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Les conclusions de Piketty sont une nouvelle fois remises en question

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Il y a deux semaines, l’IREF vous faisait part des rétropédalages de Thomas Piketty sur les inégalités. Alors que cet article avait été relevé aux Etats-Unis, il a été passé en France sous un silence épais… Depuis la sortie de cet ouvrage, en effet, le débat a été quasi inexistant en France, alors qu’à travers le monde, il a soulevé parmi les économistes un grand nombre de commentaires. Et de nouvelles critiques, souvent très pertinentes alimentent continuellement les discussions.

Tout récemment, un jeune doctorant du prestigieux MIT, Matthew Rognlie, devait présenter ses travaux devant un panel d’économistes- à la Brookings Institution, l’un des think tanks les plus importants aux Etats-Unis. L’étudiant s’était d’abord fait remarquer au travers de ses commentaires sur un blog économique (Marginal Revolution), puis a publié un article qui développait une réflexion sur l’ouvrage de Piketty[[Article accessible en anglais en suivant ce lien : http://www.mit.edu/~mrognlie/piketty_diminishing_returns.pdf.]], en particulier sur les incidences de cette formule désormais célèbre r > g.

Dans ce document, au demeurant assez technique, Rognlie revient sur trois points fondamentaux, qui, selon lui, remettent en cause la pertinence des conclusions de l’économiste français. Tout d’abord, l’élasticité de substitution qui ne tient pas suffisamment compte de la dépréciation des actifs, et du poids trop important du marché immobilier dans le calcul de l’accumulation du capital, enfin de la surestimation de la variable technologique.

Le modèle de Piketty ne fonctionne qu’avec des hypothèses qui ne sont pas vérifiées empiriquement.

Si la démonstration de l’ouvrage de Piketty dans le débat sur les inégalités- est d’une grande importance, – dont le thème central est l’accumulation du capital, on peut désormais douter de certaines de ses conclusions. On peut le soupçonner de surestimer le poids de l’élasticité de substitution nette, afin de parvenir à démontrer qu’un ralentissement de la croissance économique entraîne une augmentation du capital par rapport aux revenus, donc potentiellement un accroissement des inégalités…

Dans cadre des travaux de Piketty, l’élasticité de substitution nous indique dans quelle proportion la demande relative du producteur du capital- par rapport au travail, est affectée par un changement du coût relatif des unités de production (ici le capital et le travail). Plus simplement, si le coût du capital variait par rapport à celui du travail, l’élasticité de substitution nous apprendrait de quelle manière la demande de capital va être modifiée par rapport au travail. Si cette élasticité est supérieure à 1, cela indique que la part des revenus du capital va augmenter, dans la mesure où la part du capital dans la production augmente. A l’inverse, si l’élasticité de substitution est inférieure à 1, les revenus des capitaux diminuent, lorsque la part de capital dans la production augmente.

Cela peut paraître un détail, mais c’est très important pour la compréhension de l’analyse de Piketty.

Lorsque l’on prend en compte le rendement net du capital (c’est-à-dire lui-même corrigé des dépréciations d’actifs), l’élasticité de substitution nette est toujours inférieure à l’élasticité brute. Or, Piketty prend en compte une élasticité nette supérieure à 1, et c’est à ce sujet qu’il semble faire une erreur…. D’après les estimations de Rognlie et les travaux empiriques fournis par les écrits, cette hypothèse est rarement vérifiée. Par exemple, une élasticité nette de 1,5 impliquerait une élasticité brute de 2,27, à condition que l’on reprenne les chiffres de Piketty. Or cela ne s’est jamais encore vérifié dans les écrits empiriques !

Sur les 31 articles répertoriés par Robert Chirinko et que l’on retrouve dans l’Etude de Rognlie, un seul article reporte une élasticité brute supérieure à 2,4 ; tandis que 29 de ces articles répertorient une élasticité brute située entre 0 et 1,5. Enfin, toujours d’après les estimations de Rognlie, il faudrait une élasticité brute au moins supérieure à 4 pour que le modèle de Piketty soit vérifié, ce qui se place bien au-delà de toutes les estimations empiriques, même les plus optimistes ! En utilisant les élasticités que l’on -trouve dans les écrits, Rognlie démontre qu’il est plus probable que l’augmentation du ratio capital/revenus soit associée à une baisse du rendement du capital, plutôt que l’inverse ! En effet, ceci s’explique de manière assez simple : le rendement du capital est certes décroissant, ce qu’admet Piketty, mais il en sous-estime le taux de dépréciation. Car pour Piketty, cela représenterait la « deuxième loi fondamentale du capitalisme », où « le rapport capital/revenu bêta est relié de façon transparente au taux d’épargne du pays s considéré, et au taux de croissance g de son revenu national […]. » Mais cette hypothèse ne se vérifie qu’à très long terme…

Pour l’économiste français, la croissance du capital est donc asymptotique, « c’est-à-dire valable uniquement dans le long terme : si un pays épargne une proportion s de son revenu indéfiniment et si le taux de croissance de son revenu national est égal à g de façon permanente, alors son rapport capital/revenu (?, bêta) tend à se rapprocher de plus en plus de ? = s/g, puis se stabilise à ce niveau. Mais cela ne se fera pas en un jour : si un pays épargne une proportion s de son revenu pendant quelques années seulement, cela ne suffira pas pour atteindre un rapport capital/revenu égal à ? = s/g. »[[Piketty T., Le Capital au XXe Siècle, Ed. Seuil, 2013, p.265-266.]]

En réalité, le taux des rendements décroissants se placent en conformité beaucoup plus rapidement que ne l’admet Piketty. Et c’est précisément ce que tente de démontrer Rognlie dans son article. Dans l’esprit de ce dernier, – la décroissance des taux de rendement influe de façon importante. Si ces taux baissent de manière suffisamment significative à mesure que le capital s’accumule, la part du capital dans l’économie aura tendance à diminuer et non à augmenter. Les conclusions de Rognlie ne sont pas définitives, car il existe de nombreux obstacles empiriques, mais elles permettent d’émettre des doutes sur les conclusions un peu hâtives de Piketty. En réintégrant les hypothèses de Piketty, Rognlie montre que l’élasticité brute devrait être au moins supérieure à 2- selon les hypothèses d’épargne retenues. Nous sommes bien loin des résultats empiriques des écrits divers…

L’impact sur l’écart entre r (le taux de rendement du capital) et g (le taux de croissance économique), est en fait l’inverse de la théorie que soutient Piketty : l’accumulation du capital tend à faire décroitre l’écart entre r et g, par la faute de la dépréciation des actifs, qui pousse la demande de capital à s’ajuster à la baisse.

Un jeu de dupes ?

Cette tromperie statistique avait déjà été mise en lumière dans un article de l’IREF publié par Jean-Philippe Delsol, dont nous reprenons ici un large passage :

« Piketty admet lui-même que « la valeur totale du stock de capital, mesurée en années de revenu national- rapport qui mesure l’importance globale du capital dans l’économie et la société-, ne semble pas avoir véritablement changé sur très longue période. Au Royaume Uni comme en France…le capital national représente environ cinq-six années de revenu national au début des années 2010, soit un niveau à peine inférieur à celui observé aux XVIIème et XIXème siècles et jusqu’à la première guerre mondiale » (page 259). Ainsi, en considérant que d’une manière générale le stock de capital reste dans la même proportion, -plus ou moins cinq,- par rapport au revenu national et en considérant que le patrimoine d’un pays, ou du monde, ne peut pas s’accroitre dans le long terme plus que la croissance du Produit Intérieur Brut, il faut nécessairement admettre que la formule de Piketty ne fonctionne pas. Car si le revenu du capital était durablement supérieur de 4 à 5 points à la croissance, cela signifierait qu’en économisant seulement 1% par an sur les 4 ou 5% de leur rendement annuel, les plus riches ne pourraient plus bientôt trouver de capital où placer leur épargne. En effet, si un capital de 100 est investi avec une rentabilité de 1%, après cent ans, ce capital sera passé de 100 à 270, 48 et après deux cents ans, il sera passé de 100 à 731,60. Or il est plus que probable que les personnes les plus riches, qui selon Piketty détiennent l’essentiel du patrimoine, ne consomment pas la totalité de leur revenu car pour s’enrichir elles ont dû épargner et doivent normalement continuer à le faire. Et si elles n’épargnaient qu’un cinquième de leur rendement, elles multiplieraient par sept leurs avoirs en deux cents ans, ce qui ne serait pas possible si ce groupe des plus riches détenait déjà au départ, comme il le suggère, la moitié du patrimoine. »

L’économiste allemand Hans-Werner Sinn a par ailleurs les mêmes conclusions que l’IREF quant à l’impossibilité pour le capital de s’accumuler indéfiniment, même sur la courte période. Cela tient notamment au fait que le taux de rendement du capital n’évolue pas obligatoirement dans le même sens que son accumulation, qui, comme l’a démontré Rognlie, est compensée par la dépréciation des actifs. A long terme, PIB et rendement du capital doivent évoluer dans le même sens, comme l’avait prédit Jean-Philippe Delsol dans son article. Et à court-terme, l’important est le rapport entre profits et salaires, qui « ne suit aucune tendance discernable », nous apprend Sinn et non le ratio capital/revenu national.

Immobilier et technologie : les autres erreurs de Piketty

Enfin, Rognlie montre que la part du capital immobilier dans la part nette de l’augmentation du capital est supérieure à 100 %. En d’autre termes, lorsque l’on ne prend plus en compte le capital immobilier, l’élasticité nette de long terme (>1) mise en avant par Piketty ne tient plus. De même, l’économiste français surestime les effets de la technologie sur l’accumulation du capital. D’après les estimations de Rognlie, les équipements technologiques contribuent à hauteur d’un coefficient de 0,14 à l’élasticité de substitution agrégée. C’est un taux faible pour deux raisons essentiellement : la part de ces équipements dans le capital est encore relativement faible, ensuite, l’élasticité nette de substitution n’est pas égale à l’élasticité brute, elle est même beaucoup plus faible, car le taux de dépréciation du capital est très rapide dans ce secteur. Selon les chiffres du Bureau of Economic Analysis, donnés par Rognlie, les équipements dans le traitement de l’information se déprécient à hauteur de 18 % et de 43 % pour les logiciels. Comme le montre Rognlie, ce sont surtout les infrastructures qui doivent être prises en compte et non pas les nouvelles technologies lorsqu’on analyse l’accumulation du capital liée aux équipements.

Ces trois points soulignés par Rognlie nous incitent à relancer le débat autour de l’ouvrage de Piketty, notamment en France, où ses conclusions sont souvent prises trop au sérieux par l’ensemble des médias.

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1 commenter

Libéralisateur 30 mars 2015 - 11:12 am

Pourquoi penser que Piketty est un économiste sérieux.
Piketty est un économiste "faire-valoir" des politiques socialistes de pays comme la France.
Il tord le cou à la réalité afin de justifier les politiques "économiques" de la gauche. Il n'a pas d'autres prétentions. Ils sont nombreux à faire le même métier que lui et encombrent les médias qui sont à la solde des pouvoirs politiques.
Pour les chasser de l'arène médiatique, comment penser que c'est avec les démonstrations de gens comme Rognlie que cela va aboutir quand celles-ci ne peuvent être comprises que par des ultras minorités alors que c'est la masse des électeurs qu'il faut convaincre ?
La démonstration qui en est faite est donc strictement celle là, ce n'est pas par les urnes que la France, entre autres, se débarrassera de ce cancer, mais par un coup d'Etat quand le pays aura touché le fond et qu'il n'y aura plus d'argent dans les caisses.
Il faut vous y préparer citoyens !

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