Les débats sur le décrochage français portent à la fois sur son existence, son ampleur et ses raisons. Ce texte porte sur son existence.
Le décrochage n’est pas un concept des sciences sociales. Il s’agit plus d’une analogie sportive, d’une métaphore. Lorsqu’un cycliste décroche du peloton il perd du terrain, il était en tête ou au milieu avec les autres coureurs et progressivement ou brusquement se trouve à la traîne.
Pour parler de décrochage, de chute, il faut une hiérarchie. Le critère qui permet de classer les économies nationales depuis les années quarante est la production brute par habitant. Cet indicateur n’est pas un indicateur de bien-être social. Il est, cependant, très corrélé à de nombreux indicateurs de bien-être social comme l’espérance de vie, le bonheur, l’éducation et plus généralement le confort.
L’Organisation des Nations Unies compte 193 Etats membres. En 2022 le PIB par habitant français est le 30° plus élevé. En 1980 la France était au 17° rang.
En 1980 si on exclut des principautés comme Monaco, le Liechtenstein et le Luxembourg et les pays du Golfe (Emirats Arabes Unis, Qatar Koweït, etc.), les pays devant la France sont : la Suisse, la Suède, la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas et la Belgique. Les PIB par habitant des Etats-Unis, de l’Allemagne fédérale, de la Finlande, du Canada, de l’Autriche, de l’Australie, du Royaume-Uni, du Japon, de l’Italie, de la Nouvelle Zélande et de l’Irlande sont en revanche inférieurs au PIB par habitant français.
En 2022 la hiérarchie entre les pays a beaucoup changé. Les pays plus riches le restent généralement, mais de nombreux pays sont désormais devant la France. C’est le cas du Royaume-Uni, de la Nouvelle Zélande, de l’Allemagne réunifiée, de la Finlande, de l’Autriche, du Canada, des Etats-Unis et de l’Irlande. Seule l’Italie reste derrière la France. La France décroche donc dans le classement des pays sous le critère du PIB par habitant.
L’écart de PIB entre la France et les pays qui avaient un PIB par habitant plus élevés en 1980 a aussi tendance à s’accroître. Il existe en ce sens un double décrochage. La France décroche dans le classement mondial des pays les plus riches et le PIB par français est de plus en plus faible par rapport aux PIB des pays qui avaient un PIB plus élevé, mais proches dans les années quatre-vingt.
La Figure 1 ci-dessous visualise ces évolutions. Elle classe les pays en quatre groupes : les pays en haut à gauche qui voient leur PIB par habitant en 1980 et 2022 baisser par rapport à celui de la France (aucun), les pays en haut à droite qui rattrapent la France sans la dépasser (Japon, Italie, Espagne, Portugal et Grèce), les pays en bas à droite qui rattrapent la France et la dépassent (Allemagne, UK [Royaume-Uni], Finlande, Autriche, Nouvelle Zélande, Canada, Irlande, USA) et les pays qui étaient plus développés que la France en 1980 et qui ont creusé l’écart (Belgique, Suède, Pays-Bas, Danemark, Norvège, Suisse et Luxembourg).
Lorsque l’on regarde cette figure il devient alors très difficile de contester que la France décroche économiquement. Ce décrochage est spectaculaire vis-à-vis de pays comme l’Irlande, mais aussi les USA, la Suisse, la Norvège et le Danemark. Le PIB par habitant de tous ces pays est désormais 1,4 fois plus élevé que le PIB par habitant français. On le sait par ailleurs ce décrochage s’accompagne d’un vaste mouvement de désindustrialisation, de hausse des déficits de la balance du commerce extérieur, et d’un faible taux d’activité de sa population vis-à-vis des autres pays développés.
Les choix financiers des gouvernements français depuis 50 ans sont la principale raison de ce décrochage. Au lieu de désocialiser les choix de consommation et d’investissement les gouvernements français à l’exception des gouvernements Chirac (1986-1988) et Raffarin (2002-2004) ont augmenté le ratio dépenses publiques sur PIB. Tous les pays qui sont désormais plus riches que la France ont engagé des politiques de réduction des déficits publics par une baisse des dépenses publiques. On pense ici au Royaume-Uni à la fin des années soixante-dix, aux USA dans les années quatre-vingt, à la Nouvelle-Zélande, à l’Irlande et aux pays scandinaves. Il est temps dans ces conditions de s’inspirer de ces politiques dites anti-keynésiennes qui ont permis à tous ces pays d’enregistrer des taux de croissance de leur production par habitant plus importants que la France.
Figure 1
Le décrochage français3
Source : GDP per capita (current US$) World Bank national accounts data, and OECD, National Accounts data files. Lien : https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.PCAP.CD (consulté le 01/07/2024)
5 commentaires
J’avoue être stupéfait qu’un professeur d’économie à la Sorbonne fonde tous ses raisonnements, sans l’exprimer vraiment, sur le fait que le PIB chiffrerait la création de richesse. L’INSEE reconnaît enfin depuis janivier 2021 dans sa deuxième façon de calculer le PIB qu’il est « la somme des dépenses finales ». Le ratio dépenses publiques sur PIB n’est que le ratio des dépenses publiques sur les dépenses totales et cela met à bas les raisonnements de l’auteur.
A sa décharge quasiment tous ses collègues sont comme lui et beaucoup de lecteurs ne vont pas vérifier sur le site de l’INSEE que le PIB n’est qu’une somme de dépenses. Accessoirement les valeurs ajoutées des ebntreprises n’existent que par la dépense de leurs clients.
lignes 12/13 : et les pays du Golf … !
est-ce là où on y joue le plus ?
merci à vous
Sans changer totalement les conclusions, une approche en PPA est à privilégier pour ces comparaisons. Cela permet notamment de comparer plus justement les pays qui n’ont pas la même devise. Par ailleurs, le PIB par habitant est certes un indicateur de richesse domiciliée par tête, mais celle-ci ne traduit pas forcément un niveau de vie, surtout pour des petites économies très spécifiques. J’ai beaucoup d’admiration pour la réussite irlandaise, mais son niveau de PIB par habitant incorpore une forte rapatriation de profits réalisés à l’étranger (d’où un énorme ratio EBE/VA), et ne reflète donc pas vraiment, en termes relatifs, le niveau de vie des Irlandais comparé à d’autres pays.
Tout ceci ne change pas la réalité d’un relatif décrochage de l’Europe par rapport aux États-Unis et, en Europe, une performance médiocre de la France. Avec, de surcroît, une part de la redistribution sociale financée par la dette publique.
C’est la conséquence d’avoir privilégié la société des loisirs.Un grand homme disait que l’avenir de la France sera un grand camping,fini les usines