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L’extraordinaire redressement de La Redoute a fait gagner 100 millions d’euros à ses salariés !

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Gap, Camaïeu, Go Sport, Kookaï, Pimkie, San Marina, André… les enseignes d’habillement et de chaussures vont mal. Fermetures et licenciements sont au programme de ces magasins de centre-ville. Leurs salariés ne sont pas à la fête, contrairement à ceux de La Redoute qui se sont partagé 100 millions d’euros après le rachat de leur entreprise par les Galeries Lafayette. Il y a dix ans, elle était au bord de la faillite. Histoire d’un redressement spectaculaire.

Une entreprise bientôt bicentenaire

La Redoute a été fondée en 1837 par Joseph Pollet à Roubaix. D’abord filature de laine peignée, l’entreprise se lance, en 1928, dans la vente par correspondance (VPC) d’articles textiles, avec un catalogue qui deviendra vite célèbre. Cette activité marchera si bien que, dans les années 1960, elle cessera sa production industrielle pour se concentrer sur la distribution. A son apogée, en 1999, le catalogue comptait 1 218 pages et 66 000 références, de l’habillement à l’équipement de la maison.

Rachetée par Le Printemps à la fin des années 1970, l’entreprise tombe ensuite dans le giron de François Pinault lorsque celui-ci rachète les grands magasins en 1991 et crée le groupe PPR (Pinault-Printemps-Redoute), devenu depuis Kering en se recentrant sur le luxe.

Cependant, appartenir à un grand groupe – aux côtés d’autres enseignes de grande distribution comme Conforama, Prisunic, Fnac, Orcanta, Surcouf, Oxybul, etc. – et détenir un savoir-faire reconnu en matière de logistique n’est pas suffisant pour réussir à s’adapter à la nouvelle donne commerciale. Si le site internet laredoute.fr est ouvert dès 1995, l’entreprise n’arrive pas à résister aux nouveaux venus de la vente à distance que sont vente-privée (devenue veepee.fr), showroomprive.com, sarenza.com, et bien sûr amazon.com et tous ceux qui viendront par la suite.

La Redoute n’est pas seule à subir la concurrence des sites de vente en ligne : 3 Suisses, Phildar, Blanche Porte, etc., tous les fleurons nordistes de la VPC souffrent, licencient, se restructurent.

L’innovation de rupture est toujours difficile à négocier

Il faut dire qu’il est toujours difficile, quand on est leader sur son marché, d’être confronté à une innovation de rupture. A cet égard, l’exemple de Kodak est emblématique. L’entreprise de photographie, fondée en 1881, inventa la pellicule photosensible. Si la société existe toujours aujourd’hui, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Aurait-elle raté le passage de l’argentique au numérique ?

En fait, Kodak s’est intéressée à la photo numérique dès 1975. L’entreprise a été pionnière dans ce domaine et est à l’origine de très nombreux brevets. Parfaitement consciente de ce qui se jouait, elle a cependant choisi de protéger son activité principale qui était la vente et le développement de pellicules argentiques. Elle a même tenté, sans succès, de marier les deux technologies en inventant le film numérique (l’APS). Elle a aussi investi des sommes importantes dans la publicité pour continuer à tenir tête à son principal concurrent, le japonais Fuji.

Bref, les dirigeants de Kodak ne se sont jamais résolus à lâcher la proie pour l’ombre. Comme l’écrit Philippe Silberzahn, « Kodak n’a pas raté la révolution numérique, mais elle a été victime du très classique dilemme de l’innovateur, décrit par le chercheur Clayton Christensen ». L’entreprise a été comme tétanisée, elle s’est empêchée d’agir dans le numérique « malgré sa bonne volonté et la conscience du danger, en raison même du succès de son activité historique dominante ». Elle était prisonnière de son modèle d’affaire qui rendait la photo numérique non attrayante puisque l’argentique continuait à fournir l’essentiel de ses ressources et ne pouvait donc être délaissé. Se jeter à corps perdu dans le numérique sans garantie de succès était un pari fou pour les dirigeants de l’entreprise de l’époque. Ils ont choisi la prudence.

Le pactole pour les salariés actionnaires

C’est un phénomène similaire qui s’est produit à La Redoute. L’entreprise avait du mal à lâcher son business model et à en adopter un nouveau.

Après avoir injecté des millions d’euros pour la maintenir à flot, Pinault finit par jeter l’éponge. En 2014, il la cède, pour un euro symbolique, à ses dirigeants Nathalie Balla et Éric Courteille, non sans avoir préalablement signé un gros chèque (près de 500 M€) pour financer la transformation de l’enseigne et sa restructuration. Près de 1 200 salariés, sur les 3 400, sont licenciés. Ceux qui restent ont l’opportunité de devenir actionnaires. Un sur deux investira (170 € maximum bloqués huit ans, auxquels s’ajoutent un abondement de l’entreprise de 184 € maximum). Balla et Courteille détiennent alors 51 % du capital, les salariés 49 %.

En 2015, le premier exercice de La Redoute « indépendante » se termine par des pertes de 40 M€ pour un chiffre d’affaires de 750 M€. Les dirigeants décident de recentrer la marque sur la mode femme et enfant et la déco. Ils suppriment le catalogue papier. Puis, ils augmentent la cadence des collections (fast fashion), jusqu’à dix par an, et privilégient les produits sous marque propre, dessinés en interne, fabriqués exclusivement pour La Redoute. Ils ouvrent des show-rooms connectés. L’ancien entrepôt est remplacé par un centre logistique entièrement automatisé de 42 000 m² capable de traiter 3 500 commandes à l’heure.

En 2017, le groupe Galeries Lafayette, confiant dans la capacité de La Redoute à se redresser, acquiert 51 % du capital pour 140 M€. Il était alors convenu qu’il pourrait racheter la totalité du capital dès 2022 selon une formule prévoyant que plus le résultat opérationnel du dernier exercice serait favorable, plus le multiple pour calculer la valeur de l’entreprise serait élevé.

Entre temps sont arrivés le covid, les confinements, les fermetures de magasins, les restrictions de déplacement. Bien positionnée sur l’équipement de la maison (avec sa marque AM.PM), La Redoute voit son chiffre d’affaires passer de 850 M€ en 2019 à 1,1 milliard d’euros en 2021. Le résultat opérationnel est, quant à lui, multiplié par cinq pour atteindre 100 M€.

Alors, quand les Galeries Layette décident, en mars 2022, de racheter les 49 % du capital qui leur manquaient, c’est le jackpot. Pas seulement pour les dirigeants, mais pour tous les salariés devenus actionnaires. Ceux qui ont cru dans l’entreprise, ont retroussé leurs manches, n’ont pas compté leurs heures et… ont investi quelques euros, vont toucher, en moyenne, 80 000 euros chacun. Romain, interrogé par Le Parisien, a reçu 79 545 € (95 806 € avant prélèvements sociaux) après avoir investi 100 € en 2014 !

On le voit, dans cette histoire, les dirigeants d’une entreprise, avec l’appui de leurs salariés, peuvent faire des miracles. Pour cela, il faut les laisser travailler – c’est-à-dire aussi se tromper, licencier, restructurer… – sans que l’État intervienne à tout bout de champ. Il est probable que d’autres entreprises n’ont pas eu la chance de La Redoute, engluées qu’elles étaient dans les interventions des politiques, les tracasseries administratives, la réglementation du travail, les normes environnementales, les impôts et les taxes. Peut-être aussi n’ont-elles pas eu des dirigeants capables d’audace.

Aux Galeries Lafayette maintenant de faire prospérer cette pépite. Et souhaitons à la famille Houzé (propriétaire du groupe) de gagner beaucoup d’argent.

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1 commenter

Oncpicsou 7 mars 2023 - 5:43

J’aurais bien d’autres exemples ou « courage et compétence valent mieux qu’assistanat et subventions ».

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