Les populismes, de droite comme de gauche, placent le peuple souverain et la démocratie au-dessus de tout. A tort.
L’affaire des assistants parlementaires du Rassemblement National a fait perdre la raison à beaucoup de monde. Certains, avec force mauvaise foi, ont anathématisé une justice aux ordres et des juges qui en tout état de cause ne devaient pas empêcher le jugement souverain du peuple lors des élections. D’autres, avec une mauvaise foi tout aussi achevée, ont refusé de faire bénéficier les prévenus de la présomption d’innocence, tant avant le jugement qu’après les déclarations d’appel. Mais cette affaire aura eu le mérite de faire réfléchir sur les rapports entre la démocratie, l’État de droit et le peuple souverain.
L’idée du présent article nous est venue à la lecture de deux textes très différents. L’un, une chronique, est le fait d’Erwan Le Noan, de sensibilité libérale et partenaire du cabinet Altermind (« De l’élection, des juges et du souverain », l’Opinion, 7 avril 2025) ; l’autre est une tribune rédigée par le constitutionnaliste de gauche Dominique Rousseau (« Non, le droit ne pollue pas la démocratie », Libération, 15 avril 2025).
La souveraineté du peuple n’est pas absolue
La chronique d’Erwan Le Noan n’est pas dénuée de courage, car elle n’hésite pas à rejeter l’idée d’une souveraineté absolue du peuple. C’est à juste titre qu’il rappelle que, historiquement, la Révolution américaine a tenté de juguler les « élans de l’expression populaire, inscrivant la démocratie dans un champ de régulations : l’État de droit ». En témoigne le fait que l’élection présidentielle aux Etats-Unis ne s’effectuait pas au suffrage universel direct et que les constituants avaient parfaitement conscience des « risques de l’expression incontrôlée de la majorité », bien mis en lumière ensuite par Alexis de Tocqueville.
Erwan Le Noan en conclut que « la maîtrise de la souveraineté a été un objectif des penseurs de la démocratie car, si le peuple est monarque, il n’est pas absolu ». Ces propos, évidents pour tout libéral qui se respecte, feront hurler les populistes de tous bords qui tiennent qu’il n’y a rien au-dessus de la démocratie et qu’ils détiennent le monopole de l’expression de la volonté du peuple (« La République, c’est moi »…).
Erwan Le Noan aurait pu également citer Benjamin Constant. Au début du XIXe siècle, tout particulièrement dans ses remarquables Principes de politique, le brillant penseur libéral s’inscrivait dans la lignée de Rousseau tout en en montrant les dangereuses limites. Certes, écrivait-il, la souveraineté appartient au peuple, mais ce qui importe ce n’est pas la source de la souveraineté, royale ou populaire, ce sont les limites apportées au pouvoir. Plus tard, dans L’Ancien Régime et la Révolution, Alexis de Tocqueville montrera que l’absoluité de la souveraineté et par conséquent ses dangers sont passés avec l’ère révolutionnaire du roi au peuple. Autrement dit, selon une thèse contre-intuitive d’une grande profondeur, il n’y a pas eu rupture, mais continuité entre les deux régimes.
C’est tout l’objet de la pensée libérale depuis le milieu du XVIIIe siècle que d’avoir tenté de limiter l’État et par contrecoup de garantir la souveraineté de l’individu. La démocratie n’est donc pas la panacée ; incontrôlée, elle est périlleuse. Aussi a-t-on progressivement construit l’idée d’un État de droit (à l’origine une expression allemande qui visait seulement à le séparer d’un État dit de police dans lequel la puissance publique n’était pas liée par ses lois) pour signifier que les pouvoirs publics, fussent-ils élus démocratiquement, devaient eux-mêmes être soumis au droit.
Le droit est-il une « composante » du principe démocratique ?
La tribune de notre collègue Dominique Rousseau reprend les thèmes chers à son auteur : « La Justice n’est pas un composant du principe libéral qui viendrait “polluer”le principe démocratique. Elle est une composante même du principe démocratique qui serait incomplet sans elle ». D’abord, il distingue droit et loi en considérant qu’ils sont « posés » dans des documents différents : constitution, déclaration ou convention internationale dans le premier cas, « autre document qui met en œuvre le droit » dans le second. Ensuite, il considère que l’État n’est devenu « État de droit » qu’après une longue histoire. Les « droits fondamentaux » « ne sont pas tombé du ciel : ils sont le produit des contradictions sociales et des luttes, politiques et intellectuelles, souvent longues, souvent violentes pour les obtenir » ; ils sont « tous issus de la révolution », ils sont « une politique de la société contre l’État ».
Nous ne pouvons partager ces deux idées. Certes, Dominique Rousseau a raison de distinguer le droit de la législation, mais il le fait de manière non libérale. En effet, le droit n’est pas forcément « posé » dans un document. Il y a confusion entre une norme et l’ordre spontané que représente le droit. La jurisprudence, si importante dans les pays anglo-saxons, le démontre bien. Le droit ne se réduit donc pas au droit dit positif, il représente le fruit d’une longue tradition, d’une évolution séculaire dont les principes les plus anciens, formulés et reformulés, poursuivis ou transformés, remontent rien moins qu’au droit romain.
Ensuite, la vision des droits de l’homme qu’il exprime est de nature socialiste et marxiste : la liberté et les droits dits fondamentaux seraient le produit d’une lutte, passée et présente. Qu’ils soient ou non jusnaturalistes, les libéraux pensent au contraire que les droits sont propres à l’homme. Ils ne sont pas construits et inventés, ils appartiennent naturellement à l’individu. Les textes n’inventent pas les droits, ils « déclarent », autrement dit ils gravent dans le marbre ce qui préexiste.
Ce n’est donc pas la lutte ou la révolution qui rend l’homme libre, c’est l’homme titulaire de droits consubstantiels qui agit pour les faire respecter. Et justement, la démocratie peut porter atteinte aux droits de l’homme lorsqu’elle est incontrôlée. C’est la raison pour laquelle les penseurs libéraux ont imaginé la notion de démocratie libérale, un régime fondé sur le suffrage populaire, mais un suffrage qui ne permet pas de tout faire et de violer la souveraineté individuelle parce qu’une majorité de votants en aurait décidé ainsi.
9 commentaires
Dans cette affaire des assistants parlementaires du Rassemblement National, la véritable question est celle de savoir si la loi elle-même est juste. La loi, sur laquelle la justice s’appuie, a été votée par un parlement (censé représenter “démocratiquement” le peuple) forcément partial parce qu’image de la majorité du moment. Cette loi serait-elle votée telle quelle maintenant, avec les forces en présence au parlement ?
Il est un peu facile, voire tendancieux, de dire que la justice doit faire respecter la loi, encore faudrait-il s’assurer que le contenu de cette loi est bien intemporel. Or, c’est extrêmement douteux compte tenu du flottement des majorités parlementaires avec le temps.
Je pense que le problème est ailleurs. Nous avons une Constitution qui a justement pour but d’encadrer le “droit du peuple” et à ce titre; le “peuple” n’est pas tout puissant.
Le problème c’est la qualité de la justice. Cette “autorité” se doit d’être au dessus de tout soupçon, c’est même une exigence qui constitue un des piliers de la Démocratie. Or aujourd’hui, sans entrer dans une généralisation abusive, il n’est pas illégitime de s’interroger sur ce point. Différents indices montrent qu’il y a doute : empressement dans l’affaire Fillon, cas “Bismuth”, dureté extrême vis à vis de Marine Le Pen, Mur des cons, positionnement politique du syndicat de la magistrature, etc…
Ce doute dont la source est la Justice elle-même me semble être un problème majeur pour la Démocratie.
Si elle tend à perdre la confiance des citoyens, c’est à elle de montrer qu’elle est bien à la hauteur de sa responsabilité et de son autorité.
Je rajoute à votre excellent post, que le 4ème pouvoir, constitué par les médias dominants subventionnés aux ordres , pose aussi un gros problème à la Démocratie en distillant matin, midi et soir leur propagande.
Oui, oui, le populisme américain se place au-dessus de la constitution et des pères fondateurs formant une élite intellectuelle.
Bien sûr que non.
Le populisme est un terme péjoratif aujourd’hui utilisé par des “néo-platoniciens” pour disqualifier, rabaisser, ce qui rejette le progressisme.
Le populisme, c’est juste ne pas vouloir se faire écraser par des gouvernements illibéraux, et leurs bureaucraties, pressions fiscales, avec leurs “experts” et grandes idées sur tout et n’importe quoi, voulant impacter la vie des gens tout en leur prenant de l’argent.
“We the People “, c’est du populisme américain, mais avec une constitution à respecter.
“Ce n’est donc pas la lutte ou la révolution qui rend l’homme libre.”
Elle est bien bonne… Et vous allez m’expliquer comment, sans une lutte, le Français va se libérer de la sur-pression fiscale qui sclérose la France ? De l’étatisme et de ses spoliations et destruction des libertés ? De l’immigrationnisme ? De l’islamisation de la France ?
La révolution américaine n’a pas engendré de la liberté ?
La lutte des Hébreux contre Pharaon non plus ?
De quoi parlez-vous ?
Il n’y a jamais eu de liberté humaine sans lutte, bataille, combat, ça n’existe pas.
Contre ceux qui veulent asservir, mettre en esclavage, piller, spolier, détruire les peuples.
Pourquoi la démocratie serait elle incontrôlée ?
N’est ce pas plutôt l’interprétation du droit par des juges incontrôlables, qui s’accordent le droit d’être au dessus de la souveraineté démocratique , qui est incontrôlée ?
Pourquoi organiser des élections ou un référendum si les politiciens ne tiennent pas compte des résultats !!
C’est complètement autoritaire , et ce serait normal que le peuple se soulève !
Nous avons construit un monde technocratique avec un “super-millefeuille” qui va de la commune à l’Europe.
En passant par les communautés de communes, les communautés d’agglomérations, les départements, les régions !!!
La question de fond c’est :
Qui peut assurer la “transverticalité” politique et la cohérence entre toutes ces couches ?
La logique voudrait que ce soit le parti politique!
Donc les assistants parlementaires ne doivent pas travailler dans une organisation “en silo” où chaque organe ignore ce que fait l’autre.
Donc la logique voudrait que leur financement soit affecté au parti.
Et non pas au groupe parlementaire d’un parti dans chacune des couches du “millefeuille”.
L’important c’est l’efficacité.
Les contraintes imposées par le législateur sont qu’il n’y ait pas d’enrichissement personnel et pas d’emplois fictifs.
“Nous avons construit un monde technocratique.”
Désolé, mais je n’étais pas de la partie.
Je crois que ce monde a fini par se développer de lui-même de par sa propre logique, et grossissant de par sa propre logique interne sans que l’individu ait voté pour ce monde technocratique, monde ayant fini par infantiliser l’individu et par le désarmer totalement afin de se protéger contre des gens qui auraient dans l’idée de sortir avec des armes pour le dégager vu qu’il coûte une fortune et ne fait pas de pain.
Contrairement à Jésus, que ce monde technocratique, soit dit en passant, aimerait faire totalement disparaître.
@NICOLAS
En démocratie c’est le votant qui est le seul responsable.
En démocratie s’abstenir, c’est, en toute logique, voter pour celui qui est élu.
La démocratie est un régime fait pour des citoyens éclairés et responsables.
A contrario les dictatures sont faites pour les individus qui acceptent d’être infantiliser.
Je soutiens que nous avons, par nos votes, construits ce monde technocratique.
Notamment cette génération des “papy-boomers” dont le souhait a été d’avoir ses enfants et petits enfants au service de l’Etat et des collectivités locales