Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a été le principe structurant sur la base duquel le président américain Woodrow Wilson a fondé la décision d’entrer en guerre des Etats-Unis en 1917 et qu’il a imposé dans la recomposition de l’Europe après la guerre. C’est d’ailleurs ce principe qui fut sans doute la source de tant de ressentiments et de désillusions, en Europe centrale notamment, et qui précipita peut-être la Seconde Guerre mondiale. Après celle-ci, le principe fut réaffirmé par la Charte de l’ONU (article 1,2), surtout pour obliger à la décolonisation, en faisant fi d’ailleurs des nations opprimées par l’URSS derrière le rideau de fer.
Les principes du droit international
Au demeurant, les règles de l’ONU ne sont souvent que des chiffons de papier. Bien des Etats n’invoquent ce droit onusien très politiquement correct que lorsque ça les arrange et s’en exonèrent en d’autres situations. Néanmoins, au regard du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, il me semble qu’il faut admettre que le droit naturel en est l’assise, même si longtemps a prévalu l’idée que rappelle Thucydide que rien n’est injuste de ce qui est utile au roi et aux souverains. La civilisation fut précisément d’esquisser un « droit des gens », le jus gentium, respectueux des nations. Grotius l’exprima en remerciant le roi Louis XIII de l’accueillir en exil en France : « Vous avez un Empire plus grand que [votre] royaume : c’est que vous ne convoitez pas les royaumes d’autrui. » La Révolution française en reprit le principe dans son décret du 19 novembre 1792 par lequel la Convention souhaitait accorder « fraternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté. » Sur ces bases le droit international s’affirma après la seconde guerre mondiale.
« En vertu du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, […] tous les peuples ont le droit de déterminer leur statut politique, en toute liberté et sans ingérence extérieure, et de poursuivre leur développement économique, social et culturel, et tout Etat a le devoir de respecter ce droit » a rappelé l’ONU dans la Résolution 2625 de son Assemblée générale en date du 24 octobre 1970. Cette Résolution ajoute encore que « Tout Etat a le devoir de s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait de leur droit à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance les peuples mentionnés dans la formulation du principe de l’égalité de droits et de leur droit à disposer d’eux-mêmes ». Et elle interdit ainsi le recours à la force sous toutes ses formes, direct ou indirect, sur le territoire d’autres Etats qui constituerait « une violation de leurs droits inaliénables et du principe de non-intervention ».
L’ONU pose toutefois une limite : « Rien dans les paragraphes précédents ne sera interprété comme autorisant ou encourageant une action, quelle qu’elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement ou partiellement, l’intégrité territoriale ou l’unité politique de tout Etat souverain et indépendant se conduisant conformément au principe de l’égalité de droits et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes énoncé ci-dessus et doté ainsi d’un gouvernement représentant l’ensemble du peuple appartenant au territoire sans distinction de race, de croyance ou de couleur. » Au nom de cette réserve, la sécession catalane, par exemple, a manqué de légitimité, comme celles de la Crimée et du Donbass méritaient d’être condamnées plus sévèrement qu’elles ne l’ont été.
Une simple opération militaire, vraiment ?
La Russie a signé la Charte de l’ONU dont elle est membre du Conseil de sécurité. Pour éviter d’être accusée de violation des dispositions onusiennes, elle prétend qu’elle n’est pas entrée en guerre contre l’Ukraine sur le territoire de laquelle elle ne mènerait qu’une simple opération de sécurité militaire. Elle affirme ainsi qu’elle est chez elle en Ukraine, à l’encontre des traités auxquels elle a souscrit et de l’histoire. Pourtant, nul doute que l’Ukraine est une vieille nation, depuis le Xème siècle, et un Etat indépendant et souverain depuis le démembrement de l’URSS. Ce pays n’est pas parfait, meurtri par la corruption, peut-être autant que la Russie même si c’est sans doute difficile, mais démocratique, au point que Volodymyr Zelenski a pu y être élu, et que la nation s’est rassemblée derrière lui pour la défendre contre Poutine. Il est possible que des bandes d’extrémistes, arborant peut-être des insignes nazis, aient profité des disputes du Donbass pour y prospérer contre les bandes du même acabit que la Russie soutenait. Désormais la Russie envoie d’ailleurs en Ukraine ses milices Wagner qui ne valent pas mieux et des bandes de Tchétchènes et de Syriens qui ont moins d’état d’âme que les soldats russes pour tuer des orthodoxes ukrainiens.
La Russie invoque encore l’histoire pour dénier aux Occidentaux le droit de lui faire des remontrances. Certes, ces derniers n’ont pas toujours été innocents. Mais leur intervention dans les conflits yougoslaves au début des années 1990 pouvait se justifier pour éteindre une poudrière dangereuse et capable de s’étendre. Quant à Kennedy à Cuba, il voulait d’abord combattre le communisme et empêcher son extension, ce qui me paraît avoir été une décision salutaire pour l’humanité. Au demeurant, il semble qu’en échange de l’accord des Soviétiques pour ne pas déployer leurs missiles à Cuba, Kennedy ait accepté de retirer les missiles américains de Turquie. Quoiqu’il en soit la confrontation d’alors était bien une guerre, froide, entre deux mondes et si Kennedy n’avait pas arrêté l’ogre rouge qui sait jusqu’où il aurait été.
Comment certains européens peuvent-ils encore excuser la Russie ? Que diraient-ils si l’Autriche envahissait la Hongrie, qu’elle a dominée du XVIème siècle jusqu’en 1918, soit plus longtemps que la Russie ne l’a fait de l’Ukraine ? Et si l’Italie récupérait de force Nice et les deux Savoies en prétextant que le plébiscite de 1860 n’était pas éclairé, ce qu’il n’était d’ailleurs sans doute pas ? Les guerres d’autrefois répondaient souvent à des motifs futiles qui déguisaient des ambitions démesurées. Mais sans être complètement naïfs, nous pouvions espérer avoir appris de l’histoire. Hélas, Poutine se conduit comme Hitler. Il accuse le pauvre juif Volodymyr Zelenski de nazisme pour cacher sa propre volonté de puissance et son ego napoléonien, voire stalinien. Mais peut-être que l’Ukraine sera la Russie de Napoléon, ce qui signifierait que son Waterloo n’est pas loin.
16 commentaires
Dans cet excellente analyse manque le plus important chapitre..depuis 1991 , les usa , l’ Otan veulent recuperer l ‘ Ukraine et la Georgie, apres les etats du nord , la Pologne, la Hongrie , la Tchekoslovaquie , la Roumanie.. MALGRE les accords passés avec Gorbatchev.. Hier , Von Ursula a encore mis de l huile sur le feu … Comme vous le dites Kennedy avait eu l intelligence de faire un pas en arriere… mais aujourd’hui les européens sont les toutous des americains .. qui ont tout a gagner d une crise majeure de ‘europe avec la russie … ne serait ce que vendre leur gaz liquefié , ruiner la russie , asservir encore plus l Ue…
L’OTAN ne « récupère » personne !!! Ce sont les pays qui demandent l’adhésion à l’OTAN comme il l’ont fait en 1949 ! Heureusement d’ailleurs ! C’est grâce à l’OTAN que vous avez pu vivre dans un pays libre, riche et démocratique…
NL
« Au nom de cette réserve, la sécession catalane, par exemple, a manqué de légitimité, comme celles de la Crimée et du Donbass méritaient d’être condamnées plus sévèrement qu’elles ne l’ont été. »
Mais pas le Kosovo…
Que l’IREF en reste à sa spécialité qu’est l’économie, plutôt que de donner par la voix de son président, un avis sur la géopolitique. Cet article est d’une absurdité sans nom, à vouloir simplifier des choses qui ne le sont pas. En ce moment tout le monde a un avis sur cette situation, mais mon avis ne vaut ni plus ni moins que celui du président de l’IREF, mais je ne sombre pas dans le manichéisme ambiant. Je ne profite surtout pas de ma position, pour donner un avis qui ne regarde que moi. Déçu par cette prise de position, qui, au final, ne concerne pas la France, mais juste Macron qui veut s’en faire une gloriole. On se demande pour qui roule, monsieur Delsol ? Pas sûr que je reste un abonné de l’IREF, après cette sortie.
Je vus rassure, on ne roule pour personne. Si les faits historiques sont une prise de position, alors il n’y aura jamais de faits historiques…
Cordialeemnt,
NL
Le Monde n’a pas fini de subir des guerres atroces provoquées par des tracés de frontières improbables qui réunissent des ethnies incompatibles et séparent des familles. C’est l’héritage de politiques médiévales menées par des dictatures à l’ancienne.
Et ça n’est pas demain que nous pourrons entendre l’ONU proclamer le DROIT DES PEUPLES A DISPOSER D’EUX MËMES ou le GOUVERNEMENT DES PEUPLES PAR LE PEUPLE ET POUR LE PEUPLE.
La plupart des clients de l’ONU sont des dictatures maquillées en DEMOCRATIES REPRESENTATIVES on ne peut pas les mécontenter.
Alors, oui, dans ce contexte, les guerres sont une fatalité, tant mieux pour les médias et les ONG.
deux questions pour Mr Delsol.
Devrait-on en tant que membres des démocraties défendre le droit du Donbass à sa liberté vis à vis l’Ukraine?
Et qu’en est-il de la Catalogne qui a vu plusieurs de ses politiciens élus proscrits et ou condamnés à la prison?
Les Catalans ne sont pas vraiment opprimés par le gouvernement espagnol…Et au Donbass, vus pouvez remarquer que les « libérateurs » russes sont reçus avec des armes, pas avec des fleurs…
NL
Le Droit des peuples à disposer d’eux-même s’efface devant le droit des dictateurs à disposer des peuples…
Intéressant, mais vous passez sous silence l’extension de l’OTAN vers la Russie ce qui est devenu parfaitement insupportable pour elle. Cela fait quinze ans que Poutine dit que si l’Ukraine avait l’intention de rentrer dans l’OTAN, ce qui semble bien être le cas, ce serait la guerre. Avoir des armes atomiques sous le nez n’est pas acceptable, Kennedy ne l’a pas accepté. Certes Poutine a violé les lois internationales et il est responsable d’une guerre qui peut tourner de plus en plus mal, mais nous, les occidentaux, devrions faire profil bas car c’est exactement ce que nous avons fait en Yougoslavie, en Irak, en Libye et en Syrie. Nous sommes aussi responsables de cette guerre en Ukraine : nous avons pris Poutine pour un guignol est n’avons pas tenu compte de ses avertissements. Il ne faut jamais tirer les poils de l’Ours Russe, l’histoire nous l’enseigne. Est ne nous dites pas qu’il n’y a pas de nazis en Ukraine. Même si le président n’en est pas un il y a deux bataillons néo nazis intégrés dans l’armée régulière.
Elle aurait mieux fait de rentrer dans l’OTAN ! Et ce n’est pas un hasard si les autres pays ont voulu rejoindre l’OTAN, pour se protéger des Russes !
NL
Certes, mais le droit des peuples cela s’arrête à quel niveau? Le Kososvo? province serbe? et mayotte? il me semblait que l’independance des colonies c’etait dans le respect de sfrontières d ela colonisation, mon pere lieutenant colonel à la Réunion à l’époque avait une vision de cette colonie fractionnée ne correspondant pas tout à fait au discours officiel!
En fait lorsque c’est l’occident c’est au nom de la liberte… lorsque c’est les autres les guerres sont toujours injustes…
Je déplore l’attaque russeet ne la defend pas, mais pour avoir pas mal travaille ces dernières années en Ukraine (entre 2008 et 2018 30 déplacements) ma vision de ce pays est plus mitigée… *Personnellement collectionneur de timbres j’avais fait remarquer à mes amis ukrainiens qu’un timbree à l’effigie de bandera c’étatit un peu pour moi comme si notre poste avait emis un timbre à la mémoire de Laval … J’ai vu des ukrainiens d’origine russe voir leur nom modofier pour etre « ukrainisé » résultat deux soeurs ne portent plus le m^me nom si elles vivent des deux cotes de la frontiere etc…
L’agression russe doit etre condamnee, mais quand je vois la « propagande occientale… apres avoir ete en partie à l’origine du probleme….Et l’Otan est elle bien placée ainsi que l’Europe pour juger lorsque l’on voit que Chypre est toujours coupée en deux ce qui n’emepchait pas jusqu’à il y a peu de negocier l’entree de la turquie dans l’UE…
Si j’applique le precedent Kosovo et mayotte Dombass et Crimée ont le droit de rejoindre la Russie…
Au Kosovo, ils n’ont pas vraiment envie de faire partie d ela Serbie…
NL
Il est intéressant de noter que malgré l’agression EVIDENTE de la Russie de Poutine vis à vis de l’Ukraine, il y a encore des personnes qui lui trouve des excuses.
Il reste encore des admirateurs des dictateurs. Je les plains beaucoup.
Bonjour,
Ces, et/ou, ses admirateurs, faute de RT France et Sputnik, se déversent sur les autres médias.
Il est impressionnant que, malgré l’évidence des faits, 15% des Français conservent une bonne ou très bonne opinion de Poutine (sondage IFOP paru le 11 Mars). 23% parmi les sympathisants de J.L Mélenchon, 17% parmi ceux de E. Zemmour. Cela interpelle…