La bouche de la vérité ( « bocca della verita »), aussi appelée « bocca del leone » (bouche de lion), compte parmi les curiosités du palais des Doges de Venise. Il s’agit d’une boîte aux lettres destinée, du temps de la République de Venise, à recevoir les dénonciations. Associés à tort à des délations anonymes, ces mémoires devaient être signés et circonstanciés. Ils faisaient ensuite l’objet d’enquêtes, notamment pour des actes constitutifs de mauvais usage des deniers publics, de concussion, etc. réprimés avec sévérité.
Le premier Président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a-t-il trouvé à Venise son inspiration pour engager la Cour des comptes, il y a un an, à collecter sur son site internet des signalements pour des politiques publiques justifiant d’être portées à l’attention des magistrats de la rue Cambon ? Dans la novlangue de l’administration, il s’agissait « de s’ouvrir davantage à la société et d’être plus en prise avec l’actualité ».
Les sycophantes en quête de rémunération pour leur signalement n’y ont pas leur place. Contrairement aux aviseurs – joli mot pour désigner les délateurs – fiscaux et douaniers, les citoyens ne sont rétribués qu’au travers de la promesse de moindres impôts. Du moins peuvent-ils l’espérer.
L’objectif était louable sinon nécessaire. On pourrait même déplorer que la Cour des Comptes ait autant tardé à mettre en place un tel dispositif permettant de signaler « des irrégularités et des dysfonctionnements constatés dans la gestion ». Au besoin, la Cour des Comptes gagnerait à lire les bulletins de l’IREF…
Dans son rapport d’activité pour 2022, la Cour des Comptes se réjouit d’avoir ainsi collecté 451 signalements pour les 4 premiers mois d’activité.
Pourtant ce chiffre est dénué de signification si les magistrats ne rendent pas compte des suites données aux signalements reçus. Le site internet est muet sur ce chapitre. Combien de procédures engagées ? Pour quelles politiques publiques ? Quelles sanctions ? La Cour des Comptes excelle en production de rapports. Elle critique par essence mais sanctionne bien peu et tout aussi timidement si l’on se réfère aux jugements de sa Cour de discipline budgétaire et financière, au nombre famélique et aux sanctions dérisoires. Signe des temps, ladite Cour de discipline budgétaire et financière vient d’être supprimée.
L’administration pratique le « name and shame » (retards de paiement, parité, discriminations diverses) pour la sphère privée mais elle s’abstient de commentaires ad hominem pour les défaillances de ses agents, y compris les manquements à la probité. Quant aux approches comparatives conduisant à comparer la performance des services publics pour l’usager contribuable (en qualité, en coûts, en délais), l’administration s’y refuse et bloque les palmarès comme celui du journal Le Point concernant les hôpitaux. On attend, sans doute vainement, que la Cour des Comptes s’engage dans des approches comparatives, entre les services publics, entre les approches françaises et les meilleures pratiques internationales.
Souhaitons à l’occasion du premier anniversaire de cette procédure, le 6 septembre prochain, un bilan complet et intransigeant. La Cour des Comptes le doit aux Français ne serait-ce qu’au titre de l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen qui, rappelons-le, reconnaît à « La Société le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ». Demandons à la Cour des comptes de donner de la substance à une disposition qui a valeur constitutionnelle. Les contributeurs à la plate-forme de signalement seront, dans le cas contraire, vite découragés.
A moins bien sûr qu’il ne s’agissait dans l’esprit de l’ancien ministre des Finances de François Hollande, que d’un coup de communication …
6 commentaires
Il y a belle lurette que tous se fichent complètement des agitations des sages de la rue de Cambon et de leurs rapports ce qui explique notre brillante situation financière. La Cour des Comptes serait dissoute en catimini que nul ne s’en apercevrait.. Nos hauts fonctionnaires de tous poils qui se gavent exagérément d’argent public et en toute illégalité selon un rapport de cette cour ne sont pas inquiets.
En commençant votre article par sa dernière phrase vous auriez gagné beaucoup de temps !
Encourageons cette Cour qui a si souvent raison et si peu suivie, en même temps.
Les versements indus aux membres du Conseil Constitutionnel ont-ils été signalés par une telle procédure de dénonciation ? Mais serait-ce suivi d ‘effet ???
Avant 1789, nous étions des « sujets de sa Majesté », nous sommes passés par le stade « ci-devant » puis devenus des « citoyens-contribuables », nous sommes maintenant des » assujettis » c’est le progrès….
Ainsi la Cour des Comptes serait en mesure de demander des comptes à tout organisme public, fort bien mais faudrait il qu’il ne s’agisse pas là un coup de com’. Je ne crois pas me souvenir d’une quelconque pénalité à charge des fauteurs d’anomalies signalées dans le rapport annuel de ces magistrats.
Il me semble que la Cour devrait se saisir des dépassements de rémunération des membres du Conseil Constitutionnel qui perdurent et dont semble t il aucune juridiction n’a daigné s’attaquer…