En 2018, les chefs d’État africains ont signé un accord qui a finalement donné vie à la Zone de libre-échange du continent africain (ZLECA). En juillet 2019, 54 des 55 États de l’Union africaine avaient signé cet accord, l’Érythrée étant le seul pays à ne pas y adhérer. Enfin, le 1er janvier 2021, l’Union africaine a officiellement lancé la ZLECA, une étape vers l’intégration continentale et le principal objectif de l’Agenda 2063 de l’Union africaine. Il s’agira de la zone de libre-échange la plus importante au monde, avec le plus grand nombre de pays membres, et elle devrait changer la donne dans la manière dont les Africains commercent entre eux et avec le reste du monde.
L’accord éliminera les droits de douane sur 90 % des biens échangés puis s’étendra progressivement aux services. La part du commerce intra-africain augmentera de 50 % ou plus, en fonction de l’éventail des programmes de libéralisation qui auront lieu entre 2021 et 2040. Les exportations africaines devraient augmenter de 560 milliards de dollars, principalement dans le secteur manufacturier. Le ZLECA permettra de relier 1,3 milliard de personnes dans 55 pays avec un produit intérieur brut (PIB) combiné de quelque 3,4 billions de dollars. Selon la Banque mondiale, l’accord pourrait sortir 30 millions de personnes de l’extrême pauvreté et augmenter les revenus de 68 millions d’individus qui vivent actuellement avec moins de 5,50 dollars par jour.
En effet, le ZLECA est plus qu’une simple zone de libre-échange traditionnel. L’accord porte sur le commerce des biens, des services, des investissements, des droits de propriété intellectuelle, de la politique de la concurrence et, éventuellement, du commerce en ligne. Il complémente d’autres initiatives continentales, notamment le protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement, et le marché unique africain du transport aérien.
Le rôle de la Chine dans la création du ZLECA
La Chine fut un acteur principal dans la concrétisation du ZLECA. Elle a utilisé son influence diplomatique, politique et commerciale pour la conclusion de cet accord car elle a compris qu’une Afrique ouverte et unie a un potentiel énorme. Le rôle de la Chine en Afrique n’est pas surprenant : Les relations sino-africaines, notamment en terme de commerce et d’investissements dans les infrastructures, sont depuis longtemps importantes. Depuis 30 ans, la Chine envoie son ministre des Affaires étrangères sur le continent africain pour son premier voyage de chaque nouvelle année et, malgré la pandémie, le 4 janvier, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi est parti pour une tournée de cinq pays en Afrique.
La Chine est actuellement le plus grand partenaire commercial de l’Afrique : en 2019, les flux commerciaux s’élevaient à 208,7 milliards de dollars US. Les entreprises chinoises sont également solidement implantées dans de multiples zones de coopération économique et zones industrielles à travers l’Afrique. Elle continuera certainement à investir dans les infrastructures et les projets industriels en Afrique via son initiative des nouvelles routes de la soie, et à ouvrir son marché de 1,4 milliard de consommateurs aux produits africains. À cet effet, le gouvernement chinois prévoit déjà de fournir une aide financière et une formation au secrétariat du ZLECA.
Enfin, et ce n’est pas le moins important, bien que l’Asie du Sud-Est continue d’être une région à croissance rapide pour les échanges et le commerce, au cours des prochaines années, la production à faible coût se déplacera vers l’Afrique, ce qui est une bonne nouvelle pour la Chine, car elle a déjà un pied important sur le marché africain.
Des problématiques subsistent
En d’autres termes, le ZLECA améliorera la productivité et la compétitivité de l’Afrique et encouragera les investissements et l’innovation. Bien que cet accord représente une opportunité fondamentale pour l’Afrique, des problèmes importants subsistent néanmoins. L’abaissement des droits de douane n’est qu’une première étape. La réforme des barrières non tarifaires et la réduction de la réglementation ne seront pas faciles et pourraient nécessiter des décisions politiquement difficiles. Il faudra peut-être des années pour mettre les lois nationales en conformité avec les nouvelles exigences de l’accord.
Les pratiques portuaires nigérianes, par exemple, continuent de présenter des obstacles importants au commerce. Les importateurs font état d’une forme excentrique de réglementation douanière, de longues procédures d’approbation, de coûts de déchargement élevés et de corruption. Les navires feraient la queue pendant des jours, parfois des mois, avant de pouvoir accoster et décharger leur cargaison. En raison des retards causés par la congestion et du mauvais état des routes d’accès aux ports, les opérations dans les ports nigérians sont parmi les plus coûteuses au monde. Quant à l’Éthiopie, elle a interdit les investissements étrangers dans son secteur financier, ce qui représente une violation potentielle des règles du ZLECA.
De plus, en Afrique du Sud, le parti au pouvoir s’attend à ce que le parlement approuve cette année un amendement à la constitution permettant l’expropriation sans compensation des propriétaires de certaines terres. Si cet amendement est approuvé, le pays risque d’éloigner nombre d’investisseurs.
En réalité, dans la situation actuelle la plupart des pays africains ne respectent pas les conditions de l’accord. Les infrastructures inadéquates de l’Afrique ainsi que son système commercial et financier problématique posent des défis supplémentaires. Si le climat économique général ne s’améliore pas sensiblement, les Africains ne pourront pas diversifier leurs flux commerciaux, intégrer les chaînes de valeur régionales et mondiales et améliorer la qualité de leurs exportations. La libéralisation tarifaire est importante, mais à elle seule, elle n’augmenterait guère les revenus du continent.
Les clés du succès
Néanmoins, le ZLECA pourrait aider les responsables politiques locaux à surmonter les difficultés et à mettre en œuvre les réformes nécessaires pour rendre l’Afrique compétitive. Ces mêmes responsables politiques vont-ils démanteler les barrières réglementaires qui empêchent le commerce intra-régional de prospérer ? Simplifieront-ils et harmoniseront-ils les procédures administratives pour réduire les coûts de licence et de transport, actuellement les plus élevés au monde ? La réponse n’est pas évidente et la pandémie de Covid n’a pas facilité les choses.
Une mise en œuvre adéquate des ZLECA permettrait aux pays africains d’être mieux équipés pour faire face aux futurs chocs économiques et les aiderait à réaliser des réformes profondes et indispensables pour renforcer la croissance à long terme. Rien n’est garanti, mais il est regrettable que les Européens qui ont une longue tradition de présence en Afrique aient lassé la place aux Chinois comme mentor de ce projet..
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