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La politique fiscale d’Emmanuel Macron : des baisses contrebalancées par des hausses

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Lors de son interview télévisé du 24 septembre, Emmanuel Macron a revendiqué une baisse des impôts (hors, donc, cotisations sociales), « de plus de 60 Md€ pour nos compatriotes ». Un mois plus tôt, dans un entretien au Point, le président de la République avait avancé le chiffre de 50 Md€ (« Nous avons opéré une baisse de 50 Md€ d’impôts, moitié pour les ménages et moitié pour les entreprises »). Pourtant, depuis son arrivée au pouvoir, les prélèvements obligatoires (PO) ont fortement progressé (1 196,9 Md€ en 2022, contre 1 036,9 Md€ en 2017, soit une augmentation de 160 Md€). De même, le taux de prélèvements obligatoires est passé de 45,1 % en 2017 à 45,4% du PIB en 2022, soit une augmentation de 0,3 point de PIB.

Les PO ont-ils baissé, ainsi que l’affirme le chef de l’État, ou augmenté, ainsi que le suggèrent les ratios publiés par l’Insee ? En la matière, toute la difficulté vient du fait que, même en l’absence de mesures nouvelles prévue sur les PO, ceux-ci évoluent en fonction de la croissance du PIB et de l’élasticité des recettes fiscales au PIB, elle-même fortement dépendante de la croissance de ce même PIB. Autrement dit, même en l’absence de mesures nouvelles adoptées par le Parlement à l’initiative d’Emmanuel Macron, le taux de PO aurait spontanément fluctué, même légèrement.

Sur longue période, les PO « spontanés » tendent à augmenter à la même vitesse que le PIB

Sur longue période, les PO « spontanés » tendent à augmenter à la même vitesse que le PIB. Leur élasticité au PIB est alors égale à 1. En revanche, il arrive fréquemment à court terme que cette élasticité s’éloigne de l’unité. Lorsque l’élasticité au PIB est supérieure à 1 (en général quand la croissance du PIB est forte), les PO augmentent ainsi plus rapidement que le PIB. En 2018 et 2019, Emmanuel Macron a ainsi « profité » du dynamisme anormalement élevé des PO, avec une élasticité de 1,2 générant « spontanément » plusieurs milliards d’euros de recettes fiscales. L’évolution spontanée entre 2017 et 2018 des recettes fiscales nettes (c’est-à-dire hors mesures nouvelles décidées par Emmanuel Macron dans le cadre du PLF 2018, qui fut son premier) a ainsi été supérieure à 16 Md€.

Répondre par « oui » ou « non » à la question posée est donc difficile à plusieurs titres.

Tout d’abord, la composition des assiettes taxables se modifient dans le temps, notamment à la suite de la variation de taux, de sorte que les comparaisons d’une période à l’autre de données globales ou même impôt par impôt sont peu pertinentes. Par exemple, la variation des revenus et la croissance de la masse salariale a nécessairement eu un effet sur les recettes engendrées au titre de l’IR. En l’espèce, le Gouvernement a bel et bien créé en 2018 le prélèvement forfaitaire unique (PFU ou flat tax), c’est-à-dire mis en place un prélèvement proportionnel plafonné à 30 % (dont 12,8 % au titre de l’IR, contre possiblement 45 %), et abaissé en 2020 de 14 % à 11 % le taux marginal de la 2e tranche d’imposition. Les recettes de l’IR ont malgré tout augmenté. Une partie de la baisse prévue au titre du PFU a été compensée par une augmentation des dividendes versés (ici, le taux a baissé, mais l’assiette imposable a gonflé…). Outre l’augmentation de la masse salariale, ont aussi joué en faveur d’un accroissement des recettes d’IR la mise en place du prélèvement à la source (meilleur recouvrement de l’impôt) et l’inflation. Bref, le dynamisme des PO ne tient pas nécessairement à des décisions d’augmentations des impôts, mais peut s’expliquer par une forte élasticité des PO au PIB, une forte réactivité des agents économiques à l’impôt et une forte inflation.

Le président Macron communique sur les baisses en omettant, semble-t-il, de mentionner les hausses…

Ensuite, la baisse de certains impôts peut avoir pour effet d’élargir l’assiette d’autres impôts, ainsi augmentés à la suite d’une baisse décidée sur un autre impôt. Par exemple, en 2019, les allègements de cotisations sociales ont renforcé les bénéfices des entreprises, donc élargi l’assiette de l’IS dont le rendement a augmenté de 5,6 Md€. De même, le chiffrage à 20 Md€ sur deux ans de la baisse des impôts de production annoncé par le Gouvernement n’a pas tenu compte de l’effet retour de la mesure sur les recettes de l’IS, ce qui en a réduit l’impact à hauteur de 2,8 Md€. Idem avec l’effet retour du bouclier tarifaire, là encore sur les recettes de l’IS (+ 0,7 Md€ en 2022).

Enfin, plusieurs questions demeurent sans réponses à la seule lecture de la déclaration du chef de l’État. Dans le montant de 60 Md€ annoncé, Emmanuel Macron tient-il compte des mesures antérieures non reconduites par son exécutif ? En 2018, la non-reconduction des contributions exceptionnelle et additionnelle sur l’IS de 2017 et la montée en charge du CICE ont par exemple fait baisser les PO de 8,5 Md€. De même, tient-il compte des 6,1 Md€ liés en 2024 à l’indexation du barème de l’IR sur l’inflation, sur laquelle le Gouvernement communique ces derniers jours au nom de la « protection du pouvoir d’achat », laissant à penser que cette indexation est « exceptionnelle », alors que le barème progressif de l’IR est, sauf exceptions (le barème n’a été gelé qu’en 2011 et 2012), indexé chaque année. Inversement et par cohérence, du côté des hausses de PO, tient-il compte de la non-indexation des barèmes progressifs de l’IFI et des DMTG (droits de succession et de donation), qui accroît subrepticement les recettes fiscales de ces deux impôts ? Faut-il tenir compte de la diminution des recettes des taxes sur l’énergie, la TICFE/CSPE (-7,3 Md€ en 2022 au titre de la CSPE), liée au bouclier tarifaire, et, dans le sens de l’augmentation des PO, de la contribution sur la rente inframarginale (+1,2 Md€ en 2022 et + 3,7 Md€ en 2023), de la contribution exceptionnelle de solidarité des raffineurs (+ 0,2 Md€ en 2023, en passe d’être reconduite en 2024), de la taxe sur les services numériques (+ 0,3 Md€ en 2019), ou encore de la taxe sur les concessions autoroutières et aéroportuaires (+0,6 Md€ attendus en 2024) ?

Si l’on tient compte à la fois de l’évolution des PO liée à des mesures nouvelles en lois de finances et de leur effet sur le solde public, on retrouve bien une baisse de l’ordre de 60 Md€, à parité entre ménages et entreprises (bien que cette distinction soit peu pertinente compte tenu des phénomènes d’incidence et de répercussion fiscales) : suppression progressive de la taxe d’habitation (18 Md€ environ), baisse des impôts de production (-10 Md€ en 2021, -4 Md€ en 2023, -4 Md€ entre 2024 et 2027), baisse progressive du taux d’IS (-1,2 Md€ en 2018, -0,8 Md€ en 2019, -2,5 Md€ en 2020, -3,7 Md€ en 2021 et -2,1 Md€ en 2022, soit un total de -9,3 Md€, à laquelle il conviendrait d’ajouter l’effet de la réforme du 5e acompte), réforme du barème de l’IR (-5 Md€ en 2020, à laquelle il faudrait ajouter l’effet de la  défiscalisation des heures supplémentaires), création de l’IFI (-3,2 Md€ en 2018), suppression de la CAP (« redevance télé » -3,2 Md€ en 2022), instauration du PFU (-1,4 Md€ en 2018). Mais, outre les augmentations spontanées, on ne tient là pas compte d’autres hausses de PO, liées directement à des mesures prises par l’exécutif. À titre d’exemple, la fiscalité énergétique et celle du tabac avaient augmenté de 6 Md€ sur la seule année 2018. On pourrait aussi citer la revalorisation par la loi (c’est-à-dire par l’État), chaque année, de l’assiette des taxes foncières.

Bref, le président Macron communique sur les baisses en omettant, semble-t-il, de mentionner les hausses…

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