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Que devons-nous attendre de Rishi Sunak ?

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Le soulagement a été universel dans les médias britanniques et internationaux à l’annonce de la démission de la Première ministre Liz Truss et de l’arrivée de Rishi Sunak, celui-là même qu’elle avait battu quelques semaines plus tôt dans la « primaire » organisée pour désigner le successeur de Boris Johnson. La nomination de M. Sunak a rassuré les investisseurs et les marchés car elle signifiait l’abandon de la politique de Truss qui avait annoncé des réductions d’impôts « non financées » afin de relancer l’économie – suivant en cela les analyses d’Arthur Laffer. Il faut dire que la situation était problématique : la livre sterling avait chuté sur les marchés des changes et les fonds de pension britanniques annoncaient des faillites imminentes en raison de leurs vastes avoirs en obligations d’État à long terme, et en actions dont les prix avaient baissé plus rapidement encore après que Mme Truss eut présenté son budget.

Dans ce contexte chaotique, le Premier ministre Rishi Sunak a donc été accueilli avec bienveillance, apparaissant comme quelqu’un capable de redresser la barre. Dans la foulée, le nouveau chancelier[1], M. Hunt, a pris la parole à la mi-novembre pour déclarer qu’il avait la tâche difficile d’ « équilibrer les comptes » et que « tout le monde allait payer plus d’impôts ». Les commentateurs s’attendent à 50 milliards de livres sterling de restrictions budgétaires : une combinaison de réductions des dépenses et de hausses d’impôts. En somme, une politique d’austérité.

Mais le pays est-il vraiment entre de bonnes mains avec le Premier ministre Sunak ? On peut en douter. Le gouvernement Johnson est arrivé au pouvoir fin 2019 et à la mi-février 2020, M. Sunak était devenu chancelier. Les problèmes de la dette, des banques et des fonds de pension du Royaume-Uni se sont fortement aggravés au début de l’année 2020, précisément au moment où M. Sunak prenait ses fonctions qui le mettaient en position de traiter ces problèmes. Examinons plus attentivement son bilan.

Le bilan du chancelier Sunak

Le ratio dette publique/PIB du Royaume-Uni a bondi de 83 % en mars 2020 à 95 % aujourd’hui – soit 2 400 milliards de livres sterling. C’est pire que l’Allemagne (70%) et pas loin derrière la France (113%). Il semble probable que le Royaume-Uni empruntera 200 milliards de livres supplémentaires au cours de chacune des trois prochaines années, de sorte qu’avec la stagnation de la croissance économique, le ratio britannique pourrait devenir nettement pire que celui de la France.

Personne, certes, ne peut blâmer Rishi Sunak pour la Covid, mais rappelons quand même –on l’a d’ailleurs souvent entendu s’exprimer sur le sujet– qu’il a été un partisan puissant et influent du confinement ainsi que des programmes de soutien qui ont été largement critiqués pour leur coût, leur poids sur la dette publique et pour le fait qu’ils ont magnifiquement profité aux fraudeurs. Si cela ne suffisait pas à susciter l’inquiétude, la brève chronologie de ces programmes montre un esprit quelque peu léger et versatile, dont une gestion rigoureuse des fonds publics n’était pas la préoccupation première.

Dès que l’économie a été « confinée », le chancelier Sunak a annoncé une aide gouvernementale sous la forme de prêts pour interruption d’activité due au coronavirus. Ce fût un échec total car, pour bénéficier de ces aides, les propriétaires d’entreprises devaient fournir des garanties personnelles et mettre leur maison en gage, ce que très peu ont accepté de faire.

Quelques jours plus tard, un nouveau programme a été annoncé : « Bounce Back Loans ». Les banques ont reçu l’ordre de prêter à toute entreprise britannique qui en faisait la demande, et il leur a été explicitement interdit de procéder à des vérifications préalables, notamment des contrôles de solvabilité. Les banques ont ainsi avancé 47 milliards de livres sterling en comptant sur l’indemnisation du contribuable pour toute perte résultant d’une défaillance de crédit ou d’une fraude. Comme on pouvait s’y attendre, des arnaqueurs se sont empressés de créer de nouvelles sociétés sans activité, de contracter des prêts, de ne pas rembourser et de disparaître. PWC (un réseau spécialisé dans des missions d’audit) estime les pertes dues à la fraude à 4,8 milliards de livres sterling.

Le chancelier Sunak a ensuite lancé un autre programme de soutien, plutôt inutile, pour les restaurants, intitulé « Eat Out to Help Out », qui a coûté 0,85 milliard £. Deux autres indicateurs de la détérioration de la stabilité financière sous sa supervision sont les manœuvres peu subtiles du Trésor et de la Banque centrale visant à supprimer l’argent liquide et la crise des fonds de pension.

Des mesures pour abolir l’argent liquide : le « Britcoin ».

Pour de nombreux commentateurs, son échec face à Liz Truss quand vint le temps des primaires, vient sans doute de ce que M. Sunak a effrayé les électeurs conservateurs—souvent des seniors—en faisant état de son enthousiasme pour la transformation numérique des paiements et de la banque. Avec son approbation, le Trésor et la Banque d’Angleterre se sont mis à travailler activement au remplacement de la monnaie papier par une nouvelle monnaie de style cryptographique qui sera appelée de manière très tendance « Britcoin ».

Une décision qui ne manquera pas de soulever toutes sortes de problèmes pour le Premier ministre. Tout d’abord, il est probable qu’il y aura un énorme retour de bâton quand le sujet sortira des sphères plus ou moins spécialisées. La presse populaire est déjà aux aguets et se prépare à tirer à boulets rouges sur le concept. Ensuite, les monnaies numériques des Banques centrales diffèrent sur bien des points des crypto-monnaies, en particulier sur le fait que de nombreuses crypto-monnaies fonctionnent sur des blockchains et sont, au moins en théorie, décentralisées alors que, clairement,  cette livre numérique qu’envisage M. Sunak serait étroitement contrôlée par la Banque d’Angleterre, administrée et centralisée. Enfin, l’effondrement en novembre du quatrième plus grand marché de crypto-monnaies FTX ne peut que susciter la méfiance du publicà l’égard de ces monnaies.

La crise des fonds de pension

L’une des conséquences involontaires d’une décennie de taux d’intérêt quasi nuls est que de nombreux fonds de pension sont aujourd’hui déficitaires, les actifs qu’ils détiennent valant moins que la valeur actualisée de leurs obligations.

On a cru pouvoir résoudre ce problème en vendant des actifs et en utilisant le produit des ventes pour faire des paris à effet de levier sur les marchés financiers. Ces produits dérivés nommés en anglais LDI (Liability Drivenn Investment) ont été activement encouragés par le Fonds de protection des retraites (PPF), une institution gouvernementale qui agit comme le régulateur du secteur. Par exemple, si un fonds de pension avait en 2018 un passif de 100 et un actif de 80, le PPF menaçait de démettre les administrateurs de ce fonds de pension de leurs fonctions s’ils n’achetaient pas les produits dérivés proposés par les banques d’investissement de la City et de Wall Street. L’opération consiste pour le fonds de pension à vendre physiquement 20 de leurs actifs qui sont alors utilisés comme garantie dérivée pour la banque et à placer l’argent de cette vente dans des produits à forte rentabilité tant que le prix des bons du trésor britanniques (les gilts) ou d’un indice d’actions augmentent. C’est exactement comme cela que le fonds spéculatif Archegos a fait faillite l’année dernière.

Malheureusement pour cette stratégie, la Banque d’Angleterre a augmenté les taux d’intérêt à plusieurs reprises au cours de l’année écoulée avec pour conséquence que le prix des bons du Trésor à long terme (qui soutiennent généralement les LDI et dont les rendements sont passés de 2 % à 4,5 %) a été divisé par deux. Le 26 septembre, les marchés financiers ont réagi logiquement au budget de M. Kwarteng, chancelier du gouvernement Truss, dans lequel il était question de mettre fin au soutien illimité apporté aux banques. Dans l’impossibilité de trouver les liquidités dont ils avaient urgemment besoin, les fonds de pension avertirent alors la Banque d’Angleterre que si elle ne volait pas à leur secours ils étaient en faillite. La Banque d’Angleterre a rapidement imprimé de la monnaie et acheté sur les marchés 65 milliards de livres sterling de bons du Trésor, déclarant qu’il ne s’agissait surtout pas d’un nouvel assouplissement quantitatif.

Le Premier ministre Sunak n’a que 42 ans. Il a travaillé chez Goldman Sachs où, autant que l’on sache, il ne s’y est pas distinguer par des initiatives particulièrement innovantes. Dans la fonction publique, ses antécédents montrent qu’il n’a qu’une compréhension très superficielle – et encore, nous sommes indulgents – des problèmes désormais profondément ancrés dans le système bancaire et de retraite britannique. Jusqu’à présent, sa stratégie a consisté à faire l’éloge de la Banque d’Angleterre et de l’institution en charge des prévisions économiques, l’Office of Budget Responsibility (OBR). L’OBR a constamment sous-estimé l’inflation, exagéré les prévisions de croissance du PIB et peine à mesurer la gravité du problème de la dette publique.

Sans doute le Premier ministre Sunak est-il convaincu que la meilleure façon de ne pas revivre les banqueroutes de 2007-2008 est de faire pression dès 2023 pour l’adoption du Britcoin et la suppression de l’argent liquide.  Cela mettrait les autorités en capacité de limiter les retraits bancaires.

Lire l’article sur le site anglais

[1] Ministre des Finances britannique.

 

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2 commentaires

Astérix 16 décembre 2022 - 10:30

Je reprends un paragraphe dans votre article: « Les banques ont reçu l’ordre de prêter à toute entreprise britannique qui en faisait la demande, et il leur a été explicitement interdit de procéder à des vérifications préalables, notamment des contrôles de solvabilité. Les banques ont ainsi avancé 47 milliards de livres sterling en comptant sur l’indemnisation du contribuable pour toute perte résultant d’une défaillance de crédit ou d’une fraude. Comme on pouvait s’y attendre, des arnaqueurs se sont empressés de créer de nouvelles sociétés sans activité, de contracter des prêts, de ne pas rembourser et de disparaître. PWC (un réseau spécialisé dans des missions d’audit) estime les pertes dues à la fraude à 4,8 milliards de livres sterling. »
Il est simplement hallucinant de donner pareilles instructions à des banques qui sont, par définition, chargées d’analyser un risque avant de prêter !
Dès lors, je n’ai aucune confiance en ce Premier ministre Rishi Sunak qui va démolir l’Angleterre !

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Picot 16 décembre 2022 - 12:09

C’est un banquier et un mondialiste. Les citoyens Britanniques ne l’intéressent pas. Ils ne sont certainement pas d’accord, comme les Français, pour la suppression de l’argent liquide qui signifie mois de liberté et plus de surveillance.

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