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L’impôt sur les sociétés : une baisse en trompe l’œil

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À la fin du mois de mars dernier, le Sénat avait décidé de mettre un coup de pied dans la fourmilière en déposant plainte contre un dirigeant de Mc Kinsey, suspecté de faux témoignage devant la commission d’enquête de la Haute Assemblée, à propos de l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques. Celui-ci avait, en effet, déclaré que son entreprise payait l’ensemble de son impôt sur les sociétés en France. Or, le cabinet de conseil américain envoie l’entièreté de ses bénéfices dans le Delaware, la filiale française ne gagnant, en théorie, pas d’argent et n’étant, de fait, pas taxée.

L’année dernière, à la surprise générale, les gouvernements américain et britannique avaient annoncé une remontée de leur taux d’IS à respectivement 28 et 25 %, afin notamment de financer les dépenses afférentes à la crise sanitaire. En France, pays où traditionnellement ce type d’impôt est élevé, l’exécutif a inscrit dans la loi de finances 2018 la baisse du taux de l’IS à 25 % pour 2022, afin de faire converger ce dernier vers la moyenne des pays de l’OCDE.

Toutefois, eu égard notamment à son assiette, le taux de l’IS peut être appréhendé de deux manières, nominalement et implicitement. Aussi est-il important d’en dresser le bilan de manière plus fine, en tenant également compte de l’ensemble de la pression fiscale qui s’opère en France et dans les pays développés.

Le taux d’IS en France et dans les pays de l’OCDE

Depuis les années 80, le taux nominal mondial moyen de l’imposition des entreprises s’est réduit, passant de 40,4 alors à 24,2 % en 2019. Dans un contexte de concurrence fiscale accrue, l’assiette de ce type d’impôt demeure, en effet, facilement délocalisable. Autre exemple, le taux nominal d’imposition des bénéfices aux États-Unis était compris entre 48 et 52 % pendant la période allant de 1951 à 1978, pour atteindre 21 % en 2017 (après la réforme de Donald Trump).

Au sein de l’Union européenne, entre 2000 et 2018, les taux nominaux d’imposition sur les sociétés sont également descendus de 35 à 21,9 %. À la fin des années 90, la Bulgarie, l’Irlande, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie et la Slovaquie ont ouvert la voie en diminuant le leur de 5 points, puis, au début des années 2000, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, le Luxembourg et le Portugal leur ont emboîté le pas.

Un seul pays a fait exception : le nôtre. Alors qu’en 1995 la France avait un taux d’IS inférieur de 1,4 points à la moyenne européenne, celui-ci, qui s’établissait à 33 % à l’époque, était de 10 points supérieur à la moyenne des pays de l’Union en 2018. Cet écart du taux nominal tricolore avec celui de ses concurrents s’observe également vis-à-vis des pays de l’OCDE : + 5,2 points en 2000, + 9,2 points en 2014 et + 12 points en 2018.

C’est ce constat qui a amené les décideurs publics français à orchestrer progressivement une baisse du taux de l’IS, pour le faire converger au niveau de la moyenne des pays de l’OCDE, à 25 %, selon un processus détaillé par le tableau suivant et pour un coût total de 11 Mds€ :

Source : PLF 2020

L’étude du taux de taxation implicite des bénéfices, c’est-à-dire le montant de l’impôt payé rapporté à une mesure du résultat de l’activité entreprise et qui tient compte, de fait, de l’assiette utilisée pour son calcul, montrait en 2017 (avant la réforme donc), que notre pays était en tête des pays de l’Union en la matière, avec un taux avoisinant 40 %  (dividendes non compris) devant, par exemple, l’Allemagne et le Royaume-Uni (tous deux à 20%), ainsi que l’illustre le graphique suivant :

L’assiette de l’IS et la faible profitabilité des entreprises françaises

Si le taux de l’IS baissait comme prévu cette année, il faudrait toutefois noter que de nombreux avantages, en terme de calcul de l’assiette, ont été remis en question. Le mécanisme de report des déficits en avant ou en arrière, c’est-à-dire la possibilité pour une société de déduire de ses bénéfices d’une année, les pertes des trois précédentes années, ou de l’année suivante, est plafonné depuis 2014 à 1 M€, majoré de 50 % du bénéfice qui excède cette limite pour le report en avant, et à 1 M€ pour le report en arrière.

La déductibilité des intérêts d’emprunt a également été harmonisée au niveau européen en 2019, après la directive ATAD, et plafonnée à trois millions d’euros et 30 % du bénéfice brut. Si quelques régimes particuliers subsistent, l’attractivité du calcul de l’assiette de l’IS dans notre pays s’est fortement dégradée.

En 2019, celui-ci rapportait 48,2 Mds€ à l’État, contre 52,7 Mds€ en 2007, un an avant son décrochage de 40 % lié à la crise financière de 2008.

Le rendement fiscal de cet impôt est donc assez médiocre eu égard à la faiblesse des profits des firmes françaises comparées à leurs consœurs d’outre-Rhin ou d’outre-Pyrénées (7 et 12 points d’écart), ainsi que le montre le graphique suivant :

En somme, cette question du niveau du taux nominal de taxation des bénéfices des entreprises n’est qu’un élément parmi d’autres de la pression fiscale qui grève les marges des sociétés françaises. Les impôts de production notamment, sont parmi les plus élevés d’Europe, ainsi que les charges sociales qui influent à la hausse sur le coût du travail. Tant que les entreprises françaises conserveront un taux de marge aussi faible, elles ne pourront investir et embaucher davantage, un nœud gordien de la politique fiscale de notre pays qu’il faudra bien trancher tôt ou tard.

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3 commentaires

Almaviva 20 mai 2022 - 7:35

Et ce n’est pas avec la nouvelle mandature que tout cela va s’arranger, bien au contraire !! de nouvelles taxations sont certainement au programme !!

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Jean Guicheteau 21 mai 2022 - 11:06

Le taux payé par certaines entreprises est inférieur compte tenu des niches fiscales. On a parlé un moment de 8%. Par ailleurs, augmenter le taux en fonction du CA est contreproductif, il vaudrait mieux faire l’inverse. Les bénéfices sont faibles parce que les entreprises internationales en rapatrient la majeure partie dans des filiales moins imposées mais le fisc devrait pouvoir REQUALIFIER ces prestations facturées à la France en tenant compte du prix du marché et du volume.
La réforme fiscale que je propose est la suivante : suppression de TOUTES les niches fiscales qui rendent l’imposition opaque et taux de 20% Pourquoi 20% ? Parce que c’est le coût moyen de l’État dans l’OCDE (hors système social contributif).

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Dufournet jean-Paul 23 mai 2022 - 10:58

je note que votre présentation de la situation fiscale de Mac Kinsey en France est un peu simpliste.
Vous dites en effet que celleçi « envoie la totalité de ses bénéfices à la maison mère dans le Delaware
la filiale française n’ayant aucun bénéfice ne paye pas d’impôt »

S’il suffisait pour une société française  » d’envoyer la totalité de son bénéfice à sa maison mère située dans un autre pays » pour s’exonérer de payer le moindre impôt » en France alors le ministère des Finances français ne servirait à rien, le dispositif fiscal serait du n’importe quoi et plus aucune société ayant sa maison mère hors de France ne payerait un centime d’impôt
la réalité est autre et les règles fiscales s’appuient sur des concepts logiques et cohérents, même en France.
Je pense en l’occurrence que Mac Kinsey France paye des royalties à sa maison mère qui comme par hasard correspondent plus ou moins à son bénéfice.

On pourrait penser que le taux de royalties pourraient être fixés sans règles précises et sans argumentation de la matérialité des prestations accordées par la mère à sa filiale ? non il doit nécessairement y avoir des contrats de nature précise correspondant à soit des » brevets « soit de l' »Assistance technique » soit à l’utilisation de la « Marque ».
Tout ceci doit être parfaitement justifié en fonction de ma matérialité concrête des prestations fournie et des usages internationaux en la matière
Si Bercy qui est sensé vérifier n’a rien fait alors l’administration française a faillie et donc c’est gravissime.
Le pire de cette affaire c’est qu’à mon avis ce probléme est fait pour détourner l’attention des journalistes sur une autre irrégularité qui elle est cent fois plus grave et qu’il fut occulter.

J.P. D.

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