Alors que Donald Trump confond le gouvernement des Etats-Unis avec celui d’une entreprise, et ses alliés avec des vassaux, les pays qui se sont abandonnés aux Américains pour leurs fournitures d’armement militaire s’inquiètent légitimement. En témoigne l’Australie où s’élèvent des voix qui regrettent de ne pas avoir commandé ses sous-marins à la France.
La tentation impériale
Se considérant maîtres du jeu, les Américains succombent à la tentation impériale que procure la puissance et n’hésitent plus à abuser de leur relation hégémonique avec leurs clients de matériels militaires.
Depuis l’invasion de la Crimée par la Russie en 2014, nombre de pays antérieurement soumis à l’Union soviétique ont signé des accords, dits FMS, d’équipement militaire et de défense avec les Etats-Unis. Mais ceux-ci se réservent d’entraver le bon fonctionnement de ces matériels en cas de désaccord et de contraindre leurs clients à poursuivre leurs acquisitions de matériels militaires exclusivement aux Etats-Unis et aux conditions imposées par eux. Ils invoquent les nécessités de conserver de parfaites interopérabilité et interchangeabilité ainsi que la standardisation du matériel. Les Etats clients seraient ainsi prisonniers ad vitam aeternam de leurs fournisseurs américains sans, désormais, être certains que les Etats-Unis viendraient à leur secours en cas de nécessité.
Les dangers d’un marché unique
L’attitude de Trump à l’égard de l’Ukraine et des Européens oblige ceux-ci à s’interroger sur leur alliance avec un faux ami américain. Mais ils ne peuvent pas non plus se priver d’une défense commune possible comme celle que nous offre aujourd’hui l’OTAN, régie par des règles selon lesquelles une déclaration de guerre à l’un des pays membres vaut à l’égard de tous les autres, ce qui nous a valu soixante-quinze ans de paix.
Dans l’éternel désir de grossir qui la hante, l’Europe se dit prête à fédérer les initiatives et a annoncé un plan à 800 md€ à cet effet. Il serait cependant aussi vain que dangereux, et sans doute impossible, de vouloir créer une Europe intégrée de la défense au risque de l’affaissement, sinon de la disparition, des nations qui en sont membres. Il ne paraît pas plus concevable pour la France de partager son arme atomique avec une quelconque autorité européenne sauf à perdre sa souveraineté dans ce domaine qui reste éminemment régalien. Dans une chronique récente (Les Echos du 11/03) le général Christophe Gomart (député européen, ancien chef du renseignement militaire français), a souligné que le marché unique de la défense serait une illusion dangereuse « qui, sous couvert d’intégration européenne, sacrifierait la souveraineté des Etats ».
L’Union européenne apparaît d’ailleurs encore bien faible et compte des pays neutres, hors de l’OTAN, comme l’Autriche et l’Irlande. Elle a 450 millions d’habitants en 2024 et un PIB annuel proche de 17 000 Md€ tandis que les Etats-Unis ont un PIB de plus de 29 000 Md$ avec 340 millions d’habitants et affectent 3,4% de leur Pib aux dépenses militaires contre 1,9% pour les pays européens de l’OTAN.
Les membres actuels de l’OTAN pourraient alors convenir d’organiser une branche non américaine de l’OTAN ou de lui substituer une organisation semblable, sans les Etats-Unis ni sans doute la Turquie qui est un maillon trop faible et trop attiré par l’Islam, la Russie, voire la Chine pour être fiable. Avec le Canada (40 millions d’habitants et 1980 Md€ de PIB) et le Royaume-Uni (67 millions d’habitants et 3.127Md€ de PIB), cette nouvelle organisation se rapprocherait de la puissance américaine si ses membres s’engageaient à consacrer 3,5% de leur PIB à la défense comme la France l’envisage d’ores et déjà .
La richesse de la diversité
Comme l’OTAN, et constituée sur le même principe d’engagement solidaire et réciproque, sans se substituer aux Etats cette nouvelle organisation, une OTAN Bis, coordonnerait leurs efforts pour disposer de forces armées plus importantes, dotées de matériels interopérables, voire interchangeables dans le cadre de dispositifs logistiques et modèles d’emplois compatibles. Car il est bien entendu indispensable que  ces conditions soient réunies.
En effet, comme le note L’OTAN, « Pour parvenir à l’interopérabilité, il n’est pas indispensable d’avoir les mêmes équipements militaires. L’essentiel est que les équipements puissent partager des services communs et qu’ils soient en mesure d’interagir, de communiquer et d’échanger des données et des services avec les autres dispositifs auxquels ils sont connectés. » L’interchangeabilité qui représente « un niveau de collaboration organisationnelle bien plus élevé et tendant vers plus d’uniformité » n’exclut pas que les équipements soient de provenances différentes pour autant qu’ils y soient adaptés.
Les membres de l’OTAN Bis privilégieraient les achats, selon les normes édictées par elle, auprès d’entreprises différentes des pays membres de façon à éviter des situations de dépendance. Les Américains dominent le marché mais ne sont pas les seuls. Il existe en effet de nombreuses entreprises européennes ou autres (de Corée, d’Israël, peut-être maintenant d’Ukraine…) susceptibles de livrer des matériels performants. Déjà , les pays européens s’organisent de plus en plus pour passer des commandes groupées, aidés en cela par un mécanisme de prise en charge partielle (20%) des acquisitions conjointes. Ils ont engagé de nombreuses initiatives de partenariats, coopérations diverses, clubs d’utilisateurs, accords de recherche ou de production bilatéraux ou multilatéraux… Pour que la capacité d’intervention de l’OTAN Bis soit crédible, il faudra quasiment doubler les budgets en réduisant les dépenses sociales car miser sur l’emprunt serait un leurre éphémère et un aveu d’impuissance.
Certes, il sera sûrement très difficile de couper les liens avec les Américains et ce ne sera possible que progressivement, comme la montée en puissance d’une OTAN Bis. Le Royaume-Uni aura plus de mal à se séparer des Etats-Unis dont il dépend pour lancer ses missiles nucléaires. Mais le seul fait d’envisager cette solution pousserait à la nécessaire clarification de la position américaine, avec l’espoir peut-être que de nouveaux engagements réciproques permettent à l’OTAN de repartir d’un bon pied pour une nouvelle période de 75 ans ou plus. Ou à défaut que revive l’OTAN autrement et qu’elle puisse sans doute demain nouer avec les Etats-Unis des liens plus équitables.