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L’éducation économique selon Citéco

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Nous nous sommes rendus à la Cité de l’Économie à Paris pour voir comment l’économie est présentée au public. Si l’on peut y voir un remarquable exemple de reconversion architecturale, et si la collection de pièces de monnaie exposée dans la salle des coffres vaut le détour, le parcours scénographique d’initiation à l’économie laisse quelque peu perplexe. Explications.

Située dans l’hôtel Gaillard au cÅ“ur de la plaine Monceau à Paris – un immense édifice néo-Renaissance, dont la construction a été commandée par le régent de la Banque de France Émile Gaillard en 1878 pour abriter sa collection d’œuvres d’art -, la Cité de l’Économie, ou Citéco, a été en 2019 le premier musée consacré à l’économie en Europe. Son président, le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau, y voit « l’exemple le plus récent et le plus spectaculaire de l’engagement de (celle-ci) en faveur de l’éducation économique, monétaire et financière » (Beaux-Arts, CitÉco, mai 2019, p. 3). Reste à savoir de quelle « éducation économique » il s’agit, tout au long de ce parcours scénographique qui s’étend sur un vaste espace (2600 m2).

Une approche « ludique » et « interactive » pour sensibiliser le public à l’économie « responsable » ou « durable »

Dans un entretien donné à Beaux-Arts (ibid., p. 4-5), Philippe Gineste, directeur de Citéco, insiste sur l’aspect « interactif » du musée, dont l’exploration est ponctuée de « dispositifs permettant de toucher, jouer, manipuler, et d’acquérir de façon ludique des concepts » liés à l’économie (p. 4). Il en donne quelques exemples, nous en avons retenu deux pour illustrer notre scepticisme.

  • Vous êtes chargés de fixer le taux directeur de la Banque centrale : soit vous le réduisez et vous encouragez alors l’économie, soit vous le relevez et dans ce cas vous ralentissez la croissance et vous faites monter le chômage (ibid.).

Il est bien que soit expliqué le fonctionnement d’une banque centrale, mais cette manière de le présenter n’est-elle pas quelque peu réductrice ? Ne donnerait-elle pas aux visiteurs l’impression que la croissance n’est qu’une affaire d’ajustement des taux, de manipulations, de décisions venues d’en haut, alors que ce sont les entreprises, les entrepreneurs et les innovateurs qui en constituent les ressorts ?

  • Autre cas de figure mentionné, la pêche. Lorsque les poissons se raréfient, il faut « imposer des règles pour réguler les ressources » (ibid.). Tout un chacun en conclura donc que l’économie responsable passe par une nécessaire régulation des marchés. À noter que Citéco propose aussi d’autres jeux spécifiquement conçus pour sensibiliser le public à l’importance de la transition écologique et de la baisse des émissions de dioxyde de carbone.

Un parcours scénographique orienté ?

Sur place, on constate que le parcours de l’exposition permanente se divise en plusieurs sections, suivant cet ordre : échanges, acteurs, marchés, instabilités, crises, régulations. La première section nous rappelle à juste titre que les êtres humains ont toujours trouvé plus commode et plus productif de s’échanger des biens selon leurs savoir-faire réciproques. Pour plus d’efficacité, ils se sont spécialisés et ont introduit, avec la monnaie, des unités de valeur communément partagées.

Deuxième section, les acteurs. Plusieurs types d’acteurs sont évoqués : entreprises, ménages, banques et assurances, État, associations. « Tous participent, peut-on lire sur un panneau, à la production et à la consommation de biens et de services. (…) Entreprises et (…) administrations produisent des richesses et donc des revenus, qui sont ensuite consommés ou investis ». Or ce sont de loin les entreprises qui créent des richesses, les administrations ayant plutôt tendance à les redistribuer… et à les gaspiller. Même si l’on trouve bien un écran consacré aux entrepreneurs, il est néanmoins regrettable que l’accent ne soit pas ici davantage mis sur le fait que ce sont avant tout ces derniers qui créent des richesses, lesquelles profitent en définitive à la société tout entière. On trouve ensuite, sur un autre panneau (« la croissance verte »), la justification suivante des politiques publiques environnementales :  « La croissance des pays s’est souvent faite au prix de dégradations et de destructions environnementales importantes, voire irréversibles. (…) Une (…) réponse (au défi environnemental) est la mise en Å“uvre de politiques qui orientent les modes de production et de consommation dans ce sens – ainsi les incitations financières à réduire l’usage des énergies non renouvelables. (…) »

La suite du parcours laisse également quelque peu perplexe. Le visiteur passe des marchés aux instabilités, puis des crises aux régulations, un agencement qui ne peut être fortuit et qui semblerait plutôt obéir à une logique soigneusement mise au point : les marchés sont foncièrement générateurs d’instabilité et de crises, et seule la « régulation » (sous-entendue étatique) peut y remédier. La vision qui est donnée de la concurrence nous paraît contestable : « Dans certaines situations, peut-on lire, la concurrence n’est ni bénéfique, ni possible. Quelle est alors la meilleure organisation du marché ? Monopole, oligopole, concurrence monopolistique… ». Pour les libéraux, au contraire, l’ouverture à la concurrence – qui devrait toujours accompagner la privatisation – est très souvent possible et toujours souhaitable.

Dans la section sur les « régulations », on peut lire : « Les échanges entre des acteurs économiques sur des marchés nécessitent l’intervention des institutions publiques, au niveau national ou supranational. Des régulations sont en effet mises en œuvre, à titre préventif ou correctif, pour améliorer le bien-être collectif, en modifiant les comportements des acteurs, ou en corrigeant des déséquilibres » (nous soulignons).

Or tous les économistes n’adhèrent pas à cette idée ! Pour les libéraux là encore, les déséquilibres sont plutôt le résultat de politiques économiques et monétaires conduites par les États, qui viennent ainsi fausser la liberté d’action des individus et le libre jeu du marché. On peut bien sûr discuter cette idée, mais dire ici, dans un musée dont l’ambition est d’informer un large public, que les dysfonctionnements des marchés sont corrigés par l’interventionnisme étatique revient à faire fi de pans entiers de l’analyse économique. On trouve certes dans le parcours de Citéco un panneau (« Une histoire des pensées économiques ») mentionnant l’importance d’Adam Smith, ainsi qu’une généalogie des différentes écoles de pensée en économie, dont l’école autrichienne (Mises, Hayek, etc.). On peut aussi écouter un « dialogue imaginaire entre Keynes et Friedman », qui sont présentés comme « deux économistes importants ». Il n’en reste pas moins que nombre de supports pédagogiques nous semblent faire la part belle aux tenants de la régulation des marchés, de l’interventionnisme étatique et du développement durable.

« Notre public général (est) plutôt concentré de la seconde jusqu’à bac+3 », précise Philippe Gineste dans l’entretien cité plus haut, avant d’ajouter : « Notre parcours est en adéquation avec les programmes scolaires et répond à la volonté de la puissance publique de participer à l’éducation économique et financière » (p. 5). On imagine que nombre de profs d’économie en lycée, souvent nourris à Alter-éco, se sont déjà empressés de conduire leurs élèves à Citéco ; c’est ainsi que les analyses économiques très critiquables qui ont inspiré les politiques gouvernementales de ces dernières décennies auront probablement encore de beaux jours devant elles.

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9 commentaires

Roven 15 mars 2023 - 6:51 am

Les administrations ne produisent effectivement pas de richesses, elles en vivent avec des effectifs surgonflés et une inefficience notoire. Elles se font croire qu’elles produisent car elles ne savent pas ce qu’est l’économie, elles qui ne ne connaissent que le gaspillage ! L’irresponsabilité généralisée aboutit au confort et au laxisme de responsables qui sont nommés de façon discutable, sur des concours qui ne garantissent aucune capacité de management. Il faut supprimer l’emploi à vie pour les fonctions non régaliennes, à commencer dans les collectivités territoriales qui nous coûtent très cher.

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Broussard 15 mars 2023 - 7:01 am

belle maison !

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Andy Vaujambon 15 mars 2023 - 9:20 am

Petite question, à quoi sert encore la Banque de France ? Elle ne bat plus monnaie, et ne délivre même plus les devises étrangères. Mais les privilèges de ses salariés, eux, n’ont pas changé…

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Marie-Thérèse Bouchet 16 mars 2023 - 2:25 pm

Bonne question !!

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Propone 15 mars 2023 - 6:33 pm

Un beau résumé, j’avais repéré l’existence de cette maison que l’EN ne manque pas de mettre en avant… pour la même raison architecturale !
Que le contenu catéchistique soit une farce étatiste et bureaucratique est tout à fait en adéquation avec le milieu enseignant dont la réflexion économique se limite à ce que disent Alternatives Économiques, le Monde, l’Obs voir Libé !
Pour des gens « de gauche », le réel ne peut pas ne pas correspondre à leur idéalisme, tout ce qui est disruptif sera écarté sans analyse, il n’y a rien à faire.

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Patrice 15 mars 2023 - 8:36 pm

Sur la forme, je déplore l’emploi désormais généralisé de l’anglicisme « régulation », mauvaise traduction du mot anglais « regulation » (sans accent), qui signifie réglementation. On devrait donc plutôt dire : réglementation.
En Français, la régulation c’est faire varier indirectement une grandeur, par exemple pour la maintenir constante, en agissant sur une autre grandeur. Par exemple, la régulation de vitesse d’une automobile consiste à faire varier automatiquement l’alimentation du moteur en carburant pour maintenir la vitesse constante à une valeur définie, quelles que soient les conditions extérieures (vent, pente de la route, etc.). En anglais on ne dit alors pas « regulation » mais « control » (cruise control dans l’exemple cité).
Politiques et journalistes, svp défendez notre langue

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Matthieu Creson 18 mars 2023 - 9:23 pm

Cher Monsieur,
Je vous remercie pour votre commentaire et votre vigilance concernant l’emploi de notre langue. Nous ne pouvons qu’être d’accord avec l’idée qu’il faille défendre la langue française : bien que l’usage évolue forcément, le français n’en est pas moins un patrimoine linguistique qu’il nous appartient à tous de conserver et de transmettre dans le meilleur état possible aux générations futures. (Ce qui s’applique en particulier, vous avez raison, aux journalistes et aux politiques.) Nous tâchons à l’IREF de ne jamais oublier ce principe.
Concernant le point que vous soulevez, le mot « régulation » est en effet souvent employé, hélas, comme calque servile de l’anglais « regulation », qui signifie en principe « réglementation ».
On notera toutefois que l’une des acceptions du mot « régulation » donnée par l’Académie française est la suivante :
« Contrôle d’une activité, d’un système complexe visant à s’assurer de leur bon fonctionnement, à orienter leur évolution (dans cet emploi, la régulation s’oppose à la règlementation, qui est générale, préalable, impersonnelle et permanente). Une autorité de régulation. Entre dans la dénomination d’institutions chargées par l’État d’assurer ce contrôle. La Commission de régulation de l’énergie. »
En ce sens, on peut par exemple dire que les politiques économiques de gauche s’efforcent de « réguler le marché », au moyen de la réglementation, de la taxation et de la redistribution.
Merci encore à vous
Cordialement
Matthieu Creson

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Marie-Thérèse Bouchet 16 mars 2023 - 2:29 pm

L’intention d’un tel musée est louable, car les Français manquent cruellement de culture économique. Mais la réalisation est en effet très orientée vers l’interventionnisme étatique. Et il manque peut-être que l’économie en général, et les entreprises en particulier, doivent être au service de l’humain.

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Lemasson 16 mars 2023 - 6:41 pm

J’ai également visité cette exposition et n’ai été qu’à demi surpris de sa parenté avec les programmes d’économie (SES) toujours en vigueur au Lycée. Et, comme il est dit dans l’un des commentaires, la ressemblance du discours avec celui d’Alter-Eco est frappante.
J’ai étudié ce programme dans le détail des manuels (ex-banquier retraité, j’ai du temps) et publié plusieurs chroniques critiques dans Les Echos et Capital ces trois dernières années. Sans autre réaction qu’une polémique superficielle avec l’APSES, le syndicat des enseignants et … leur refus de participer à un débat contradictoire télévisé proposé par Capital.
Je crois avoir compris depuis lors que ce programme a été approuvé par le CSP, le fameux Conseil Supérieur des Programmes, et que le Ministre de l’Education a été bloqué dans sa tentative de réforme.
Consolation: l’Allemagne a le même problème, à savoir un enseignement de l’économie au Lycée très anti-capitaliste et qui fait la part belle à la sociologie et à l’écologie.
Mes premières analyse de l’enseignement de l’économie dans les écoles d’ingénieurs sont toutes aussi consternantes. Le programme de l’École Centrale de Lyon par exemple comporte une partie « économie » enseignée par une agrégée de sociologie (!!) consacrées aux 3 crises (marchés, égalités, écologie) et une partie entreprise consacrée au … plan comptable français.
D’une certaine manière, j’admire la performance de ceux qui ont ancré leur idéologie au coeur de l’enseignement français et déplore l’indifférence de l’opinion à cet égard. Est-elle seulement informée d’ailleurs?
Mes chroniques sont visibles sur le site de Capital / Les Echos (il suffit d’indiquer mon prénom et nom) en « recherche ». Alternativement, les versions (sans publicité) de ces chroniques sont visibles sur mon site , dans la rubrique « L’auteur ».

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