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Le président argentin Javier Milei : une exceptionnelle leçon de libéralisme donnée au forum de Davos

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Les dirigeants socialistes sont coutumiers des discours fleuves. Qu’un libéral occupe des fonctions de chef d’État ou de Premier ministre est peu courant. Qu’un tel libéral prononce une allocution de libéralisme théorique et pratique est tout bonnement exceptionnel. C’est pourtant ce qu’ont vécu le 18 janvier les participants au forum de Davos lors du discours du nouveau président argentin, Javier Milei, que l’Iref a publié in extenso.

Les médias français étrillent le nouveau président argentin

La presse française s’est une nouvelle fois déchaînée contre le président argentin à la suite de son discours au forum de Davos du 18 janvier. Que certains sites internationaux d’extrême gauche se soient récriés devant les propos tenus par Javier Milei ne saurait surprendre : « Les oligarques applaudissent la diatribe fasciste (sic) du président argentin à Davos », ose par exemple le World Socialist Web Site (22 janvier 2024).

En revanche, que de nombreux médias français aient copié sans réfléchir le texte pondu par l’Agence France-Presse apparaît autrement inquiétant. En effet, dans La Croix, Ouest France ou encore RFI, on retrouve au mot près les mêmes phrases pour stigmatiser un « discours fleuve émaillé de références empruntées à l’extrême droite », « une virulente défense du capitalisme déchaîné », avant d’ajouter que « Elon Musk a approuvé sur X par un message  « vrai »une vidéo du discours, au milieu d’une série de messages de soutien de figures de l’extrême droite américaine » et de qualifier Javier Milei d’« économiste ultralibéral ». Quant à savoir quels seraient précisément les propos d’extrême droite prononcés, nul ne le saura.

Les concepts contradictoires utilisés auraient pourtant dû mettre la puce à l’oreille des journalistes. On peut s’étonner que, après les polémiques sur les évènements israéliens qui l’avaient déjà mise sur la sellette, l’AFP colporte des contre-vérités. Rappelons que l’AFP est un organisme autonome aux missions dites d’intérêt général, dont la « recherche d’éléments d’une information complète et objective », qui a coûté aux contribuables la bagatelle de 135 millions d’euros en 2023.

Certes, quelques voix ont pu s’élever depuis l’élection du président Milei pour mettre les points sur les i, mais elles se sont perdues dans le désert médiatique français (voir Nathalie Janson et Nikolai G. Wenzel, « Pourquoi le nouveau président de l’Argentine Javier Milei n’est pas d’extrême droite », La Tribune, 13 décembre 2023). L’Iref a également consacré sous la plume de Nicolas Lecaussin plusieurs articles pour tenter de mettre les pendules à l’heure.

Les propres mises au point de Javier Milei ou de ses proches n’ont pas eu plus d’effet. Fasciste ? d’extrême droite ? Que le président argentin rejette explicitement le fascisme dans son discours n’est pas pris en compte. Populiste ? Là encore, le discours l’écarte expressément. « Nous sommes avant tout des libéraux », a martelé Diane Mondino, l’économiste devenue ministre des Affaires étrangères, au-delà des écarts de langage et des provocations de son mentor (L’Opinion, 2 janvier 2024).

Un discours historique

Et pourtant le discours du 18 janvier peut être qualifié sans exagération d’historique. Le nouveau président argentin avait prévenu la presse dans son avion pour la Suisse : « Je viens planter la semence de la liberté dans un forum international contaminé par l’agenda 2030 socialiste « (Huffington Post, 17 janvier 2024). Habitués au capitalisme de connivence qui relie les grandes entreprises aux Etats, les participants n’en ont pas cru leurs oreilles en écoutant celui qui est tout simplement devenu le leader politique mondial du libéralisme, quatre décennies après Margaret Thatcher et Ronald Reagan. En effet, durant une vingtaine de minutes, l’ancien journaliste et professeur d’économie a fait un cours de libéralisme en synthétisant plusieurs siècles de pensée libérale.

Méthodologiquement, en notre qualité de spécialiste de l’histoire de la pensée libérale, nous avons l’habitude d’utiliser, entre autres mais pas seulement, une analyse contextualiste des propos tenus. Afin d’éviter les polémiques et ce, même si Javier Milei peut être aisément affublé du terme de polémiste, nous ne manierons pas cette méthode ici. Il s’agira simplement de comparer le discours aux canons des grands courants de la pensée libérale de la fin du XVIIe siècle à nos jours. Cela permettra de vérifier, cette fois de manière polémique, si le président argentin est un authentique libéral ou bien, comme la presse française presque à l’unisson l’en accuse, un extrémiste de droite, un fasciste, un populiste, voire un mélange des trois.

Une large synthèse des grands courants du libéralisme

Dans son discours, Javier Milei commence par mettre en garde le monde occidental (à noter que le terme occidental est utilisé, au surplus de manière favorable, à l’encontre des contempteurs de l’« occidentalo-centrisme ») contre un fléau mortel, celui de la perte des valeurs qui ont été sa marque de fabrique au profit d’un socialisme rampant. On pense immédiatement au célèbre discours de Soljenitsyne sur le déclin du courage prononcé à Harvard en 1978, mais on ne trouvera pas ici le biais conservateur du réfugié russe.

Le président argentin insiste ensuite sur le fait que le capitalisme de libre-échange est non seulement le seul capable de continuer à vaincre la pauvreté comme il le fait depuis longtemps, mais aussi le seul système moral pour y parvenir. Ce faisant, il entérine la position des libéraux autrichiens, Ludwig von Mises et Friedrich Hayek, qui ont dénoncé la fable marxiste du paupérisme et de la paupérisation (nous renvoyons sur ce point à notre ouvrage Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron, Odile Jacob, 2020, pp. 334s). Il évite par ailleurs de verser dans l’utilitarisme en ne se contentant pas de louer le capitalisme pour son efficacité, mais aussi et avant tout pour son fondement moral. En effet, loin d’être immoral ou même amoral, celui-ci est moral. On pourra regretter que Javier Milei ne s’étende pas sur ce point et surtout qu’il ne se soit pas référé clairement au fait que le libéralisme est fondé sur une conception précise de la nature humaine et qu’il est la seule doctrine en adéquation avec elle.

Le discours oppose ensuite l’individualisme à l’altruisme « avec l’argent des autres » et à une « justice sociale » injuste car, pour l’imposer, l’État prélève des impôts, par définition de manière coercitive. Plusieurs remarques viennent aussitôt à l’esprit. D’abord, la référence implicite à la quintessence de l’œuvre de la philosophe américaine Ayn Rand est évidente avec la stigmatisation de l’altruisme, sous-entendu de l’altruisme imposé à autrui. Ensuite, la référence, implicite là encore, à Hayek du fait du rejet de la « justice sociale », thème du second volume de son maître-ouvrage Droit, législation et liberté paru en 1976. De plus, la liberté s’oppose à un État, fondé sur la violence. C’est ici que l’aspect anarcho-capitaliste de la pensée de Javier Milei apparaît en pleine lumière. Enfin, la confirmation du fait que, individualiste, la pensée de Javier Milei ne puisse être qualifiée de populiste, la notion holistique de peuple s’y opposant frontalement.

Le président argentin explicite après ce qu’il entend par capitalisme de libre-échange ou de libre entreprise. Sa pensée est celle du « libertarianisme » dont il livre en premier lieu une définition tirée de l’œuvre de Alberto Benegas Lynch, un économiste argentin proche de lui. Cette définition reprend le grand principe porté par l’anarcho-capitaliste Murray Rothbard, à savoir celui de non-agression, de même que le célèbre triptyque du Second Traité du gouvernement civil de John Locke, paru en 1690, à savoir la vie, la liberté et la propriété.

Le discours s’attarde sur la conception d’un marché entendu comme un processus de découverte. Autrement dit, rejetant l’idée économique commune d’un simple lieu de rencontre entre l’offre et la demande, il partage une acception épistémologique du marché. L’auditeur pouvait donc s’attendre à ce que Hayek soit cité, lui qui a attaché son nom au développement épistémologique du libéralisme, mais c’est Israël Kirzner, l’élève de son maître Mises, qui reçoit cet honneur. L’économiste américain, qui appartient à l’école autrichienne d’économie, est d’ailleurs le seul à se trouver explicitement cité avec Alberto Benegas Lynch. Il est d’autant plus étonnant que le nom de Israël Kirzner soit mentionné dans ce passage du discours et qu’il ne le soit pas plus loin dans celui qui traite des entrepreneurs, sujet de prédilection de l’économiste américain.

Le discours rappelle que le capitalisme de libre entreprise est enté sur des institutions, avant tout le respect absolu du droit de propriété privée et le refus de toute intervention de l’État. Il s’agit d’une référence au libéralisme classique qui a fait de la défense de la propriété, par définition privée, un mantra, mais également d’une référence à des courants contemporains dits institutionnalistes. Le rejet de tout interventionnisme permet de comprendre qu’il s’agit d’institutions spontanées, fruit des actions et des interactions des hommes, la « main invisible » aussi connue que méconnue, et non pas d’institutions construites délibérément comme dans l’ordolibéralisme allemand.

Après avoir consacré de larges passages aux erreurs de la théorie économique néoclassique, coupable de s’être concentrée sur de prétendues défaillances du marché pour promouvoir l’interventionnisme et en définitive le socialisme, Javier Millei s’empresse d’écarter une objection : le fait qu’il utiliserait abusivement le terme « socialisme » pour caractériser des pays, des idéologies ou des politiques qui ne le seraient pas. En effet, il observe que le socialisme actuel s’est réinventé et que, dès lors, le définir de manière marxiste comme la collectivisation des moyens de production est suranné. Aussi préfère-t-il parler d’un collectivisme contemporain qui comprend non seulement les socialistes et les communistes, mais aussi les fascistes, les populistes et autres néokeynésiens, pour ceux qui empiètent de manière subtile sur l’ensemble de la vie des individus et ce, par le truchement de la monnaie, de la dette publique et de l’interventionnisme notamment. Ce nouveau collectivisme a délaissé la lutte des classes pour se concentrer sur la réglementation. En témoignent un féminisme hystérique et une prétendue opposition entre l’homme et la nature. Ici, la critique, rapide mais formelle, de l’avortement ne fera pas l’unanimité au sein des libéraux de différentes obédiences… Par ailleurs, l’amalgame opéré entre les chrétiens- ou les sociaux-démocrates et les communistes, entre les socialistes et les fascistes surprendra, voire choquera, mais il s’inscrit une fois encore dans la lignée de la pensée autrichienne, notamment de La Route de la servitude de Hayek, ouvrage paru en 1944 qui consacre un chapitre aux racines socialistes du nazisme, comme des travaux de Mises qui voit dans l’interventionnisme une pente fatale vers le socialisme.

Le Président présente l’Argentine comme un repoussoir pour le monde occidental : le pays qui a rejeté la route de la liberté pour celle de la servitude, selon une référence transparente à Alexis de Tocqueville et à l’ouvrage de Hayek qui vient d’être cité. Ce rejet a mené le pays le plus développé d’Amérique du Sud au début du XXe siècle à sa perte et telle est la menace de déclassement qui pèse maintenant sur l’Occident.

Javier Milei clôt son discours par une seconde référence implicite à Ayn Rand en qualifiant les entrepreneurs présents dans la salle de héros. Il les adjure, d’une part de refuser les critiques en immoralisme autour de la question de l’argent, d’autre part, répudiation sans le dire du capitalisme de connivence, de dédaigner les sirènes de l’État ; car, en reaganien cette fois, le président argentin mentionne l’apophtegme : l’État n’est pas la solution, il est le problème.

En bref, l’ancien journaliste et professeur d’économie argentin a habilement synthétisé les grands courants du libéralisme classique depuis John Locke et du libéralisme contemporain en mêlant la pensée autrichienne au libertarianisme et à l’anarcho-capitalisme autour des notions du principe de non-agression, du respect absolu de la propriété privée, de la liberté économique et du gouvernement limité. On pourra regretter, au-delà de quelques outrances propres au personnage, certains éléments de ce syncrétisme en considérant qu’ils peuvent être contradictoires, à commencer par la place et la légitimité même de l’État, comme on pourra regretter certains oublis, certains raccourcis et certaines inexactitudes historiques. Mais si son discours ne contient rien d’innovant pour ceux qui sont quelque peu versés dans la pensée libérale, le fait qu’il ait été prononcé par un chef d’Etat en exercice n’est rien de moins qu’exceptionnel.

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4 commentaires

Filouthai 2 février 2024 - 8:50

Très bon article qui informe et instruit !

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Oncpicsou 2 février 2024 - 10:22

Passionnant.
Je ne retiens qu’une phrase: « L’état n’est pas la solution, il est le problème » !
Avez vous déjà vu, dans un match, un arbitre expliquer aux joueurs comment marquer des buts tout en leur imposant d’avoir eu, chacun, le même temps de possession du ballon?…

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philippe 2 février 2024 - 3:08

OUI exceptionnel en effet, tb article et analyse des références de milei, merci monsieur feldman !!

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Francis 2 février 2024 - 10:36

« la liberté s’oppose à un état, fondé sur la violence ». Avec la virgule, cette phrase est absurde. Dire que  » la liberté s’oppose à un état fondé sur la violence » est évident. Encore qu’il faudrait inverser la phrase. Mais avec la virgule, ça signifie qu’un état est forcément fondé sur la violence. Cela ne tient pas debout.

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