La troisième assemblée de la République – ce Conseil économique, social et environnemental dont l’inutilité n’est plus à prouver – est aussi prolifique que les rats qui ont infesté les jardins du palais d’Iéna. Ses rapports se succèdent – déjà une douzaine depuis le début de l’année 2023 – et tombent la plupart du temps aussitôt dans l’oubli. Un des derniers en date – « Cannabis : sortir du statu quo, vers une légalisation encadrée » – n’échappera pas à ce sort funeste tant ses préconisations sont inconséquentes.
Dans un rapport adopté au début de l’année 2023, le CESE constate l’échec des politiques publiques de prohibition, qui fait que « notre pays compte en proportion le plus grand nombre de consommateurs et consommatrices (sic) qui ont expérimenté au moins une fois dans leur vie le cannabis avec 45 % des 15-64 ans, contre 28,2 % en Allemagne ou 27,7 % aux Pays-Bas ».
L’échec des politiques publiques actuelles
Pour les auteurs du rapport (Florent Compain et Helno Eyriey), l’échec est double. « En matière de santé publique tout d’abord, puisque la population et plus particulièrement les personnes mineures et les jeunes adultes n’ont pas pu bénéficier de mesures de prévention efficaces et sont exposés à des produits non contrôlés, dont la teneur en THC est en augmentation constante ». Le rapport rappelle que la consommation de cannabis présente des risques liés à la cognition, en particulier pour les jeunes dont le cerveau est en maturation jusqu’à 25 ans. Au-delà des dangers liés au développement neuronal « s’ajoutent d’autres risques tel que l’isolement social qui peut conduire à un échec voire un décrochage scolaire, qui entraîne bien souvent des conséquences néfastes sur la vie sociale et familiale, l’intégration dans la société mais également sur la carrière professionnelle ». Le rapport signale aussi que la combustion des fleurs, feuilles ou résine de cannabis est d’une grande toxicité pour les poumons, et que la consommation de cannabis associée à d’autres substances, comme l’alcool et le tabac, génère des risques supplémentaires.
Ensuite, affirment les rapporteurs, « la pénalisation de la consommation a donné lieu à une forte mobilisation des services de police et de justice et n’a pas réussi à contrecarrer l’ampleur du trafic ou le niveau de la consommation. À titre d’exemple, entre septembre 2021 et août 2022, plus de 226 000 infractions ont été constatées pour usage simple de stupéfiants dont 90 % concernent le cannabis, chiffre multiplié par trois en vingt ans ».
Ajoutons que le commerce illicite de cannabis, et des autres drogues, entraîne une augmentation de l’insécurité. Certains quartiers, parfois « interdits » à la police, sont gangrénés par les trafics. La population vit sous la menace constante des caïds et des rivalités entre bandes qui font de nombreuses victimes comme nous le voyons régulièrement à Marseille par exemple.
Pour éviter tous ces maux, les rapporteurs du CESE, préconisent une légalisation encadrée du cannabis.
Des expériences étrangères pas toujours probantes
A l’appui de leur argumentation, Compain et Eyriey tirent des enseignements des exemples étrangers. Ils mettent en avant le Portugal qui a décriminalisé l’usage de toutes les drogues dès 2001 et organisé une prise en charge sanitaire. « Plus de vingt ans après son entrée en vigueur, cette réforme ne s’est pas accompagnée d’une augmentation importante des niveaux d’usage de drogues ». Le niveau de consommation (11 % des Portugais déclarent avoir consommé du cannabis au moins une fois dans leur vie) reste largement inférieur à ce qu’il est en Europe (27 %) et en France (45 %).
Aux États-Unis, les résultats des politiques de légalisation diffèrent selon les États fédérés. Le Colorado, par exemple, « a mieux réussi à réduire la taille de son marché noir que la Californie », affirment les auteurs du rapport. Il est vrai que, dans ce dernier État, comme l’Iref l’a relaté, la « politique de légalisation de la marijuana est un échec patent ». En revanche, le rapport passe sous silence le fait que « les décès par overdose battent des records » dans tous les Etats-Unis, montrant que légalisation des drogues dites douces n’a eu aucun effet.
Au Canada, les rapporteurs du CESE sont obligés de reconnaître que « l’arrivée du cannabis licite ne met pas automatiquement fin au marché noir. Actuellement, même si le cannabis est légal, environ la moitié des ventes a toujours lieu sur le marché parallèle ». Enfin, en Uruguay, la « légalisation fortement encadrée par l’État de la production à la distribution », depuis 2013, n’a pas produit les effets escomptés : seul un tiers des consommateurs de cannabis s’approvisionne sur le marché légal, et la prévalence annuelle de l’usage de cette drogue serait passée de 9,3 % en 2014 à 14,6 % en 2018 !
Bref, on ne peut pas vraiment dire que les politiques de légalisation mises en exergue dans le rapport aient réduit la consommation de cannabis, pas plus que le marché noir. Curieusement, les rapporteurs oublient de citer les Pays-Bas, pourtant exemple emblématique, où les barons de la drogue n’ont pas peur de s’en prendre à la famille royale ou au Premier ministre. A Amsterdam, ville des coffee shops, le conseil municipal vient de « bannir l’herbe du centre-ville ».
Tout cela n’empêche pas le CESE de préconiser la dépénalisation de la consommation et de la culture du cannabis à usage individuel.
Des solutions qui ne vont rien régler
Arrêtons-nous sur les mesures les plus spectaculaires – au total, il y en a tout de même 42 – proposées par Compain et Eyriey et validées par 88 des membres du CESE sur 131 votants (soit 67 %).
Une série de préconisations vise à faire de l’État un acteur majeur du marché. Il lui reviendrait, en effet, d’accorder des licences de vente tout comme il le fait aujourd’hui pour les débits d’alcool ou de tabac. Il s’agit ni plus ni moins de créer des « buralistes de cannabis » qui devront suivre une formation obligatoire, régulièrement mise à jour, sur la prévention et la réduction des risques. Les lieux de vente, comme les bureaux de tabac aujourd’hui, ne pourront pas faire de publicité et devront afficher des messages de santé publique à côté des informations sur les taux de cannabinoïdes, les profils aromatiques, la provenance et les modes de culture.
Ce dernier point est essentiel pour les auteurs du rapport qui veulent « faire de l’agriculture biologique la norme de production du cannabis dit « récréatif ». En fait, peu importe de favoriser l’ingérence de substances pourtant reconnues comme nocives dans le rapport, pourvu qu’elles soient bio !
L’État serait aussi chargé « d’assurer une traçabilité complète et transparente de la graine à la consommation grâce à une blockchain publique », et sous le contrôle de services tels que la DGCCRF (direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes) et les douanes.
Il est également nécessaire, toujours selon le CESE, de créer une agence française du cannabis, intégrant l’ensemble des parties prenantes, sous l’égide de l’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), de même qu’un institut national du cannabis « destiné à développer la recherche fondamentale sur le cannabis et ses différents aspects ».
Enfin, cerise sur le gâteau, il serait créé « une taxe spécifique affectée », dont une partie serait destinée à la prévention et au soin. Comment croire qu’un produit taxé puisse être compétitif face à un « joint » qui ne subit aucune taxe au marché noir ? Surtout que, comme pour le tabac (les taxes sur les cigarettes ont progressé de presque 50 % depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée en 2017 et de près de 230 % depuis l’an 2000), il est probable que les taxes finiraient par augmenter pour renflouer le budget de l’État, et ainsi « booster » le commerce illicite (un tiers des cigarettes consommées en France ne proviendrait pas du réseau des buralistes). Vouloir réduire les trafics en leur donnant un avantage compétitif est vraiment inconséquent.
Pour ajouter une deuxième cerise sur le gâteau (au chanvre), les rapporteurs du CESE, décidément inspirés, veulent favoriser la culture individuelle pour l’autoconsommation, ceci « afin de ne pas laisser la main aux réseaux de trafiquants illégaux sur la distribution du produit recherché ». Là encore, comment croire que ces « autoentrepreneurs de la marijuana » ne tenteront pas d’écouler quelque surplus de production en dehors des radars des douanes ?
En un mot comme en cent, les préconisations du CESE ne permettront pas de réduire la criminalité liée au trafic de drogue. L’institution aurait mieux fait de se pencher sur les raisons qui poussent de nombreux Français à se droguer. Ne sont-ils pas classés régulièrement parmi les peuples les moins optimistes du monde ? Cela aurait-il à voir avec le poids exorbitant de l’État, celui des réglementations et des prélèvements obligatoires, le gouffre de la dette publique, l’augmentation de l’insécurité, la détérioration des services publics, la désindustrialisation et la baisse des exportations, la faillite de l’Éducation nationale, etc. ?.
7 commentaires
Traiter la drogue comme le tabac (débits, taxes), quelle idée originale ! Décidément les conventions et autres comités Théodule que Macron privilégie pour contourner les représentants élus ne servent qu’à accroître les rémunérations et frais indus… Supprimons le CESE !
Si le CESE avait une quelconque utilité, en effet cela se saurait !
Il est néanmoins indéniable que la politique répressive de l’état, quel qu’il soit, est d’une inefficacité patente.
Je pencherais pour une légalisation des drogues mais je rejoins votre argument sur l’origine de la tendance de la population à vouloir en prendre : ne serait-il pas plus important de commencer par libéraliser, désétatiser ce pays afin d’améliorer le cadre de vie de sa population afin qu’elle retrouve une joie de vivre susceptible de l’éloigner naturellement de la tentation à l’évasion par la prise de produits psychotropes (qu’ils soient naturels – bios ! 🤣- illégaux ou chimiques légaux). Je pense bien entendu aux quantités astronomiques de médicaments ingurgitées par cette même population, dont le comportement traduit un mal être évident qu’aucune politique publique ou quelconque agence bidule machin ne viendra jamais améliorer…
Qui le comprendra un jour ? Je crains que ce pays ne soit foutu…
Mais QUI ? pourrait dissoudre ou faire dissoudre le CESE ? (Je ne suis qu’un béotien en politique – voire moins !) mais depuis le temps que l’on parle de l’INUTILITE de cet organisme (?) ainsi que de multiples autres, rémunérés par nos impôts (pas moi, je n’en paie pas, compte-tenu de mes faibles revenus de retraite par répartition (et vive la capitalisation, je serais peut-être plus RICHE !)
QUI peut me donner la solution ??
Aucune erreur. Il ne s’agit que d’un remake de la pseudo « guerre de l’opium ».. importation, démantèlement des douanes, blanchiment, ďépénalisation officieuse, salle de shoot, etc.. tout y est.
Et ces gens sont qualifiés de quoi déjà ?
La question qui se pose est : est-ce que le pouvoir chinois était aussi impliqué que le nôtre pour accabler sa population ?
C’est simple, l’état vendra pour 20 € (dont 75% de taxe), 10 grammes de cannabis à 10% de THC. Les trafiquants proposeront pour le même prix, 25 g. de cannabis à 20% de THC. Que choisiront les consommateurs ?
Votre article est intéressant, mais paresseux.
Vouloir solutionner le problème de la consommation excessive de cannabis par des changements fondamentaux de la société, est un plaidoyer pour ne rien faire.
La phrase « En revanche, le rapport passe sous silence le fait que « les décès par overdose battent des records » dans tous les Etats-Unis, montrant que légalisation des drogues dites douces n’a eu aucun effet. » mélange les problèmes liés aux drogues dures ( que personne ne propose de légaliser ) et surtout aussi des overdoses dues aux opiodes légaux, qui est un problème gigantesque aux USA, mais n’a que peu çà voir avec le cannabis.
Le fait sur lequel il faut insister, est que non seulement la prohibition du cannabis ne réduit pas la consommation, mais qu’en plus la répression a des effets très négatifs, avec des prisons remplies de gens qui n’ont rien à y faire.
Le problème est certainement complexe, ainsi que le démontrent les expériences ratées, mais une piste de reflection utile serait de creuser plus loin le rapport entre la vraie libéralisation ( contrairement aux libéralisations régulées et taxées ) de l’usage du cannabis, et le résultat. Il en ressortira vite que seule une libéralisation véritable donnera une amélioration.
Plusieurs Etats américains ont fait une « vraie libéralisation » et les résultats ont été tout aussi catastrophiques.