraveraient les effets.

Pour ne pas rater le train de la reprise, encore faut-il reconnaître la réalité de ce qui est en train de se passer au lieu de s’enfoncer dans le déni. C’est précisément ce que font les élites en place, refusant de voir la réalité d’un processus dont ils méconnaissent la puissance.

Dans ce contexte, croire que les banques centrales pourront inverser la tendance relève de l’illusion. La Réserve fédérale américaine s’accroche à son scénario d’atterrissage en douceur et de lutte contre l’inflation, mais même ses propres rangs commencent à montrer des fissures. En Europe, certaines banques centrales semblent plus lucides, comme en témoignent les récentes mises en garde de la Banque centrale suisse ou les hésitations de la BCE.

Une chose est néanmoins certaine : aucune baisse des taux d’intérêt ne suffira à enrayer ce processus. Contrairement au discours dominant, les baisses de taux ne sont pas des outils miraculeux pour stimuler l’économie. Elles ne font qu’acter l’état de faiblesse des marchés et signaler que l’économie mondiale fonctionne de plus en plus mal.

Ces baisses traduisent en réalité des symptômes : des défaillances structurelles et des entraves qui se multiplient dans les mécanismes de circulation des liquidités mondiales, au cœur des systèmes bancaires et para-bancaires. Mais elles ne constituent pas des solutions.

Les taux ne remonteront durablement que lorsque ces défaillances commenceront à s’atténuer, permettant un redémarrage spontané de la dynamique économique. Reste cependant le problème de savoir quelles en seront l’ampleur et la durée.

Depuis la crise de 2008, le monde a connu cinq cycles de “reflation” avortée. Après chaque ralentissement, la croissance mondiale s’est révélée incapable de retrouver son rythme d’avant-crise. Résultat : un déficit cumulatif gigantesque par rapport aux tendances de long terme. Ce décalage alimente aujourd’hui frustrations sociales et tensions politiques.

Le problème ne réside pas dans un simple manque de coordination ou une mauvaise gestion locale, mais dans la structure même du système monétaire et bancaire global tel qu’il a évolué avec la mondialisation.

Nous vivons désormais sous un régime de Global Money, un système dominé par l’économie du collatéral et l’usage de mécanismes de financement apatrides – à l’image du marché de l’eurodollar. Il s’agit de flux financiers échappant à la surveillance de toute autorité monétaire nationale et fonctionnant dans un espace virtuel hors de portée des banques centrales.

Ce système génère inévitablement des déséquilibres et des fluctuations importantes. Mais l’erreur fondamentale des gouvernements et des banques centrales est de croire qu’ils peuvent intervenir pour en limiter l’ampleur sans en comprendre les ressorts.

L’histoire économique récente montre que plus ils cherchent à contrôler ces déséquilibres, plus ils en aggravent la portée. Ce paradoxe s’explique par la nature même du marché : les mécanismes de prix véhiculent un savoir que personne ne détient individuellement, et surtout pas les décideurs politiques ou monétaires. Comme l’a démontré Friedrich Hayek, les marchés synthétisent une connaissance décentralisée qui échappe à toute tentative de planification. Ceux qui prétendent réguler ces dynamiques ignorent qu’ils s’attaquent à un système infiniment plus complexe qu’eux.

En fin de compte, la véritable révolution à accomplir est conceptuelle. Il faudra rompre avec les dogmes hérités de l’époque de Bretton Woods et reconsidérer la monnaie à l’aune des réalités d’une économie mondialisée et décentralisée.

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